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Une Europe où les citoyens auraient droit à la parole?

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Jeudi, 27 Mars, 2014 - 05:58

Face à face.Le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, 59 ans, et l’Allemand Martin Schulz, 58 ans, sont les deux têtes de liste pour succéder au Portugais José Manuel Barroso à la présidence de la Commission européenne. Ils débattent ici notamment du désamour des populations pour l’UE et de la mutualisation des dettes des membres de la zone euro.

Propos recueillis par Gordon Repinski et Christoph Schult

Martin Schulz, Jean-Claude Juncker a été membre pendant près de vingt ans du Conseil européen. Comme chef de l’Eurogroupe durant la crise de la dette, il a veillé à ce que la devise commune n’implose pas. Qu’y aurait-il de mal à ce qu’il devienne le prochain président de la Commission de l’UE?

M. S.: Il n’y aurait rien de mal. Mais c’est moi qui ai le meilleur concept pour l’Europe. Je m’engage pour que les citoyens aient la possibilité d’exercer leur influence sur la politique européenne. Il faut un renouveau.

Il y a déjà eu deux présidents luxembourgeois de la Commission, le dernier il y a quinze ans. La seule fois qu’un Allemand a eu le poste, c’était il y a cinquante ans. Cela parle-t-il en faveur de la candidature Schulz?

J.-C. J.: Je ne réfléchis pas en termes de nationalité mais de contenu. Et je pense qu’il vaut mieux pour l’Europe que le prochain président de la Commission soit Luxembourgeois. Mon pays a toujours été un médiateur au sein de l’UE, notamment entre Français et Allemands. Je crois au pouvoir du consensus.

Martin Schulz, comme président, que feriez-vous mieux que Jean-Claude Juncker?

M. S.: Je ne me bornerais pas à rechercher des solutions politiques dans les ins-titutions traditionnelles de l’UE. J’ouvrirais la Commission tant que faire se peut. Bruxelles ne doit pas s’occuper du moindre détail. Il faut régler ce qui peut l’être sur le plan communal, régional ou national. Je suis un homme de parlement, un représentant des citoyens. Juncker est un représentant des exécutifs.

J.-C. J.: Fadaises. Je ne m’y connais pas seulement en matière d’exécutif. J’ai toujours eu des échanges intenses avec le Parlement européen et cherché avec lui des solutions communes. D’ailleurs, ce n’est pas un inconvénient de connaître l’état d’esprit et les intérêts des Etats au Conseil européen. Je fais ça mieux que Martin Schulz.

L’Europe est en crise, la participation aux dernières élections a été de 50%. Pourquoi les citoyens devraient-ils vous accorder leur suffrage?

M. S.: La participation va augmenter. La rivalité entre Juncker et moi y contribue déjà. Naguère, avec le Parlement européen, les citoyens choisissaient une institution anonyme. Cette fois-ci, c’est nouveau, il est question de personnes. La personnalisation est le sel de la soupe démocratique.

J.-C. J.: L’Europe a besoin d’une clarification. Ses adversaires progressent à gauche comme à droite. Si l’on veut éviter leur victoire, il faut voter. C’est quand même épatant que Schulz et moi, candidats de grands partis populaires, soyons soutenus au nord comme au sud du continent. C’est l’indice d’une union européenne.

M. S.: Pour la première fois, l’élection européenne n’est plus une élection nationale déguisée. Il n’est pas question ici d’Angela Merkel ou de Sigmar Gabriel. Les Allemands qui veulent Martin Schulz donneront leur voix au SPD, ceux qui préfèrent Jean-Claude Juncker la donneront à la CDU.

Mais le problème est que ce ne sont pas les parlementaires élus qui proposent le président de la Commission, ce sont les chefs d’Etat et de gouvernement.

J.-C. J.: Dans sa proposition, le Conseil européen doit tenir compte des résultats de l’élection européenne, stipule le traité de Lisbonne. Les chefs d’Etat et de gouvernement ne peuvent pas se soustraire à la réalité. Le traité précise qu’ils doivent consulter le Parlement européen. Le temps est passé où les dirigeants des Etats se mettaient d’accord en secret sur la présidence.

Etes-vous d’accord que celui qui mobilise sur son nom la plus forte fraction parlementaire sera président de la Commission?

J.-C. J.: Celui qui finit en tête a l’avantage. S’il y a au Parlement une majorité pour moi, je deviens président de la Commission; si c’est Schulz, le job est pour lui. Mais soyons clairs: un de nous deux l’aura.

Jean-Claude Juncker, vous auriez pu devenir président de la Commission en 2004, mais vous avez décliné. Maintenant que vous avez perdu votre poste de premier ministre au Luxembourg, le job vous intéresse tout à coup. Pourquoi les électeurs devraient-ils vous croire?

J.-C. J.: En 2004, en même temps que les élections européennes, on votait aussi au Luxembourg. J’ai alors dit que je ne ralliais l’Europe que si je n’étais pas confirmé comme premier ministre. Comme j’ai été réélu, je n’ai pas changé pour Bruxelles.

De votre point de vue, chaque pays devrait-il avoir un commissaire?

M. S.: C’est un vieux débat, car les chefs de gouvernement – y compris Jean-Claude Juncker – en ont décidé ainsi en 2013, alors même que c’était prévu autrement. Il y a 27 commissaires, nous devons faire avec. Dans bien des capitales, il y a des gouvernements qui comptent encore plus de ministres.

J.-C. J.: Je juge une commission restreinte plus efficace. Mais je connais l’état d’esprit des pays membres. Si l’on disait à l’Irlande qu’elle ne peut plus avoir de commissaire, le soutien à l’Europe s’y effondrerait dramatiquement.

La crise de l’euro a montré que la coordination de la politique économique et budgétaire était un objectif central. Un ministre européen des Finances serait-il la solution?

J.-C. J.: Nous avons eu naguère le projet de créer un Ministère européen des affaires étrangères. Tout le monde était pour mais, au moment de faire le pas, certains gouvernement ont jugé qu’il y avait déjà assez de ministres des Affaires étrangères comme ça. Tout comme on a créé un haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères, je souhaiterais qu’après les élections l’idée d’un président de l’Eurogroupe se concrétise.

M. S.: Je pense que c’est une bonne idée. Nous n’avons pas besoin d’un ministre européen des Finances pour imposer plus d’équité fiscale. Il y a en Europe de grandes entreprises qui engrangent de grands profits et ne paient pas d’impôts. Et, quand les spéculateurs essuient des pertes, les contribuables casquent. Cela crée une perte de confiance tragique parmi les citoyens. Comme président de la Commission, j’introduirai un principe simple: c’est dans le pays où les profits sont réalisés que les impôts sont payés.

Martin Schulz, vos camarades de parti français ont fait officiellement savoir que quel-qu’un comme Jean-Claude Juncker, qui a dirigé un paradis fiscal pendant dix-neuf ans, ne devait pas présider la Commission.

M. S.: Je maintiens: le manque d’équité reste énorme. Les gens ont l’impression que quand tu es riche tu peux tout te permettre et quand tu es pauvre tu paies. Il faut combattre cela: nous luttons contre l’évasion fiscale et la ruineuse sous-enchère fiscale par des initiatives européennes.

Considérez-vous le Luxembourg comme un paradis fiscal?

M. S.: Il faut plus de transparence, y compris au Luxembourg. C’est vrai pour le gouvernement actuel comme pour le précédent.

J.-L. J.: Du calme. Dans l’UE, sous ma présidence, en 1997, nous avons décidé d’harmoniser les taux d’impôt en Europe. Nous avons élaboré un code contre la sous-enchère fiscale déloyale. Le fait qu’il existe au Luxembourg, pour les entreprises, un droit fiscal aux règles particulières est une fable. Le reproche des socialistes français, selon lequel j’aurais activement encouragé l’évasion fiscale, est une attaque effarante contre mon pays et ma personne. Je ne peux pas permettre cela.

M. S.: Je ne puis m’attendre à ce que l’ancien premier ministre et ministre des Finances du Luxembourg souscrive à mes visions de politique fiscale. Le Luxembourg est une place financière importante. Mais cela ne doit pas conduire à ce que l’on fasse des concessions jusqu’à la fin des temps.

J.-L. J.: Je ne me suis jamais engagé davantage pour la place financière luxembourgeoise que les chanceliers allemands pour leur industrie automobile. Mais je suis d’accord: nous avons besoin de règles contre le dumping fiscal tout comme contre le dumping social. Il faut en Europe un socle minimal pour les droits des travailleurs.

M. S.: Mais le sauvetage de la Grèce n’a pas été éminemment social. Et c’est vous, Jean-Claude Juncker, qui y avez notablement contribué en tant que président de l’Eurogroupe. Si vous parcourez le sud de l’Europe, vous verrez que les gens jugent l’UE extrêmement injuste sur ce point.

J.-L. J.: Au début de la crise grecque, j’ai mis en garde contre les conséquences sociales dramatiques d’une politique d’austérité excessive. Les chefs de gouvernement conservateurs n’ont pas été seuls à le contester. Quand je me suis élevé au sein de l’Eurogoupe contre une réduction du salaire minimum grec, ce sont justement quel-ques ministres des Finances socialistes qui m’ont critiqué. Dans ce contexte, je me réjouis d’autant plus que ma nomination en tant que candidat tête de liste du PPE soit soutenue autant par un grand parti du nord, la CDU, que par un grand parti du sud, la Nea Dimokratia grecque.

Martin Schulz, pourquoi avez-vous pris vos distances de l’exigence de gauche d’une mutualisation des dettes?

M. S.: Je reste un partisan des euro-obligations, mais j’ai dû constater qu’il n’y avait pas de majorité pour ça dans un délai convenable. Ce serait déjà un progrès si nous pouvions nous mettre d’accord sur des emprunts communs pour financer de grands projets.

J.-L. J.: En décembre 2010, avec le ministre des Finances conservateur italien, Giulio Tremonti, j’ai plaidé en faveur des euro-obligations. Nous n’en sommes pas encore au point de pouvoir les introduire demain. Il existe des prérequis, notamment une coordination plus efficace des politiques budgétaire et financière. Mais, à long terme, j’estime que les euro-obligations sont un bon instrument. Il est faux de prétendre qu’elles coûteraient plus à certains Etats qu’à d’autres. A court terme oui, mais pas à long terme.

Etait-ce une erreur de ne pas proposer l’adhésion à l’Ukraine?

M. S.: Ce n’était pas le sujet. Nous étions prêts à signer l’accord d’association, mais c’est Viktor Ianoukovitch qui ne l’a pas signé. Aujourd’hui, il s’agit surtout de stabiliser l’Ukraine. On reparlera d’une adhésion dans vingt ans.

Où placez-vous les frontières de l’UE?

J.-L. J.: Si je le savais, vous ne me poseriez pas la question. Nous devons veiller à ce que chaque candidat à l’adhésion ne devienne membre de l’UE que lorsqu’il s’est conformé à 100% aux critères.

M. S.: Je ne crois pas que nous puissions sans cesse étendre l’UE. Nous devons d’abord procéder à des réformes. Si je deviens président de la Commission, j’insisterai pour consolider l’UE de l’intérieur avant de parler de nouvelles adhésions. Les gens ont de moins en moins confiance en l’efficacité de l’UE.

Comment ferez-vous pour retenir la Grande-Bretagne au sein de l’UE?

J.-L. J.: Ces dix prochaines années, nous devons rediscuter des fondements architecturaux de l’UE. Et nous demander si chaque Etat européen démocratique et appliquant une économie de marché doit être membre de l’UE dans sa définition actuelle. Ou s’il ne doit pas y avoir autour de l’UE une orbite où peuvent prendre place les Etats qui n’entendent pas partager toutes les politiques de l’UE ou qui trouvent qu’aujour-d’hui déjà on en fait trop.

Vous voulez tous deux présider la Commission. Entendez-vous en faire le «gouvernement de l’Europe»?

M. S.: Non, mais je veux que l’Europe se remette à résoudre les problèmes. Il nous faut un changement des mentalités au sein de la Commission, afin qu’elle se concentre sur l’essentiel. Je veux combler les injustices qui naissent de l’évasion fiscale et des oasis fiscales. Et nous devons enfin faire quelque chose contre le chômage des jeunes car, jusqu’ici, nous avons dépensé beaucoup d’argent pour les banques et peu pour les jeunes. C’est pourquoi l’écart se creuse au sein de l’UE. Et j’aimerais rétablir la confiance, parce que ce n’est que dans cette communauté que nous pourrons défendre nos valeurs et notre bien-être au XXIe siècle.

J.-C. J.: La Commission propose, le Parlement et le Conseil européens disposent. L’UE a un système de gouvernement qui ne ressemble pas complètement à celui des Etats. Martin Schulz parle d’oasis fiscales sans les nommer. Les banques ont été sauvées pour éviter l’effondrement économique, d’ailleurs au prix d’efforts communs entre sociaux-démocrates et chrétiens-sociaux. La Commission sera bien plus forte si elle se concentre sur ses tâches essentielles et ne se disperse pas dans les détails. © Der Spiegel

Traduction et adaptation Gian Pozzy


Jean-Claude Juncker

Né en 1954, avocat de formation, premier ministre luxembourgeois de 1995 à 2013, président de l’Eurogroupe de 2005 à 2013, Jean-Claude Juncker est membre du Parti populaire chrétien-social, ce qui ne l’empêche pas d’être un partisan d’une IVG plus accessible et de soutenir le mariage homosexuel au grand-duché. Il a battu le Français Michel Barnier comme tête de liste du PPE (Parti populaire européen) aux élections européennes.


Martin Schulz

Né en 1955, Martin Schulz adhère au SPD dès l‘âge de 19 ans. A 31 ans, il devient un des plus jeunes bourgmestres de sa région de Rhénanie-Westphalie. En 1994, à 39 ans, il est élu au Parlement européen et y sera sans cesse réélu, jusqu’à en devenir président en 2012. Il a été investi chef de file des socialistes européens le 1er mars dernier. Martin Schulz est célèbre pour divers incidents verbaux au perchoir du Parlement européen.

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Reuters
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