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Une Suisse en mouvement
L’État de droit s’effrite, le centre-droit s’effondre
Le Conseil national a suivi sa Commission des institutions politiques en choisissant de copier-coller dans une loi d’application le texte de l’initiative de «mise en œuvre» de l’initiative «Moutons noirs».
Johan Rochel
Si le Conseil des Etats confirme, le renvoi sera donc automatique pour des délits mineurs tels que l’«escroquerie aux assurances sociales» (délit inconnu du Code pénal à ce jour). De plus, la situation spécifique de la personne ne sera pas prise en compte, au mépris du principe de proportionnalité. (…) Acculé par l’initiative de «mise en œuvre», le Parlement a abandonné son rôle de législateur, cette mission clé qui consiste à faire les lois. (…) Les choix des citoyens sont appréhendés comme étant directement applicables: le bulletin de vote devient la loi. Dans cette absolutisation de la démocratie directe, le Parlement a manqué d’affirmer clairement ses compétences. N’est-il pas en train de démontrer qu’à terme nous n’aurons plus besoin de lui? Après tout, pourquoi ne pas nous retrouver tous une fois par mois sur la place Fédérale pour choisir les lois de la manière la plus directe qui soit? L’idéal de la Landsgemeinde comme instance démocratique suprême nous empêche de voir que nous faisons face à un conflit des volontés populaires. La volonté populaire ne s’exprime pas seulement dans l’initiative pour le renvoi, mais également dans la Constitution et ses principes. Cette Constitution que le peuple a acceptée en 1999 et qui contient expressément le principe de proportionnalité. (…) Nous sommes dans une situation où la volonté du peuple helvétique exige deux choses incompatibles. Jeudi dernier, de nombreux parlementaires l’ont oublié, rappelant à qui voulait bien l’entendre que la «volonté du peuple» devait être respectée. (…) La nécessité d’une pesée d’intérêts individuelle est à la fois l’une de nos valeurs les plus importantes et l’un de nos engagements internationaux, par exemple à travers la Convention européenne des droits de l’homme. Refuser de reconnaître ce principe dans la loi, c’est donner aux tribunaux la responsabilité de rattraper la situation dans chaque cas individuel. (…) En plus de ces bouleversements institutionnels, c’est sur le plan politique que les nouvelles sont les plus tristes. Le centre-droit (PLR, PDC, PBD – à l’exception notoire de presque tous les Vert’libéraux) a baissé les armes face à la menace d’une nouvelle votation populaire. Le chantage a fonctionné à merveille. L’énergie politique n’y est plus, la conviction de se battre pour les valeurs qui font notre pays non plus.
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Blog dans le coin
Nos vignerons sont-ils en voie de disparition?
L’année viticole 2013 a été délicate. Des conditions climatiques particulières font que la récolte a été très faible.
Vincent Pellissier
On sait qu’un marché perdu nécessite un effort important, aussi bien financier qu’humain, pour le reconquérir. Si les recettes des exploitations vont baisser, il faut comprendre que les charges, elles, ne sont pas compressibles dans la même proportion. Les charges salariales sont quasiment fixes (les surfaces à entretenir restent identiques) et les coûts liés à l’appareil productif (amortissement du patrimoine viticole et de l’outil industriel de production) sont constants sur les investissements consentis. (…) Mais le problème est plus profond. Aujourd’hui, la matière première de cette industrie, le raisin, n’a plus de valeur. Et sans viticulture (la vigne), l’industrie vinicole (le vin) ne pourra survivre. Depuis des années, le prix payé aux vignerons pour le raisin, le prix de la matière première, ne cesse de baisser (moins de 2 francs par kilo de chasselas payé aux vignerons tâcherons par certaines grandes caves). Ce montant est inférieur aux coûts effectifs. En plus, la production à l’hectare a drastiquement baissé, au bénéfice de la qualité évidemment (en tout cas pour certains cépages). (…) En Suisse, la part des vins helvétiques de la consommation indigène est d’environ 30%. Pour prendre un point de comparaison, les vins autrichiens représentent 78% de la consommation du pays. Un effort important de vente devrait être entrepris pour la promotion de vins indigènes sur ce marché, qui plus est, marché où des prix élevés peuvent être absorbés. (…) Quand le prix de la matière première n’a plus de valeur, le marché tout entier s’écroule. Il est temps de payer les vignerons, soit pour la valeur du produit, soit pour leurs contributions indirectes, patrimoniales, écologiques, paysagères ou identitaires.
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Les lumières de la ville
Les quartz du repli sur soi
La cérémonie de remise des Prix du cinéma suisse 2014, qui s’est tenue vendredi dernier au Schiffbau de Zurich, dessinait à son corps défendant une image terrible de nous-mêmes.
Frédéric maire
(…) C’est finalement un film parlé en dialecte bernois, adapté d’un roman écrit en bärndütsch par Pedro Lenz, qui a remporté les Quartz de meilleur film, meilleur scénario, meilleur acteur et meilleure musique. (…) Der Goalie bin Ig (que l’on pourrait traduire par Le gardien de but, c’est moi) est un récit aigre-doux sur un loser magnifique, ancien drogué passé par la case prison qui essaie tant bien que mal de se reconstruire. Comédie politique d’un côté, mélodrame humain de l’autre, ces deux images de la Suisse se complètent et se répondent dans la réalité. Mais l’écrasante victoire du film bernois signé par Sabine Boss offrait l’autre soir une image bien triste de notre futur destin cinématographique. Car, coupé de l’Europe, coupé des soutiens de Media, notre cinéma va être contraint de se tourner toujours plus sur lui-même, replié, comme naguère, dans notre réduit alpin. Personne ou presque n’a, durant la cérémonie, parlé de ce qui nous est tombé dessus le 9 février. Pourtant, (…) notre modèle à venir, c’est Anker, c’est notre histoire, c’est ça que nous devons raconter, avec nos sous, et tant pis si les autres, dehors, ça ne les intéresse pas. (…) Alors que Les grandes ondes et L’expérience Blocher sont sortis en France accompagnés d’une critique dithyrambique et d’une belle fréquentation publique, c’est un film dont le succès – bien réel – décroît plus on s’éloigne de Berne qui remporte les suffrages des votants de l’Académie du cinéma suisse. Comme si nous anticipions déjà les années sombres qui nous attendent, à (re)faire des Heimatfilms sans véritable espoir d’exportation. A nous regarder le nombril pour voir combien de belles histoires peuvent en sortir.
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Politique internationale
International: un vilain mot pour le ministre de la défense
Beaucoup a déjà été dit et écrit au sujet de la position de la «rupture de collégialité» d’Ueli Maurer, de ses excuses et du reste.
Martine brunschwig graf
Les médias s’essaient maintenant à deviner ce qu’il y avait de volontaire ou de fortuit dans cette interview de trois pages dans la Weltwoche. Peu importe, car les faits pourraient bien lui donner tort à l’heure où l’OSCE qu’il décrie vient de décider de l’envoi de cent observateurs en Ukraine, avec l’accord de tous et sur proposition de la Suisse. Mais l’article de la Weltwoche mérite bien d’autres commentaires qui n’ont rien à voir avec la rupture de collégialité ou la forme de neutralité que doit adopter la Suisse. (…) Pour la première fois, un conseiller fédéral s’en prend au fait que la haute administration et nombre de cadres de l’armée puissent avoir une culture qui s’étende au-delà du pays! J’ai beaucoup de peine à comprendre qu’un conseiller fédéral puisse regretter la connaissance du monde des cadres de l’administration fédérale, particulièrement lorsqu’il s’agit de la défense ou de la diplomatie! Certes, la défense des intérêts de la Suisse donne à chacun le devoir de savoir prendre la distance nécessaire. Mais si, pour un pays qui vit et se nourrit de ses relations avec l’étranger, la haute administration devait avant tout être formée de personnes dont l’univers et la compréhension du monde se réduit à la Suisse, il y a de quoi se faire du souci. On aurait pu penser qu’un conseiller fédéral responsable de la défense, à la veille d’une votation importante pour l’indépendance de la Suisse en matière de défense, ait eu autre chose à dire. Ou bien s’accommode-t-il de plus en plus à l’idée de confier durablement la défense de notre espace aérien à la France et à l’Autriche?
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Ombres et lumières sur Palais fédéral
La loi du talion
Pour des raisons tactiques, le Conseil national a décidé de concrétiser l’initiative sur «le renvoi des criminels étrangers» sans se soucier de l’Etat de droit.
François Chérix
Désireux d’éviter à tout prix une nouvelle votation sur ce thème, il a suivi à la lettre les recommandations de la seconde initiative UDC dite «de mise en œuvre». (…) Les élus se sont donc accommodés de la violation du «principe de proportionnalité». Et si le Conseil des Etats suit la Chambre du peuple, des dispositions contraires aux droits fondamentaux seront insérées dans la législation suisse. Le principe de proportionnalité n’est pas un vague concept éthéré de juriste élitiste, mais un fondement du droit. Permettre qu’un délit mineur, comme la perception abusive de prestations sociales, déclenche une sanction majeure, telle que l’expulsion, constitue une régression ahurissante de la justice. Inscrite depuis la nuit des temps, la loi du talion proscrit déjà les jugements disproportionnés. «Œil pour œil, dent pour dent» dit cette règle qui apparaît dans le Code de Hammurabi, dix-sept siècles avant Jésus-Christ. (…) Réalise-t-on que la Suisse de 2014 baigne dans un tel populisme que le droit pénal pourrait revenir trois mille ans en arrière? Pas à pas, l’UDC nous fait quitter la voie de la civilisation, tout en nous poussant vers la pente
de la barbarie.