Inquiétudes.Après l’acceptation de l’initiative «Contre l’immigration de masse», les instituts suisses craignent leur mise à l’écart de l’UE. Témoignage à Neuchâtel.
«Cela s’apparente à faire du ski les yeux bandés.» C’est Christophe Ballif qui utilise cette métaphore pour illustrer ce qui attend les chercheurs suisses après l’acceptation de l’initiative «Contre l’immigration de masse», le 9 février dernier. A la fois directeur du Laboratoire de photovoltaïque de l’EPFL et du Centre photovoltaïque du CSEM (Centre suisse d’électronique et de microtechnique), celui-ci ne cache pas son inquiétude si le climat d’incertitude actuel devait perdurer.
A l’enseigne de Microcity, à Neuchâtel, l’EPFL s’apprête à inaugurer son nouveau campus. Le canton a débloqué 72 millions pour offrir à quelque 200 chercheurs un magnifique immeuble inondé de lumière. Mais la fête est déjà quelque peu gâchée! L’UE a suspendu notamment la participation helvétique à son programme de recherche Horizon 2020. Un véritable coup de massue.
A l’EPFL comme au CSEM désormais tout proche, Neuchâtel dispose de deux unités de recherche complémentaires en matière d’énergie solaire, qui font partie des instituts les plus réputés en Europe et dans le monde. Au total, ceux-ci occupent quelque 70 collaborateurs (dont 60% de Suisses et 40% d’Européens) et tournent sur un budget annuel de 10 millions de francs, dont 15% en provenance de Bruxelles. Travaillant en étroite collaboration avec des laboratoires réputés comme ceux de Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne, et Chambéry, en France, de même qu’avec des entreprises comme TEL SolarLab (ex-Oerlikon Solar) et Meyer Burger, ceux-ci ont développé des technologies et des produits très performants.
Place scientifique suisse moins attractive. Aujourd’hui, c’est le rôle de coordinateur d’un projet entre plusieurs partenaires qui échappera sans doute à la Suisse, reléguée provisoirement au statut d’Etat tiers par l’UE. «C’est toujours un honneur et un avantage que d’assurer un leadership», relève Christophe Ballif, qui a dirigé voilà quelques années le projet Flexcellence, consacré au développement d’un nouveau type de panneaux solaires flexibles.
Mais ce qui fait encore plus mal aux chercheurs de l’EPFL, c’est leur exclusion des réseaux d’innovation Marie-Curie et du marché des bourses de haut niveau ERC (European Research Council), qui peuvent atteindre 2 à 3 millions de francs. «Même si le Fonds national de la recherche scientifique a mis en place une alternative, c’est clairement un affaiblissement de l’attractivité de la place scientifique suisse», déplore encore Christophe Ballif, dont les collaborateurs ont dû abandonner ou modifier plusieurs projets en état de préparation avancée.
Tensions.«Dans un tel climat d’incertitude, je crains que nos partenaires européens ne laissent les instituts suisses sur la touche», déclare Mario El-Khoury. Celui-ci ne cache pas qu’il a eu connaissance de courriels circulant entre partenaires européens et incitant à éviter une collaboration avec la Suisse. Le patron du CSEM, qui a touché 8 millions de Bruxelles en 2012 sur des recettes totales de 70 millions, passe donc son temps à rassurer ses homologues européens. «Qu’elle soit associée au programme Horizon 2020 ou traitée comme un simple pays tiers, la Suisse s’avérera un partenaire fiable assurant ses engagements financiers», souligne-t-il.
Combien de temps les chercheurs suisses resteront-ils les malheureuses victimes des tensions entre Berne et Bruxelles? Dans l’immédiat, il s’agit de résoudre le casse-tête du problème croate et de rendre compatible l’initiative réclamant des contingents avec l’accord sur la libre circulation des personnes. Actuellement, c’est la cacophonie la plus totale sous la Coupole fédérale. D’un accord transitoire sur la Croatie à un nouveau vote sur la voie bilatérale, toutes les hypothèses y passent. Il est urgent de trouver une solution pour que la Suisse, grâce à sa recherche de pointe, puisse rester l’un des leaders de l’innovation dans le monde.