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Les combats de la lobbyiste des patients

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Jeudi, 20 Mars, 2014 - 05:59

Margrit kessler.Au Conseil national, la Saint-Galloise se bat pour le respect des patients et dépose une initiative parlementaire pour que la Suisse forme suffisamment de jeunes médecins.

Elle n’a l’air de rien, Margrit Kessler. Mais ne vous fiez pas à son apparence discrète, affairée et modeste. La Saint-Galloise, 65 ans, Vert’libérale et présidente de la Fondation Organisation suisse des patients (OSP), n’est pas une Suissesse comme les autres. «Elle a une mission», dit une collègue sous la Coupole. Au cœur de son engagement politique et surtout professionnel: les malades, le maillon faible de la chaîne de la santé, à l’opposé de l’industrie pharmaceutique, des assurances ou des médecins.

Une lutte permanente qui l’a conduite à quatre reprises devant le Tribunal fédéral. Après une expérimentation suivie d’un décès survenu à l’hôpital cantonal de Saint-Gall, Margrit Kessler s’est battue durant dix ans contre le chirurgien star de la place.

Elle lui reprochait d’appliquer des méthodes expérimentales sur des patients non informés, mais aussi d’étranges manières de facturer. Elle a fini par tout gagner ou presque, et n’a pas dû payer les 200 000 francs de frais de procédure et autres dédommagements que les tribunaux saint-gallois lui avaient d’abord infligés. De cette expérience, elle a tiré un livre, Halbgötter in Schwarz und Weiss (demi-dieux en noir et blanc), un témoignage qui, de son propre avis, a largement contribué à son élection au Conseil national en 2011, elle qui n’avait jamais exercé de mandat politique.

Le combat d’actualité. Aujourd’hui, après la secousse du vote du 9 février, Margrit Kessler vole au secours des jeunes qui souhaitent embrasser la carrière de médecin. Elle vient de déposer une initiative parlementaire qui demande davantage de places de formation pour les étudiants en médecine dans les universités. Parce que l’heure est grave, la Suisse va au-devant d’une pénurie de médecins de famille – 40% d’entre eux ont plus de 55 ans – mais aussi de pédiatres, de psychiatres et de gynécologues.

Jusqu’ici, notre pays s’en sort en important massivement son personnel médical. Moins onéreux, même si éthiquement douteux, que de former soi-même. «Cela ne peut plus durer. Dans notre pays, 3300 jeunes souhaitent étudier la médecine chaque année et il n’y a que 900 places de formation», s’insurge-t-elle.

L’heure est d’autant plus grave qu’après le oui du peuple suisse et des cantons à l’initiative «Contre l’immigration de masse» la situation risque bien d’empirer.

Margrit Kessler n’étant pas femme à se tresser des couronnes de laurier, elle nous l’annonce d’emblée: l’idée ne vient pas d’elle mais d’un groupe de jeunes universitaires de sa région, doctorants en économie ou débutant dans la vie professionnelle. Ce sont eux qui avaient lancé l’initiative populaire «Davantage de places de formation en médecine humaine (Halte à la pénurie imminente de médecins!)». Face à leur manque de moyens financiers – ni les partis ni la FMH, la Fédération des médecins suisses, n’ont voulu participer activement à la récolte de signatures – les initiants ont dû admettre qu’ils n’y arriveraient pas et décidé d’approcher la conseillère nationale. Margrit Kessler a alors transformé l’idée en une initiative parlementaire qu’elle dépose cette semaine.

Elle y propose un nouvel article constitutionnel qui donnerait à la Confédération une compétence subsidiaire, celle d’intervenir si les cantons ne forment pas suffisamment de médecins. De l’avis de la conseillère nationale, il compléterait ainsi l’arrêté fédéral sur lequel nous voterons le 18 mai et qui vise à garantir que chacun ait accès à des soins de base suffisants et renforcer la médecine de famille.

Les autres luttes. Mais c’est loin d’être tout; la Saint-Galloise, au Parlement depuis deux ans seulement, profite de son mandat pour s’engager sur bien d’autres fronts. Florilège: auditionnée par la Commission de la santé à propos de la révision de la loi sur les médicaments (appelés produits thérapeutiques dans le jargon de l’administration), elle y a notamment défendu un principe: les médecins ne devaient pas être autorisés à vendre des médicaments eux-mêmes. Parce que, tentés d’influencer leurs patients, ils risquent de pousser à la consommation comme au gaspillage pour faire du chiffre. «Boîte trop grande, patient qui renonce à la prise du médicament ou découvre qu’il en a encore chez lui, on estime qu’on jette des médicaments pour un demi-milliard de francs chaque année», soupire-t-elle. Sur 5 milliards de chiffre d’affaires, ce n’est pas rien. Cela dit, elle sait que, politiquement, une telle interdiction n’aboutira pas. On se contentera d’obliger le praticien à délivrer une ordonnance. «C’est déjà bien et donne une plus grande indépendance pour le patient», concède-t-elle.

Margrit Kessler travaille aussi à la loi sur les transplantations. Elle se bat pour que l’Etat ne permette pas des mesures préparatoires sur des patients dont le cerveau ne serait pas mort. Elle veut éviter qu’on opère des mourants pour faciliter la transplantation d’organes, éviter des souffrances.

Enfin, elle tente de corriger la loi relative à la recherche sur l’être humain de sorte que le fardeau de la preuve, en cas de problème – ce qui arrive et peut coûter très cher –, ne soit pas du côté du malade qui s’est prêté à un essai clinique. Son but: que le patient puisse bénéficier de l’assurance responsabilité civile de l’entreprise pharmaceutique qui conduit les essais, cela sans passer par de longues procédures juridiques.

Margrit Kessler, une vie consacrée aux patients et un moteur: leur donner de la valeur. «Parce que, en Suisse, ils en ont très peu, parce qu’on considère les malades comme des personnes de seconde zone, parce qu’ils sont objectivement affaiblis, qu’ils n’ont pas de lobby fort et que les tribunaux prennent souvent des décisions contre eux.»

Et de citer l’exemple du Tribunal de district de Zurich qui, l’an dernier, a donné raison au fabricant Bayer contre une jeune victime, lourdement handicapée à la suite d’une embolie pulmonaire liée à la prise de la pilule Yasmin et qui, par-dessus le marché, a condamné sa famille à verser 120 000 francs au fabricant.

Cause familiale. Si, à Saint-Gall, les électeurs apprécient la combattante, à Berne, on considère encore d’un œil curieux cette femme, peut-être plus avocate que politicienne, très spécialisée dans les questions de santé. Quoi qu’il en soit, sa compétence en fait une interlocutrice peu commode. D’autant plus qu’elle repose sur une biographie truffée de médecine: infirmière, Margrit Kessler a continué de travailler aux soins intensifs malgré ses quatre enfants. Son époux exerce la profession de chirurgien, son fils celle d’urologue, une de ses belles-filles est anesthésiste, l’autre dentiste. Quant à son engagement à la présidence de l’OFS depuis 1999, il la met en contact permanent avec les patients, leurs souffrances et leurs problèmes très concrets. Bref, en commission, en audition ou face aux fonctionnaires de l’Office fédéral de la santé publique, Margrit Kessler se retrouve souvent face à des gens moins au courant qu’elle des pratiques dans le monde de la santé.

Sous la Coupole comme aux soins intensifs, l’ex-infirmière se démène pour les malades. Encore lui faudra-t-il apprendre à forger des alliances et à déjouer les autres lobbys de la santé, autrement plus puissants que celui des patients.

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