Tissot. Convaincu qu’il est vain de crier haro sur la Suisse après le vote du 9 février, opposé à un salaire minimum de 4000 francs, le président de Tissot François Thiébaud plaide par ailleurs en faveur d’un recentrage de l’horlogerie helvétique autour de quelques marques.
Le 8 mars dernier, «la Journée de la femme» comme il aime le souligner, François Thiébaud a entamé sa dix-neuvième année à la tête de la marque Tissot, dont le chiffre d’affaires non communiqué précisément a désormais dépassé le milliard de francs. A quinze jours de Baselworld qui ouvre ses portes le 27 mars, lui qui est aussi membre de la direction générale de Swatch Group ouvre notamment les dossiers d’actualité les plus chauds.
1 – Après la votation sur l’immigration de masse
Quelles sont pour Tissot les conséquences de l’adoption de l’initiative du 9 février?
Au siège de Tissot, au Locle, sur 350 collaborateurs nous avons environ 10% de frontaliers. Donc l’initiative du 9 février ne porte pas vraiment à conséquence. En revanche, les montres Tissot sont assemblées dans la région du Jura et au Tessin où travaillent un grand nombre de frontaliers, et par conséquent cela pourrait nous toucher. Par ailleurs, l’introduction de quotas pourrait aussi poser des problèmes à des sociétés de production membres de Swatch Group dont la grande partie du personnel réside en France voisine. J’ose dès lors espérer que des solutions seront trouvées dans les trois ans à venir.
L’adoption de cette initiative vous a-t-elle surpris?
Oui. Je ne m’y attendais pas du tout. J’ai appris la nouvelle alors que je participais à un événement Tissot au Japon. Les entrepreneurs ne se sont sans doute pas assez exprimés sur les conséquences et les enjeux de cette votation.
Swatch Group planche sur des contre-mesures?
C’est encore trop tôt pour échafauder des plans.
Comment interprétez-vous ce vote du 9 février?
Les Suisses qui se sont prononcés à 50,3% en faveur de cette initiative ont voulu exprimer leurs inquiétudes face à l’avenir. Si les Français, mes compatriotes, devaient eux aussi voter sur un tel sujet, ils l’adopteraient sans doute à une majorité encore bien plus nette. Le scénario serait identique en Italie, en Allemagne ou au Royaume-Uni. Crier haro sur la Suisse n’a donc pas de sens.
Cette tentation de fermeture n’est-elle pas dangereuse?
L’ouverture sur un monde profondément connecté, grâce notamment à l’internet et aux réseaux sociaux, est un phénomène souhaitable et irréversible. Au Locle, Tissot rassemble plus de quinze nationalités! Il serait vain et stupide de se braquer contre un monde toujours plus ouvert aux échanges, à la connaissance, à l’éducation ou à la recherche. Mais nous devons aussi être conscients que, pour certains pays, notamment en Europe, passer en quelques années du XIXe au XXIe siècle est illusoire. L’Europe des 12 s’est à mon sens élargie trop rapidement à des populations qui n’étaient pas encore prêtes, ni matériellement ni psychologiquement, à une adhésion aussi rapide à l’UE. Cette précipitation a engendré un sentiment diffus de peur, palpable aussi en Suisse. Pourquoi observons-nous dans ce pays une crainte des étrangers qui pourtant contribuent grandement à sa richesse? Voilà de quoi s’interroger.
2 - Le salaire minimum à 4000 francs
Quel est votre avis sur l’initiative pour un salaire minimum de 4000 francs prochainement soumise au peuple?
Prenez le Tessin. Le salaire minimum d’embauche pour un travailleur non qualifié, négocié avec la Convention patronale et les partenaires sociaux, est de 3000 francs dès le 1er juillet 2014 (multiplié par 13 mois, ne l’oublions pas!) avec une participation patronale aux frais de caisse maladie. Avec un tel salaire, il est certes difficile d’acheter un bien immobilier dans un lieu de villégiature. Mais il existe aussi dans ce canton des endroits où le niveau de vie est relativement bas. A Genève, où le coût de la vie est plus élevé, le salaire minimum d’embauche atteint 4060 francs après six mois de formation.
Si je vous suis bien, vous n’êtes pas favorable à un salaire minimum de 4000 francs pour tous?
L’idée est généreuse. Mais à vouloir tout niveler, on risque d’engendrer une augmentation considérable du coût du travail et des prix des produits manufacturés. La Suisse veut-elle ou non rester compétitive en comparaison internationale? Voilà la question. Je plaide en faveur d’une générosité intelligente et d’une augmentation progressive des salaires.
Les salaires chez Tissot correspondent-ils à ceux négociés dans le cadre de la CCT?
Chez Tissot comme dans l’ensemble du Swatch Group auquel nous appartenons, nous appliquons une politique salariale qui tient compte des accords négociés dans le cadre de la CCT. Par ailleurs, lorsque le groupe a de bons résultats, la direction octroie des primes.
Si cette initiative était finalement approuvée, la maison Tissot serait-elle en difficulté?
Je ne pense pas. Toujours est-il que Swatch Group reste fidèle à sa politique sociale. Souvenez-vous de la crise en 2008-2009. Les exportations horlogères dans leur ensemble ont chuté de 22,3%, celles de Swatch Group de seulement 5%. Comme l’a indiqué notre CEO Nick Hayek, Longines et Tissot ont même connu une légère croissance. Au tout début de la crise fin 2008, Nick Hayek a décidé de bloquer les salaires et de ne licencier aucun collaborateur. Une très grande solidarité au sein du groupe a très bien fonctionné. Quand la croissance est repartie, grâce au capital humain que nous avions su conserver, nous avons pu rapidement redémarrer nos activités.
3 – La marche des affaires
Quel est l’état de santé de Tissot?
Pour Tissot comme pour les marques sœurs du groupe, 2013 a encore été un bon cru. Nous sommes quant à nous fiers d’avoir franchi les 4 millions de pièces.
Les mesures anticorruption des autorités chinoises ont-elles eu un effet sur les ventes?
Il est certain que les mesures anticorruption ont provoqué un ralentissement dans le haut de gamme, comme vous pouvez le constater dans les statistiques des exportations horlogères suisses à destination de la Chine. Mais c’est un immense pays où quotidiennement le pouvoir d’achat s’améliore, ce qui ouvre des perspectives de vente pour des marques comme Tissot.
Il y a donc beaucoup de progrès à faire en Chine?
Oui. Il ne faut pas se concentrer seulement sur les grandes villes comme Beijing ou Shanghai mais prospecter l’ensemble du marché et faire connaître notre belle horlogerie. Et expliquer que les horlogers suisses ont un savoir-faire qui ne se situe pas uniquement dans le haut de gamme mais aussi en entrée de gamme avec des montres de qualité comme Swatch, ainsi que dans le milieu de gamme avec beaucoup de marques dont Tissot. Il faut aussi faire comprendre aux détaillants, et pas seulement en Chine, que l’horlogerie ne se traite pas comme de l’épicerie. Elle doit se spécialiser et se recentrer autour de quelques marques afin de se spécialiser.
Comment réagir?
En commençant par diminuer nos points de vente à l’échelon mondial et en ouvrant des points de vente qualitatifs. En 1980, il y en avait plus de 16 000. On en compte moins de 14 000 aujourd’hui. En Suisse aussi, les points de vente sont passés de plus de 500 à moins de 400, en seulement deux ans. La majorité de notre distribution est assurée par des partenaires franchisés. Mais dans des endroits stratégiques, nous avons nos propres boutiques – actuellement, il y en a 220 dans le monde – comme à Paris sur les Champs-Elysées ou dès fin avril 2014 à la Bahnhofstrasse à Zurich, en collaboration avec Bucherer. Nos montres sont aussi vendues dans 3000 shops in shop, qui sont des espaces situés dans des points de vente réservés à la marque.
Et l’e-commerce?
Nous-mêmes, nous avons ouvert des sites d’e-commerce aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en France et en Allemagne. Cette année, nous allons étendre cette offre à cinq ou six pays. Un détaillant agréé qui a pignon sur rue peut vendre des Tissot par e-commerce, à condition qu’il respecte des règles de bonne conduite, qu’il n’accorde pas, par exemple, des rabais inappropriés.
Ou bien qu’il n’écoule pas des contrefaçons. Cela vous arrive?
Hélas oui, cela peut arriver. Nous avons récemment fermé un détaillant en Inde qui vendait notamment des montres contrefaites. Et cela apparaît également fréquemment sur des sites d’e-commerce très connus. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu développer notre propre site d’e-commerce, pour que nos consommateurs puissent y effectuer leurs achats tout en étant ainsi assurés de ne pas acquérir une contrefaçon.
Comment détectez-vous de telles fraudes?
Souvent par un concours de circonstances. Ainsi un client achète une montre chez tel détaillant frauduleux qui vend à la fois de vraies et de fausses pièces. Quand il veut la faire réparer, nous découvrons alors qu’il s’agit d’une contrefaçon. C’est pourquoi je crois plus que jamais à une distribution sélective de qualité, qui inspire vraiment confiance.
4 – Les montres connectées
Les montres intelligentes comme Pebble, Galaxy Gear de Samsung ou la SmartWatch 2 de Sony arrivent sur le marché. Tissot n’a-t-elle pas raté un train?
C’est faux. Tissot a été le précurseur des montres connectées, comme d’ailleurs la Swatch. Les deux marques ont réalisé en 2004 la High-T qui affiche infos et messages personnels reçus à travers un canal inutilisé de la bande FM. Mais, faute de connectivité avec les radios, faute de relais et d’antennes, cette nouvelle technologie a été abandonnée. Il y a eu auparavant la célèbre T-Touch lancée en 1999, une montre tactile dotée de fonctions comme la boussole ou l’altimètre qui n’existaient pas auparavant sur un si petit volume. Swatch et Tissot travaillent maintenant sur des montres avec une connectivité wifi. Dès Baselworld 2014, nous allons commercialiser notre nouvelle T-Touch Solar pour dame et homme, la toute première montre tactile qui fonctionne à l’énergie solaire.
Précisément, où en êtes-vous alors que la concurrence est déjà sur le marché?
Nous y travaillons mais nous ne voulons pas faire de gadgets. Il y a toutes sortes d’innovations à développer. Comme la possibilité d’ouvrir les portes de votre voiture avec votre montre, par exemple, ou encore de personnaliser le téléphone d’un ami si vous avez oublié le vôtre par le truchement de votre montre, etc. Le champ est très vaste. Nous sommes en revanche très réservés quant aux applications médicales des montres intelligentes. Il y a de sérieux problèmes de sécurité à résoudre. A mes yeux, les montres intelligentes actuellement sur le marché sont novatrices mais non révolutionnaires. D’un prix relativement accessible, elles attirent du monde. Mais elles ne sont pas révolutionnaires comme l’ont été la Swatch Access ou la T-Touch.
Finalement, une Tissot, c’est un pur produit de luxe?
En effet. Une montre n’est pas nécessaire. L’heure est partout disponible, sur notre ordinateur, notre téléphone portable. S’offrir le temps à son poignet, c’est un luxe personnel. Qui nous permet d’habiller le temps, qui nous aide à oublier les mauvais moments de notre existence et à nous rappeler les meilleurs.
5 - L’esprit de famille
Presque quatre ans après le décès de Nicolas G. Hayek, comment vivez-vous son absence?
C’est vrai, Nicolas G. Hayek n’est plus là. Mais nous tous dans le groupe, notamment sa fille Nayla, présidente, son fils Nick, CEO, et son petit-fils Marc-Alexandre, membre de la direction générale, nous faisons comme s’il était encore présent. Nous avons un devoir de mémoire à son égard. Je me souviens que, lorsqu’il m’a contacté en 1995 pour m’embaucher, j’ai mis trois mois avant de me décider. Il en a été fort surpris mais je crois qu’il a finalement apprécié cette résistance. J’ai collaboré près de quinze ans à son côté. Un grand privilège. Mon point de vue comptait à ses yeux. Même mes silences avaient du sens pour lui. Il y avait une authentique complicité entre nous deux.
François Thiébaud
1947 Naissance à Besançon.
1979 Collabore à la société Breitling.
1992 Rejoint la marque d’horlogerie et de joaillerie Juvenia.
1996 Président de Tissot.
1997 Responsable également de Certina et de Mido.
2000 Coordonne les 18 marques de Swatch Group.
2006 Membre de la direction générale de Swatch Group.
Dernière création
Du soleil dans les aiguilles
Toute première montre tactile à énergie solaire, la Tissot T-Touch Expert Solar intègre une kyrielle de fonctions: calendrier perpétuel avec indication du jour et de la semaine, deux alarmes, double fuseau horaire, prévision météo, altimètre, chronographe avec journal, boussole, compte à rebours, azimut, fonction régate et rétroéclairage. Les rais de lumière habillant son écran permettent aux index et aux aiguilles de briller dans l’obscurité et aussi de recharger l’accumulateur de la montre.