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Marcela Iacub joue à Juliette de Sade

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Jeudi, 27 Mars, 2014 - 05:51

Portrait.La Franco-Argentine publie «Œdipe reine», où un avatar de la Juliette de Sade se venge d’un macho abuseur. Confirmant que l’agitateuse féministo-révolutionnaire n’est pas morte avec l’affaire DSK.

J’ai attrapé un coup de soleil dans le salon de Marcela Iacub. La dame est éblouissante, mais pas à ce point: l’écrivaine, chercheuse au CNRS, chroniqueuse à Libération et à Lui, habite un deux-pièces au 14e étage d’un immeuble du XIIIe arrondissement de Paris, en face de l’hôpital Sainte-Anne. Le mur est entièrement fait d’une baie vitrée façon studio d’artiste. Du coup, elle passe la journée à chercher l’ombre.

Elle habite ici depuis la séparation d’avec le philosophe Patrice Maniglier. Son premier mari était un économiste de dix ans plus âgé qu’elle, ils sont restés mariés cinq ans. Son second mari avait dix ans de moins qu’elle. Elle est comme ça, Marcela. Cougar et daddy girl. Elle veut libérer les femmes, mais les féministes se méfient d’elle parce qu’elle aime les hommes et encourage la prostitution. Depuis six ans, elle vit seule avec sa chienne Lola, 8 ans, qu’elle a prise en pitié dans une animalerie qui la vendait en solde et qui, depuis, ne la quitte pas d’une semelle.

Sade. L’écrivaine a choisi de participer aux festivités commémorant le bicentenaire de la mort de Sade à sa manière. Soit en s’inspirant de son personnage préféré du divin marquis, Juliette, sœur vicieuse de Justine la vertueuse, héroïne de L’histoire de Juliette ou les Prospérités du vice pour un récit irrésistible, surprenant, vigoureux, troublant et impeccablement écrit. «Du point de vue de l’exposition de sa philosophie, L’histoire de Juliette est le livre le plus important de Sade. Il y mon-tre une vision noire de l’humanité mais sans que ce soit du nihilisme. Il explique que la capacité de destruction de l’humanité a pour corollaire son potentiel de création infini. Tout en revendiquant la souveraineté absolue de la fiction.»

Œdipe reine raconte comment Juliette, pour se venger de Samuel, quinqua vulgaire et macho qui s’est joué de ses sentiments amoureux, décide de dévergonder sa fille Sophie et de la pousser à se livrer incognito à son père. Elle lui apprend à décliner son propre credo: «Je jouis, donc je suis», et à faire rimer jouissance avec puissance. Le stratagème réussira au-delà de ses espérances.

On a cru que son précédent roman, Belle et Bête, l’avait tuée, que son irruption crue dans l’affaire DSK, l’incompréhension qui a prévalu après la fameuse couverture du Nouvel Observateur, l’aurait découragée, lessivée.

C’est mal connaître l’animal. «Si les chiens aboient, c’est que nous chevauchons, dit Sancho Pança à Quichotte. Si un intellectuel n’est pas prêt à se faire cracher dessus, il n’est pas prêt à faire des choses importantes. Belle et Bête m’a donné un sentiment de pouvoir. Je suis fière de ce que j’ai fait. Cela a été difficile sur le plan personnel, mais j’aime avoir le courage d’écrire ce que les autres n’écrivent pas.»

PolitiqueŒdipe reine reprend le combat là où elle l’avait laissé: la morale, toujours, et la sexualité féminine. Au cœur du livre: un grandiose inceste, qui voit une fille coucher avec son père en le sachant, en le désirant et en aimant la chose. Marcela sait qu’elle devra se justifier, encore et encore. «Je suis évidemment contre l’inceste. Mon livre est une fable, un conte symbolique, qui est la meilleure manière d’interroger les critères moraux avec lesquels nous réfléchissons aujourd’hui. Il n’y a du réalisme que dans les scènes de sexe.» Son éditeur la trouve d’ailleurs très douée pour cela. On confirme. Mais elle est femme d’idées avant tout. «Ce que je voudrais que l’on dise de ce livre, c’est qu’il est amusant, intéressant et qu’il a des idées. Pas de thèses, des hypothèses, mais des idées. La littérature française fait trop dans le sentimental.»

Guerre.Œdipe reine plonge dans le fantasme, mis en lumière par Freud, qu’auraient les pères de coucher avec leur fille. «Je le réalise, ce qui est le rôle de la littérature, et je le retourne. C’est la fille qui abuse de son père.» Dindon de la farce, Samuel, archétype du macho vulgaire et profiteur? «Samuel incarne l’exploitation des femmes sous toutes ses formes. Juliette lui déclare la guerre. Il pourrait ne pas y avoir de guerre, si les femmes transformaient leur rapport à la sexualité, aux hommes et à elles-mêmes.»

On est au cœur de la théorie iacubienne, pour qui le plaisir des femmes est une affaire politique. «La révolution féministe a laissé croire que le consentement était la seule chose qui comptait, et non la jouissance. Or, l’acte sexuel est un acte d’affirmation, pas seulement d’acceptation. Des féministes ont même prétendu que l’orgasme vaginal était un mythe freudien! Du coup, aujourd’hui les hommes sont obsédés par le clitoris. La pénétration a été dénigrée, et certaines femmes ne soupçonnent même pas qu’elles peuvent avoir un orgasme vaginal bien plus puissant.»
Juliette, ce n’est pas elle. En tous les cas pas elle aujourd’hui. «Entre 20 et 30 ans, j’ai tout fait. Depuis toujours, j’ai été obsédée par l’égalité sexuelle. Je demande aux hommes de s’occuper de mon plaisir autant que du leur. En Argentine, avec mes copines, on ne parlait que de cela, comment avoir autant de plaisir que les hommes.»

Côté cœur, elle n’a en revanche eu, soupire-t-elle, que des «amours malheureuses». «Je suis compliquée à vivre. Je ne suis pas prête à mettre mon œuvre au second plan. Et, comme je ne peux vivre qu’avec des intellectuels, ça devient vite tendu. Ils sont jaloux, vite intolérants.» Marcela ressemble en cela à son héroïne Juliette, qui veut changer le monde faute d’amoureux dans sa vie. A l’âge de 12 ans déjà, Marcela Iacub rêvait d’être une intellectuelle reconnue. La faute à maman, qui lui disait que la seule chose qu’elle avait de bien, c’était de savoir faire rire et d’écrire de jolies histoires. La faute à papa, père adoré, à côté de qui tous les hommes ont semblé fades. Très jeune, elle a décidé de ne pas avoir d’enfant, pour pouvoir se consacrer à ses recherches. «Je n’ai pas de regret. Mais ce n’est pas toujours facile.»

Déranger. Intellectuelle au parcours solide, juriste, avocate spécialisée dans le droit du travail puis en bioéthique, plus jeune inscrite au barreau de Buenos Aires, en 1985, auteure d’ouvrages fondamentaux comme Penser les droits de la naissance (PUF, 2002), Qu’avez-vous fait de la libération sexuelle? (Flammarion, 2002), L’empire du ventre: pour une autre histoire de la maternité (Fayard, 2004), Par le trou de la serrure: une histoire de la pudeur publique (Fayard, 2008), Une société de violeurs? (Fayard, 2011) ou Confessions d’une mangeuse de viande (id.), elle a toujours eu conscience de déranger.

«J’ai très tôt eu des idées que les autres considéraient comme bizarres. Les choses nouvelles, audacieuses et qui plus est venant d’une femme ont toujours provoqué des réactions outrancières. Je ne fais pas dans la provocation gratuite: je suis toujours très consciente de ce que j’écris.» Marcela adore Mafalda, le personnage de petite fille du dessinateur argentin Quino. «Elle pose des questions insupportables à ses parents, mais toujours très gentiment. Elle est un individu qui pense comme un individu. Elle ne renonce jamais à la bizarrerie apparente de ses idées.»

Elle a désormais passé autant de temps en Argentine qu’à Paris, où elle est arrivée à l’âge de 24 ans. La dernière fois qu’elle est retournée à Buenos Aires, c’était pour l’enterrement de son père, il y a onze ans. Elle n’a plus aucun lien avec sa mère. Elle a choisi la France pour devenir Marcela Iacub à cause du français, qu’elle aimait depuis toujours. Son rêve était d’écrire dans une langue que ses parents ne comprenaient pas. «C’est extraordinaire de changer de langue. C’est comme changer d’identité.»

Elle peut traverser Paris pour s’acheter une bouteille de parfum chez Caron ou des lunettes à strass pour compléter sa collection. «En Argentine, on se met en scène, les femmes comme les hommes. L’apparence compte beaucoup.» Une question d’héritage. Le soleil fait monter la température chez la reine Marcela. Lola dort par terre.

«Œdipe reine». De Marcela Iacub. Stock, 140 p. En librairie le 2 avril.
Marcela Iacub sera au Salon du livre de Genève les 2 et 3 mai.


Marcela Iacub

1964 Naissance à Buenos Aires
1985 Benjamine du barreau de Buenos Aires
1989 Arrive à Paris, se spécialise dans le droit en bioéthique
2002 Le crime était presque sexuel et Qu’avez-vous fait de la libération sexuelle?
2005 Antimanuel d’éducation sexuelle, avec Patrice Maniglier
2006 Une journée dans la vie de Lionel Jospin
2011 Confessions d’une mangeuse de viande
2012 Une société de violeurs?
2013 Belle et Bête

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Mathieu Zazzo / Pasco
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