Municipales.L’ex-patron de Reporters sans frontières a été élu haut la main maire de Béziers avec le soutien du Front national. Pour ce pied-noir d’Algérie, l’heure d’une certaine revanche.
Robert Ménard élu maire de Béziers, c’est un peu la parabole de l’enfant prodigue appliquée aux adultes. A 60 ans, le pugnace fondateur de Reporters sans frontières est de retour sur ses terres de petit garçon. Comme tout bon Rastignac, quoique sur le tard, il les avait quittées pour Paris où son ambition l’appelait. Les «circonstances» ont fait qu’il y revient aujourd’hui par la grande porte, avec le soutien du Front national.
Le sauveur. Drôle de trajectoire pour cet ancien trotskiste, même si l’extrême gauche mène à tout et parfois à l’extrême droite ou à ses confins. Dimanche 31 mars, avec près de 47% des voix, il est devenu le premier magistrat de cette sous-préfecture du département de l’Hérault. Durement frappée par le chômage et engluée dans une crise identitaire typique des villes du midi de la France, Béziers, 71 000 habitants, croit tenir son sauveur. De l’enfant prodigue au messie, il n’y a ici qu’un pas. Catho, l’ex-trotsko? Il l’est devenu.
Ménard est né en 1953 à Oran, quand l’Algérie était française. Son père, communiste, travaillait à la base navale de Mers el-Kébir et rejoignit l’OAS, l’organisation armée hostile à l’indépendance, à l’approche de l’inéluctable.
La famille fut au nombre du million de pieds-noirs rapatriés et s’installa à la Devèze, un quartier populaire situé à la périphérie de Béziers. Robert avait 9 ans. Quelque vingt ans plus tard, il entre à Radio France Hérault, à Montpellier, et crée en 1985 dans la même ville Reporters sans frontières (RSF), avec l’appui, pour l’anecdote, de Jean-Michel Du Plaa, son adversaire socialiste lors de la dernière élection municipale à Béziers. A l’époque, les rapports de Ménard fils avec son père ne sont pas excellents et son mariage avec une juive ne les améliore pas.
«Il n’avait qu’une envie: monter à Paris», se souvient l’ex-rédacteur en chef de La Liberté de Fribourg, François Gross. Les deux hommes se sont connus lorsque Robert Ménard cherchait à étendre à l’étranger le réseau de RSF. Une section vit le jour en Suisse en 1990 et Gross en fut nommé président. «Les rapports avec Ménard étaient bons, j’avais peut-être un peu de mal à accepter ce ton très cassant, dominateur», raconte le Fribourgeois. Une embrouille éclata et François Gross démissionna de RSF Suisse en 1994, peu de temps après la création, sous l’égide de la section helvétique de l’association, de la Radio Agatashya, ou Radio Hirondelle, émettant depuis Bukavu, au Congo, et conçue pour contrer la propagande assassine de la radio Mille Collines des génocidaires Hutus rwandais. «Nous avions appris que Robert Ménard avait créé une radio de son côté, qui émettait depuis les camions de l’armée française à Goma, alors même que, selon nous, la France n’était pas la mieux placée pour diffuser une parole de paix entre Hutus et Tutsis», rapporte le journaliste suisse.
La provoc. Par la suite, Ménard mouilla sa chemise pour de nombreux reporters prisonniers ou otages à travers le monde. RSF, entre-temps montée à Paris, connut de grandes heures en 2008. Rompus aux méthodes de marketing événementiel, l’agit-prop dans sa version politiquement correcte, l’association et son «secrétaire général» fondateur se mobilisèrent comme jamais contre les Jeux olympiques de Pékin.
Robert Ménard revint ensuite au métier, fit de la télévision, invita des extrémistes de tout bord sur son plateau, prenant goût à ces débats paroxystiques. Sous le genre journalistique pointait le ras-le-bol de l’establishment. Son ultime provoc fut la rédaction du livre Vive Le Pen!, qui lui valut d’être viré d’i>Télé. Ménard a besoin de sensations fortes mais aussi d’une autorité morale. C’est son épouse d’aujourd’hui, Emmanuelle Duverger, catholique conservatrice engagée contre le mariage pour tous et animatrice, avec son mari, du site droitier Boulevard Voltaire, qui la lui apporte. Robert Ménard pense que l’islam est «dangereux» pour la démocratie. Dans Béziers, où cohabitent – pas très bien – «Français» et «Arabes», l’élection du natif d’Oran est une promesse de quelque chose. Mais de quoi?