Diplomatie.Après l’annexion de la Crimée par Moscou, le climat s’est rafraîchi entre Est et Ouest. La Suisse joue les intermédiaires et en tire profit.
Peter Hossli
Infographie Priska Wallimann
C’est fou ce que les Russes et les Suisses sont aimables les uns envers les autres. L’ambassadeur de Moscou à Berne qualifie d’«excellentes» les relations entre les deux pays. «Dans presque tous les domaines, nous travaillons étroitement ensemble: économie, culture, politique, même militaire», assure Alexandre Golovine.
Son homologue helvétique à Moscou, Peter Helg, soulignait lui aussi, en 2012, «des relations excellentes». Pour la Suisse, la réélection de Vladimir Poutine aurait été «très importante», car il est synonyme «de stabilité et de prévisibilité».
Or, Vladimir Poutine, 61 ans, est le nouvel ennemi public de l’histoire. Après l’annexion de la Crimée, les Etats-Unis et l’Union européenne ont adopté des sanctions à l’encontre de son entourage. Mais la Suisse ne veut rien en savoir. Elle «observe la situation en détail», promet Carole Wälti, porte-parole du Département des affaires étrangères. Autrement dit, la Suisse reste aux affaires. Elle n’entend pas mettre en péril les intérêts d’un petit pays (41 000 km2, 8 millions d’habitants) et d’un empire (17 millions de km2, 143 millions d’habitants). Et la Russie est le seul membre permanent du Conseil de sécurité avec lequel la Suisse entretient un dialogue institutionnalisé et permanent.
Pour la Russie, la Suisse est une tête de pont vers l’Europe. Un pays neutre, non membre de l’UE. Un partenaire fiable, utile. En 2012, la Confédération a accéléré l’admission de la Russie au sein de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce. En échange, la même année, la Russie a invité la Suisse au sommet du G20 à Moscou et Saint-Pétersbourg. Depuis 2009, des conseillers fédéraux ont rencontré à 18 reprises des ministres russes. C’est la Suisse qui joue le rôle de médiateur dans le conflit russo-géorgien. Et maintenant dans le bras de fer russo-ukrainien.
Pour la Russie, la Suisse est d’une importance vitale. Plus des trois quarts des exportations russes sont faits de charbon, de pétrole, de gaz et de métaux. A en croire le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), 80% d’entre elles impliquent des négociants sis à Genève, Zurich et Lugano, souvent financés par des crédits de banques suisses. Les courtiers suisses ont acheté en 2012 pour 324 milliards de dollars de matières premières russes.
Certes, le ministre de l’Economie, Johann Schneider-Ammann, a récemment suspendu les négociations en vue d’un accord de libre échange avec la Russie. Mais le pays des oligarques reste pour la Suisse un marché prometteur. Les sociétés expor-tatrices suisses enregistrent des taux de croissance phénoménaux dans leurs opérations russes. En 1990, les horlogers suisses vendaient pour un million de francs de montres en Union soviétique. Aujour-d’hui, c’est près de 300 fois plus. Les pharmas exportaient pour 100 millions de médicaments en 2000, de nos jours dix fois plus.
42 milliards pour l’un, 45 pour l’autre. Les Russes riches abritent volontiers leurs milliards dans les banques suisses. UBS les séduit à Moscou, Credit Suisse à Moscou et Saint-Pétersbourg. Les deux banques dominent le marché russe des capitaux. Quelque 600 sociétés helvétiques ont des filiales en Russie, parmi lesquelles Nestlé, ABB, Swatch, Holcim, Roche et Novartis. A l’inverse, 560 sociétés en Suisse appartiennent entièrement ou partiellement à des Russes. Selon le SECO, en 2012 les Suisses ont investi 42 milliards de francs en Russie, ce qui représente 30% de tous les investissements étrangers dans le pays. Et un tiers de tous les investissements russes à l’étranger ont déferlé sur la Suisse: 45,3 milliards de francs.
Nos «excellentes relations» se sont récemment un peu rafraîchies. Ueli Maurer, ministre de la Défense, a suspendu un entraînement prévu à Andermatt pour des grenadiers de montagne russes. «Vu les événements en Ukraine et dans la région», a commenté Renato Kalbermatten, porte-parole du DDPS. Et pour cause de neutralité. Alors qu’un officier suisse est en ce moment en formation continue à Moscou. Il rentrera en juillet et, pour l’heure, la Suisse n’entend pas lui désigner un successeur.
L’affaire de la Crimée affecte une année commémorative: la Suisse et la Russie célèbrent deux cents ans de relations diplomatiques. C’est à cette occasion que le président de la Confédération, Didier Burkhalter, rencontrera Vladimir Poutine à Moscou, annonce Carole Wälti, du Département des affaires étrangères. «Mais la date et autres détails ne sont pas encore fixés.»
© Sonntagsblick,Traduction et adaptation gian Pozzy