Immobilier.Loin de flamber depuis l’acceptation de l’initiative Weber il y a deux ans, les prix se tassent et le marchandage devient plus facile. Mais cela ne devrait pas durer.
Sous le soleil ardent de cet hiver trop doux, la neige fond rapidement dans les rues de Haute-Nendaz. Des taches de goudron noir abîmé par les saisons apparaissent et se transforment en rivières. Grandie très vite, la station de montagne valaisanne veut améliorer sa voirie pour présenter un visage plus avenant à ses très nombreux visiteurs. Tout à la joie d’avoir inauguré, en décembre dernier, le Quatre-Vallées, son premier hôtel quatre étoiles, la localité veut désormais hisser son décor à la hauteur de ses nouvelles ambitions.
Un embellissement général serait une bonne chose aussi pour stimuler l’immobilier local. Il en a bien besoin. Depuis quelques mois, il est morose. Moins de transactions, prix en baisse. Et ce n’est pas qu’en raison du ralentissement (tout relatif!) de l’immobilier en Suisse, de l’impact des mesures anticycliques prises par la Finma et la Banque nationale ou du franc fort. L’initiative Weber, qui interdit la construction de nouvelles résidences secondaires dès son acceptation par le peuple le 11 mars 2012, a créé une nouvelle distorsion de marché inattendue. La hausse des prix que les experts attendaient en raison de la raréfaction des objets disponibles sur le marché ne s’est pas produite. Au contraire.
Plongeon à Crans-Montana
Pour le moment, cette tendance ne se lit pas dans le décor de Haute-Nendaz ni des autres stations de montagne qui ont fait de la résidence secondaire leur industrie principale. Au pied des immeubles de vacances qui ont poussé ces trente à quarante dernières années, les agences immobilières se côtoient. Sur les seules routes des Ecluses et de la Télécabine, dont le rond-point qui les relie marque une sorte de centre urbain, elles sont une bonne douzaine à se partager le marché.
Nendaz est la commune touristique du Valais romand ayant enregistré le plus grand nombre de transactions immobilières, exception faite de Bagnes, qui abrite la station de Verbier. Sur ces hauteurs, le registre foncier a enregistré 633 transferts l’an dernier, pour une valeur totale de près de 220 millions de francs.
Mais, tout réjouissants qu’ils soient, ces chiffres marquent une baisse par rapport à l’année précédente. Pas dramatique, de l’ordre de 5% pour ce qui est de la valeur des transactions. Mais qui n’est pas propre à la commune traversée par les flots de la Printze.
Dans le val d’Anniviers, où se concentrent les stations de Grimentz, Saint-Luc, Chandolin et Zinal, elle est de 7,6%. A Hérémence, dans le val d’Hérens, c’est même un plongeon de 26,1% qui a été observé. Une bérézina moindre , toutefois, que celle subie dans les six communes du Haut-Plateau où se love Crans-Montana: – 27,6%.
Certes, cette dégringolade du volume des affaires peut avoir été influencée, dans les petites communes, par des facteurs conjoncturels comme l’arrivée sur le marché de grosses promotions en 2012, effet qui ne s’est pas renouvelé en 2013.
Le plongeon n’est pas général non plus. A Verbier et à Champéry, on a même plutôt observé une hausse de la valeur des transactions immobilières entre 2012 et 2013.
Marchandage sur le coup de midi
Mais la tendance est là: le marché ralentit. Et, lorsque les acheteurs se font moins nombreux, les prix s’orientent vers le bas. Ils se sont affaiblis de 2,8% en moyenne dans cinq communes touristiques valaisannes (Bagnes, Nendaz, Zermatt, Randogne et Lens) choisies comme témoin par le cabinet Wüest & Partner, spécialisé dans le marché immobilier. Le retournement a eu lieu à l’été 2013. A ce moment-là, le prix médian du mètre carré de logement atteignait le record de 9921 francs. Six mois plus tard, il s’était affaibli à 9641 francs.
Ce constat est partagé par Matthias Holzhey, l’économiste d’UBS qui tient l’indice des bulles immobilières. «Depuis l’adoption de l’initiative, à Verbier et aux Diablerets on remarque des baisses de prix plus marquées, mais qui se limitent à environ 5% dans le segment de prix moyen, un peu plus encore pour les objets haut de gamme.»
Or, ces derniers sont constitués avant tout d’objets neufs qui viennent d’être achevés, ou dont la mise en chantier n’a pas encore eu lieu. Pour les trouver, il suffit de pousser la porte de quelques-unes des multiples agences immobilières de Haute-Nendaz – ou de n’importe quelle station de montagne – et de se présenter comme acheteur.
Ces appartements ou chalets neufs sont généralement plus chers que les immeubles de 30 ou 40 ans. Le prix au mètre carré oscille entre 7000 et 10 000 francs pour les premiers, alors qu’il n’est que de 3500 à 6500 pour les seconds. Mais il est permis de discuter. De combien?
Dans la première agence, spécialisée avant tout dans l’ancien et qui offre de nombreux petits chalets sur les trajets du bus-navette conduisant les skieurs au téléphérique, on ne se montre guère ouvert. «On vous fera de 2 à 3% tout au plus», affirme son responsable.
Les perspectives s’élargissent au bureau suivant, qui propose des appartements à profusion au centre de la station. «On peut vous proposer du 5%», avance prudemment l’employée, en l’absence de son patron.
Peut-on espérer mieux? Tentons le coup auprès d’une troisième agence. Au terme d’une discussion d’une demi-heure sur le coup de midi, le patron, qui cherche à vendre des appartements sur plan, propose de contacter le promoteur pour tenter d’arracher une baisse supplémentaire. Tentative fructueuse. Dans l’après-midi, le téléphone sonne, le vendeur annonce, triomphalement: «Il est prêt à vous faire du 10%.» En quelques heures d’efforts et un minimum de discussion, l’acquéreur potentiel peut donc économiser plusieurs dizaines de milliers de francs sur le prix d’achat affiché. Mais insister peut se révéler encore bien plus payant.
«Obtenir un rabais de 15% me semble un minimum au moment de négocier l’achat d’un objet existant neuf», commente le promoteur Urbain Kittel. Mais il y a encore de la marge par rapport à la réalité. Wüest & Partner a constaté des différences moyennes allant jusqu’à 20% entre les prix affichés et les prix conclus lors de transactions immobilières dans la région de Martigny.
Deux ans d’incertitudes
Ce n’est pas d’hier que les prix se discutent, certes. Mais, dans un marché haussier, les vendeurs se font davantage tirer l’oreille pour discuter leurs prix. Pourquoi se montrent-ils donc si arrangeants maintenant?
Les professionnels citent la force du franc, qui découragerait les acquéreurs étrangers, et la persistance de la crise économique dans plusieurs pays européens. Mais ces facteurs ne sont pas nouveaux. Les vendeurs citent aussi parfois le ralentissement de la hausse de l’immobilier en Suisse, notamment à la suite du durcissement des conditions d’accès aux hypothèques décrété depuis près d’un an. Mais ces mesures concernent d’abord les acquéreurs de résidences principales et n’affectent que marginalement les chalets et appartements de vacances. Aussi, l’un des promoteurs les plus écoutés du Valais tient une explication beaucoup plus proche du terrain.
Dans le val d’Anniviers, Urbain Kittel est le roi de l’immobilier. Les gros immeubles près de la télécabine de Grimentz, c’est lui. Une part substantielle des gros chalets et petits immeubles qui s’égrènent dans le reste de la vallée, c’est lui aussi. Mais il a reconnu ses erreurs et a appelé à plus de respect pour le paysage. Depuis, il limite la taille de ses promotions, tout en les montant en gamme.
A 85 ans, c’est un homme bon pied bon œil, toujours engagé, qui reçoit son visiteur dans un restaurant du centre de Vissoie, au cœur de la vallée. «Les objets neufs peinent à se vendre en raison des incertitudes générées par l’acceptation de l’initiative Weber. Qui donc achèterait un objet sans être certain qu’il pourra vraiment y passer ses vacances sans enfreindre la loi?»
De son bureau zurichois, l’économiste Matthias Holzhey dresse un constat similaire: «Du fait de l’insécurité consécutive à l’initiative sur les résidences secondaires, le risque existe que les citoyens de l’UE établis en Suisse temporisent avant d’acquérir un logement de vacances. Ce qui mettrait encore une pression supplémentaire sur les prix», note-t-il. Le promoteur Urbain Kittel est encore plus pessimiste: «Tant que la loi d’application de l’initiative n’aura pas été votée, nous flotterons dans l’inconnu. Cela durera bien deux ans encore», tonne-t-il.
La bataille de la loi
Le délai risque d’être même rallongé. En effet, la bagarre autour de la loi ne fait que commencer. A peine le message du Conseil fédéral était-il publié, le 19 février dernier, que la Fondation Franz Weber, âme de la lutte contre la multiplication des résidences secondaires, l’a menacée de référendum si le projet n’était pas considérablement durci.
Or, les milieux immobiliers jugent le texte encore trop sévère. En Valais, les nerfs restent d’autant plus à vif que l’activité dans la construction ralentit et que le secteur de la construction s’attend à un avenir sombre. «La croissance que nous avons connue depuis le milieu des années 60 est terminée. Désormais, j’hésite entre trois scénarios: une faible baisse de l’activité, une baisse moyenne ou une forte baisse», anticipe Urbain Kittel. La poursuite de l’affrontement semblant programmée, le climat des affaires en pâtira d’autant plus.
Les prix vont donc rester orientés à la baisse un certain temps encore. Du moins tant que de nouveaux objets arriveront sur le marché sans que leur statut ne soit clarifié. Et après? Tout dépendra, bien sûr, de l’état de l’économie, du niveau des taux d’intérêt, etc. Mais, dans l’ensemble, les experts s’attendent à un redressement en raison de la raréfaction des objets disponibles. En d’autres termes, le bon moment pour acheter un appartement ou un chalet à la montagne, c’est maintenant.
Promotion immobilière
Appartement encore en chantier pour près de 9500 francs le mètre carré
Pour le moment, c’est un chantier. Mais dans quelques mois l’immeuble Les Rairettes offrira ses onze logements du 3,5 pièces en rez au 5,5 pièces sous les toits non loin du centre de Haute-Nendaz. Des appartements amples. Le plus modeste couvre 83,2 m2, auxquels s’ajoutent 20 m2 de terrasse. Le plus vaste, lui, fait 210 m2, plus 119,5 m2 de surfaces extérieures. Mais, attention, ces espaces ont leur prix. Ceux-ci s’échelonnent de 805 000 francs pour le plus abordable – un 3,5 pièces en rez – à 2,75 millions de francs pour le plus grand. Soit, en moyenne, de 8500 francs à près de 9500 francs le mètre carré de surface pondérée (les balcons sont comptés à moitié prix et les terrasses pour un tiers). A cela s’ajoutent les places de parc extérieures à 10 000 francs l’unité et les cases intérieures à 40 000 francs la pièce.
Objet neuf
Grand chalet individuel pour 1,23 million de francs
Au pied de la forêt, à l’écart du centre de la station de Haute-Nendaz mais à 200 mètres d’un arrêt de bus, ce chalet promet à son acquéreur «toute la quiétude pour [vous] ressourcer». La construction projetée imite un autre chalet construit en 1997. Ses murs de rondins enveloppent une surface brute de 230 m2 disposés sur trois niveaux dont le sous-sol, le tout posé sur une parcelle de 1000 m2, «l’une des dernières disponibles» du hameau de Saclentse, précise la plaquette de vente. Le jardin comprend aussi une terrasse. Le prix du mètre carré constructible oscille autour de 170 à 250 francs selon le degré d’éloignement du centre de la station et du départ des remontées mécaniques. Le vendeur précise que le propriétaire a «la possibilité de louer son logement pendant les saisons d’hiver et/ou d’été».
Objet ancien
Appartement vieux de 26 ans à près de 5700 francs le mètre carré
Situé sur les pentes de Veysonnaz, dominant le village de montagne et la plaine du Rhône, c’est un appartement de 73 m2 situé dans un immeuble érigé en 1988 qui est mis en vente pour le prix de 450 000 francs. L’objet compte 3,5 pièces (un salon-salle à manger et deux chambres) auxquelles s’ajoutent un petit balcon de 12 m2, une cave, une buanderie collective et une armoire à skis. Les places de parc «sont en suffisance», mentionne la plaquette de vente, qui indique aussi que les commerces et l’arrêt du bus-navette sont «proches». L’objet est ainsi mis en vente à près de 5700 francs le mètre carré. L’acquéreur ne devra toutefois pas oublier les charges de 4800 francs par an, plus les éventuels frais d’entretien extraordinaires de l’immeuble au cas où ceux-ci ne pourraient être couverts par la fortune collective.