Elections Bernoises.Le sort de la majorité de l’exécutif se joue dans le Jura bernois, où un jeune UDC défie le socialiste Philippe Perrenoud. Portrait et enjeux.
Il est l’homme clé des élections cantonales bernoises du 30 mars prochain. Manfred Bühler, ce fils de bûcheron devenu avocat, porte sur ses épaules tous les espoirs du camp bourgeois, qui brûle de reconquérir la majorité au Conseil exécutif. Si la politique était une science, il serait élu sans coup férir, du fait que la droite détient près de 60% des sièges au Grand Conseil. Mais le jeune outsider de l’UDC peine à se profiler et manque singulièrement de charisme.
Siège francophone menacé. Les élections bernoises se joueront sur le siège réservé aux francophones au sein du gouvernement. Depuis l’automne dernier, Manfred Bühler met donc tout en œuvre pour éjecter le socialiste Philippe Perrenoud de son poste. Il fait de nécessité vertu: ne pouvant s’offrir une vaste campagne d’affichage qui aurait coûté entre 50 000 et 100 000 francs, il a préféré labourer systématiquement le terrain. Au volant d’un bus VW à son effigie, il sillonne le canton. Il distribue flyers et Ragusa, participant à deux, voire trois manifestations par jour. Au total, il parcourra près de 20 000 kilomètres, soit l’équivalent d’un demi-tour de la terre!
Sur le papier, Manfred Bühler a tout pour plaire: l’attrait de la nouveauté alors que tous les magistrats sortants sollicitent un nouveau mandat, une solide formation d’avocat et un bilinguisme exemplaire. Sa maman étant Emmentaloise, il a baigné dans les deux langues durant son enfance passée à Cortébert, dans le vallon de Saint-Imier.
Manque de charisme. Pourtant, cette grosse présence sur le terrain peine à porter ses fruits. «Manfred Bühler reste très peu connu dans la partie alémanique du canton. Il manque de charisme», note le journaliste de la Berner Zeitung Stefan von Bergen. Visiblement, l’espoir de l’UDC du Jura bernois souffre d’une timidité naturelle qu’il n’a pas totalement surmontée. Lui, le fils de bûcheron jamais plus heureux qu’en faisant du motocross en Italie ou du jogging sur les crêtes du Chasseral, est-il prêt mentalement à endosser le costume d’homme de pouvoir? L’intéressé répond qu’il a douze ans d’expérience d’exécutif au Conseil communal de Cortébert et qu’il a dirigé le Conseil du Jura bernois.
Style consensuel. La stratégie qu’il a adoptée pour gagner est à double tranchant. Manfred Bühler a tiré les enseignements de l’échec du PLR Sylvain Astier, qui avait mené en vain une campagne très agressive envers Philippe Perrenoud en 2010. Cette année, l’outsider veille à éviter toute polémique avec le controversé directeur de la Santé, qu’il sait déjà très chahuté par la presse bernoise. «Je n’aime pas les invectives personnelles, ce n’est pas mon style», déclare-t-il à L’Hebdo tout en lâchant tout de même une vacherie à l’adresse de Philippe Perrenoud: «Dans le canton de Vaud, Pierre-Yves Maillard a montré qu’on pouvait mener une politique hospitalière avec doigté tout en se montrant ferme.»
Ce faisant, Manfred Bühler se cantonne pourtant dans une attitude très défensive: «Je ne suis pas un tenant de l’UDC blochérienne», répète-t-il à l’envi dans ce canton qui a été le berceau de la création du Parti démocratique bourgeois (PBD) en 2008. «C’est un gros bosseur, mais peu conflictuel, très consensuel», entend-on dans les rangs de l’UDC. Lui-même ne le nie pas: «J’aime travailler dans l’ombre.»
Dès lors, Manfred Bühler apparaît insaisissable. On sait qu’il estime que le canton de Berne vit au-dessus de ses moyens et qu’il soutient donc les deux programmes d’économies EOS I et II.
Après le vote sur le maintien du Jura bernois dans le canton le 24 novembre dernier, il table sur la continuité quant au statut de la région, renonçant à revendiquer une plus grande autonomie. Pour le reste, on peine à discerner une vraie vision pour Berne. En a-t-il une d’ailleurs? Candidat de La Gauche, Frédéric Charpié en doute: «Manfred Bühler est un opportuniste qui n’a pas de véritables convictions.»
Gauche divisée. La grande chance de l’UDC réside dans la division de la gauche sur le candidat francophone à soutenir. Logiquement, celle-ci devrait se montrer unie derrière la bannière du socialiste Philippe Perrenoud, mais c’est loin d’être le cas. «Nous sommes très déçus du bilan du gouvernement rose-vert, qui n’a pas hésité à couper dans le social et la santé. Entre Bühler et Perrenoud, c’est blanc bonnet et bonnet blanc», ajoute Frédéric Charpié.
Quant au Parti socialiste autonome (PSA) du maire de Moutier Maxime Zuber, il a fini par accorder sa confiance au socialiste sortant. En fait, il n’avait pas le choix: il soutient Philippe Perrenoud comme la corde soutient le pendu. Hormis les valeurs socialistes de base, le PSA et le Parti socialiste du Jura bernois (PSJB) n’ont quasiment plus rien en commun. Ils se disputent notamment sur l’identité et le statut de la région. «Nous considérons le Jura bernois comme une terre romande devant gagner en autonomie dans ce canton, alors que le PSJB estime qu’il fait partie d’une entité bilingue», constate amèrement Maxime Zuber.
Tabou brisé. Sérieusement menacé le 30 mars prochain, Philippe Perrenoud craint aussi ces divergences entre camarades. «Je déplore bien sûr ces divisions, qui ne sont pourtant pas nouvelles. Nous risquons ainsi de dérouler le tapis rouge pour la droite.»
Ces divergences sur le statut de la région ne sont pas sans danger au-delà même de l’idéologie. Pour la première fois lors de la campagne, une Alémanique, la Vert’libérale Barbara Mühlheim, a brisé un tabou. Lors d’un débat public, elle a remis en question le privilège qu’a le Jura bernois d’occuper un siège au sein de l’exécutif. Après la votation du 24 novembre, c’est du pain bénit pour les autonomistes! Et une manière paradoxale de remobiliser la région derrière son ministre.