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Une Suisse en mouvement
Casse-tête chinois
De l’influence du 9 février sur l’accord de libre-échange avec la Chine.
Johan Rochel
(…) L’initiative «Contre l’immigration de masse» acceptée en février dernier pourrait avoir de fâcheuses conséquences sur l’accord de libre-échange signé avec la grande puissance. (…) Le cœur du problème prend la forme d’un dilemme. D’une part, la Suisse s’est engagée vis-à-vis de son partenaire chinois à favoriser le mouvement de personnes dans le cadre de la libéralisation des services entre la Chine et la Suisse. Ainsi, pour les personnes concernées par l’accord, aucune des deux parties ne devrait imposer de tests de qualification, de tests de besoins économiques ou de «restrictions quantitatives». En d’autres mots, interdiction de mettre en place des contingents. (…) D’autre part, l’initiative acceptée par les citoyens suisses précise très clairement que «les plafonds valent pour toutes les autorisations délivrées en vertu du droit des étrangers». Toutes les autorisations, difficile de trouver formule plus claire. Difficile également d’être plus limpide sur le dernier paragraphe de l’initiative acceptée le 9 février dernier: interdiction de conclure un nouveau traité international qui serait contraire au présent article (c.-à-d. les contingents et la préférence nationale). Le changement constitutionnel voulu par les citoyens est clairement en contradiction avec l’accord tel qu’il est soumis à ratification. La situation des élus fédéraux est donc loin d’être enviable: soit l’accord avec la Chine sera abandonné, soit la volonté du peuple inscrite dans la Constitution ne sera pas respectée. En toute logique, l’accord avec la Chine devrait être abandonné. En effet, l’UDC a promis de respecter strictement la volonté du peuple, sa décision ne fera donc même pas l’objet d’un débat. (…) Pas besoin d’être grand clerc pour voir que ce scénario ne se jouera pas jeudi 20 mars au Conseil des Etats. «La porte la plus sûre est celle qu’on peut laisser ouverte» rappelle un proverbe chinois: il ne fait aucun doute que l’accord avec la Chine sera ratifié. Tous les citoyens soucieux des institutions de ce pays devraient alors poser deux questions à leurs représentants. Premièrement, cette contradiction avec le choix populaire n’est-elle pas le dernier argument nécessaire pour soumettre l’accord au référendum facultatif? (…) Deuxièmement, si le Conseil des Etats choisit de ratifier l’accord avec la Chine, il passe clairement sous silence un choix très clair des citoyens. (…) L’accord chinois fait office de premier test du crédit que les élus fédéraux entendent donner au texte de l’UDC – à commencer par le parti de Blocher lui-même. Si l’accord est accepté, le vote du 9 février ne serait qu’une irruption démocratique de colère, sans lendemain et sans conséquence. Et notre Constitution ne serait que l’enseigne où les citoyens exaspérés se défoulent.
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La Suisse à 10 millions d’habitants
Halte au «french bashing»!
Depuis plusieurs années, nombre d’acteurs importants de la droite cèdent à la tentation du «French bashing».
Pierre Dessemontet
Il est difficile de retrouver le moment à partir duquel un nouveau sport national est apparu, qui prend ici la forme du French bashing: cette tentation qui consiste (…) à s’esclaffer de la nullité des gouvernements successifs de nos voisins et, ainsi, surfer sur le sentiment de dignité outragée, ou de fierté suffisante, qu’on contribue ainsi à susciter auprès de la population. (…) Une lecture possible des événements survenus depuis 2008 et la crise financière est que la Suisse officielle, celle qui gouverne, a décrété que les intérêts de son secteur financier primaient sur ceux du reste de son économie, et qu’en conséquence elle n’a pas su ou voulu voir que cela la plaçait dans une position indéfendable par rapport à nombre de ses partenaires commerciaux et économiques, qui ne désiraient pour la plupart rien de plus que de récupérer la substance fiscale qui se cachait chez nous. (…) Résultat: depuis cinq ans, la grande majorité des responsables crie au loup et à la forteresse assiégée, vomissant nos partenaires, dont la France, mais pas seulement elle, les traitant de tous les noms d’oiseaux, selon les circonstances, soit de monstres sanguinaires voulant abattre notre pays, soit de crétins malfaisants détruisant les leurs. On a vu ainsi nombre de politiciens pourtant acquis à l’ouverture, aux bilatérales, voire à une intégration plus forte dans l’ensemble européen diffuser, à longueur d’année, des discours condescendants, méprisants, voire, pour certains, carrément injurieux envers nos voisins. (…) Ce faisant, leurs auteurs pourtant nominalement europhiles n’ont pas vu qu’en répétant, semaine après semaine, ces attaques contre nos partenaires, on a fini par légitimer dans la population le discours de rejet et de fermeture vis-à-vis de l’Europe que l’UDC serine depuis vingt-cinq ans. (…) Le lien entre le French bashing et le 9 février me semble aveuglant. Et il est un fait que, dans l’attente d’enquêtes plus précises, la répartition des résultats du vote semble bel et bien indiquer que c’est dans l’électorat du centre droit que le soutien aux bilatérales a le plus reculé le 9 février 2014. Il conviendrait donc que les hérauts de la droite ouverte au monde, PLR en tête, modèrent leur discours (…).
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Les non-dits de l’économie
Le printemps européen sera chaud
Plusieurs tests primordiaux attendent la zone euro.
Sergio Rossi
L’Union européenne reste le grand malade de l’économie mondiale. Le projet néolibéral porté par l’adoption d’une monnaie unique à travers le Vieux Continent pourrait mettre à mal ses partisans et notamment ceux qui en ont profité jusque-là pour augmenter leurs richesses financières de manière indue et immorale, avant et pendant la crise de l’Euroland. Le premier test de résistance sera effectué avec l’acceptation du projet d’Union bancaire réunissant les pays membres de la zone euro sous le chapeau d’un mécanisme de résolution unique pour les banques qui, à travers l’Euroland, venaient à être menacées de faillite. Le fonds qui va devoir être mis à contribution pour ce faire est très loin d’être constitué. Le deuxième test de résistance pour la zone euro sera l’élection (fin mai) des nouveaux représentants au Parlement européen. Si les partis de la droite europhobe obtiennent au moins 25% des sièges dans ce parlement, y compris les élus du mouvement populiste Alternative für Deutschland, la zone euro pourrait ne pas survivre à sa propre crise. Le troisième test de résistance pour l’Euroland interviendra lorsque les «marchés» financiers vont constater que l’Italie, sous le gouvernement de Matteo Renzi, n’arrive pas à respecter ses engagements financiers, parce que les «réformes structurelles» du marché du travail aggravent, au lieu d’atténuer, la situation de la troisième économie de l’Euroland. Les nationalistes suisses auraient tort de se réjouir par Schadenfreude de la situation dramatique dans la zone euro, car leur propre monnaie a devant elle une «tempête parfaite» qui mettra à mal (ce qui reste de) la cohésion sociale au pays des Helvètes. Il convient de s’y préparer, tout en œuvrant pour contribuer à instituer les Etats-Unis d’Europe dans un horizon temporel raisonnable. Sans un projet de société, l’Europe ne va pas pouvoir s’écarter du sentier autodestructeur qu’elle a emprunté en suivant le néolibéralisme, qui s’est désormais érigé en pensée unique.
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Carpe diem
Les bâtons au kirsch sont éternels
Il y a des spécialités qui défient le temps et les modes. Personne n’en achète… mais tout le monde en reçoit.
Knut Schwander
Une invitation improvisée entre voisins implique en général le type de conversation suivant: «Qu’est-ce qu’on peut vous apporter?» «Rien du tout. Juste votre bonne humeur…» D’ailleurs, comme il est 19 heures, à part les stations-services à l’offre limitée, il n’y a pas vraiment d’autre choix que la bouteille de vin (oui, c’est ça, le bordeaux supérieur, celui que les Machin avaient apporté). Mais, quand les invités sonnent, ils n’ont en général pas résisté à ajouter quelque chose au panier (…): des bâtons au kirsch. «Oh, il ne fallait pas.» Nooon, vraiment pas! Je me souviens de mon premier bâton au kirsch. Je devais avoir 10 ans et le fait d’être initié à cette délicatesse alcoolisée m’avait fait l’effet d’une sorte de promotion. Mais pas longtemps. Déjà à ce moment-là, j’étais resté dubitatif: la poudre de chocolat qui colle aux lèvres et aux dents… aux doigts aussi (génial, surtout quand on porte une chemise blanche); le sucre cristallisé qui crisse désagréablement sous la dent (c’est pire que le sable entre les doigts de pieds à la plage); puis une sorte de sirop suave… mais alcoolisé, qui se répand sur les doigts – et qui colle – avant d’achever la chemise. Evidemment, il s’agit là du scénario pour non-initiés. Ceux qui ne savent pas encore qu’il faut emboucher la «délicatesse» d’une pièce. Mais est-ce bien nécessaire? En fait, ces bâtons au kirsch, ce n’est ni pratique ni bon. Alors qui les achète? (…) Il n’empêche que, régulièrement, il se trouve quelqu’un pour vous en apporter. (…) C’est à désespérer. Comme personne ne les mange, on en a toujours sous la main. Un récent jour de désespoir, justement, j’ai regardé de plus près la fameuse boîte fraîchement arrivée. C’était en février. Et la date limite était en… février. Tiens, tiens, tiens. A part une épicerie de quartier mal gérée, aucun magasin ne vend des produits si proches de leur date limite de consommation. Et c’est là que j’ai compris: nos amis (car ils restent des amis!) non plus ne les ont pas achetés, ces maudits bâtons. En fait, comme il s’agissait d’une invitation improvisée, ils nous ont refilé ce qu’ils avaient sous la main: la boîte que d’autres amis bien intentionnés (ou pas?) leur avaient offerte. Pas machiavéliques, ils n’ont pas pensé à vérifier la date pour constater que cette boîte-là, c’était le bout d’une longue chaîne d’invitations. (…) «Oh nooon, vraiment, il ne fallait pas…»