Test national.La votation neuchâteloise sur l’initiative pour la protection des crêtes prend des allures de grand examen pour l’énergie éolienne. Visite au Mont-Crosin, où le parc couvre désormais les besoins en électricité de tous les ménages du Jura bernois.
Partout ou presque, les projets sont bloqués. Décidément, l’énergie éolienne ne décolle pas en Suisse, malgré l’introduction de la taxe verte (RPC) en 2008. Notre pays, qui a pris un retard considérable en la matière, ne compte que 34 turbines, alors que le seul land allemand de Rhénanie-Palatinat, deux fois plus petit en termes de superficie, en recense 1200! Dans ce contexte, la votation neuchâteloise sur l’initiative de plusieurs associations environnementales prend une dimension nationale symbolique.
Nul doute que la ministre de l’Energie, Doris Leuthard, aura les yeux braqués sur cette votation cantonale le 18 mai prochain. Elle joue ici le succès de sa stratégie énergétique 2050, basée sur un approvisionnement diversifié. Or l’opposition à l’éolien est farouche. Dans son propre canton d’Argovie, une initiative encore plus radicale veut bannir l’éolien jusqu’à l’arrêt des centrales nucléaires.
C’est bien connu, le diable est dans les détails. Et l’initiative sur l’avenir des crêtes neuchâteloises pousse les détails très loin! Elle exige un plan d’affectation spécial pour tous les parcs éoliens soumis à un référendum obligatoire, mais aussi un nouveau vote pour «toute construction ultérieure modifiant ce plan». Une belle cascade de votations en perspective!
Difficile de faire plus contraignant. Mais Félix Gueissaz, président du comité d’initiative, se défend d’être un détracteur de l’éolien. «La vraie question est de savoir qui a la compétence de protéger nos crêtes, qui sont un patrimoine unique. Nous voulons que ce pouvoir revienne au peuple, et non au Conseil d’Etat», déclare-t-il.
Les partisans de l’éolien sont loin de partager cet avis. Le Conseil d’Etat et le Grand Conseil soutiennent un contreprojet beaucoup plus souple défendu par tous les partis, y compris l’UDC. Celui-ci prévoit d’ancrer dans la Constitution la possibilité de réaliser cinq sites totalisant 59 turbines.
A peine entamée, la campagne de votation a pris un tour très émotionnel marqué par un gros dérapage. Clarence Chollet, présidente des Verts neuchâtelois et du comité interpartis en faveur du contreprojet, s’est fait traiter «d’écolo-péripatéticienne» par un partisan de l’initiative. «Les initiants sont des anti-éoliens qui ne disent pas leur nom», déplore Clarence Chollet.
Pourquoi tant d’émotions à propos d’une énergie renouvelable largement plus propre que ce nucléaire dont le peuple a déjà dit qu’il ne voulait plus? A un jet de pierre du canton, le Jura bernois apporte une preuve tangible que l’éolien est bien davantage qu’une source d’électricité dérisoire. Les 16 machines disposées entre le Mont-Soleil et le Mont-Crosin fournissent 55 millions de kWh et couvrent la totalité des besoins des 18 000 ménages du Jura bernois. Mieux: elles sont devenues un fleuron de la région, attirant près de 50 000 visiteurs par an.
«Ce parc est désormais une attraction touristique dont les jeunes sont très fiers», confirme Pierre Berger. Cet agriculteur de 51 ans, qui est aussi le responsable du site, invite à découvrir l’une des plus récentes turbines, mise en exploitation le 12 novembre dernier. De près, c’est un mastodonte au mât de 95 mètres doté de pales de 45 mètres, qui produit 4 GWh par année, soit du courant pour 1200 ménages. Avec un peu de recul pourtant, ces turbines s’intègrent parfaitement dans ce paysage encore enneigé ces derniers jours.
«Dans un premier temps, les visiteurs s’étonnent toujours de la grandeur des machines. Puis ils prennent connaissance de leur efficacité et finissent par reconnaître que ces éoliennes donnent une image dynamique et novatrice de la région», raconte Pierre Berger. Une précision tout de même: si les 16 turbines suffisent aux besoins de ses 50 000 habitants, elles ne couvrent pas ceux de son industrie.
Mais pourquoi le Jura bernois a-t-il réussi là où les autorités de tous les cantons romands se heurtent à une farouche résistance de leur population? «C’est souvent la communication qui est lacunaire. Il ne faut surtout pas avoir peur de multiplier les séances d’information dès qu’il y a du nouveau, de manière à éviter les fuites dans la presse», souligne Pierre Berger.
Sur les hauteurs de Saint-Imier, le projet s’est développé dans la durée et l’harmonie. Juvent – une entreprise considérée comme régionale avec une participation majoritaire des BKW – a d’abord installé trois turbines de 67 mètres en 1996. Puis, surprise de la demande de clients prêts à payer plus cher cette énergie, elle a élargi le parc progressivement, pour arriver à 16 machines en 2010. L’an dernier, elle a remplacé les quatre plus vieilles turbines par des modèles plus modernes sans que l’opération suscite d’opposition. Elle dédommage les agriculteurs correctement – environ 10 000 francs par an et par turbine –, sans donner l’impression d’acheter leur silence.
Malgré cela, l’essor du parc a tout de même ressemblé à un parcours du combattant. «Son agrandissement de 2010 a nécessité le feu vert de 36 offices cantonaux et fédéraux», confie Pierre Berger. C’est l’une des raisons pour lesquelles la Suisse a pris un énorme retard par rapport à l’Allemagne et à l’Autriche notamment.
Et les nuisances, alors? Il y en a, il ne faut pas le nier, mais elles sont «fortement exagérées», à en croire le responsable du site. Les pistes de ski de fond ont été légèrement déplacées, mais personne n’a jamais été blessé par un jet de glace. En dix-sept ans, un agriculteur qui fauche la moitié des terres du parc n’a retrouvé que deux oiseaux morts. Quant aux infrasons des turbines, ils ne font pas fuir le bétail, qui y est plus sensible que les humains: les vaches se rapprochent même des éoliennes lorsque le vent est fort, car il y a moins de mouches.
Non, la vie n’est pas devenue un enfer dans le vallon de Saint-Imier depuis l’apparition d’un site éolien. Il n’y a aucune raison qu’il en aille autrement dans le Val-de-Travers – par exemple – si la population neuchâteloise approuvait le contre-projet à l’initiative.
Pour convaincre d’ici au 18 mai, les autorités locales concernées par les projets des électriciens des quatre coins de la Suisse ont compris la leçon. D’abord dépassées par des investisseurs «étrangers» agissant parfois par pur appât du gain, elles se sont peu à peu réapproprié le pilotage politique du dossier. «C’est un enjeu d’intérêt public», insiste Christian Mermet, conseiller communal de Val-de-Travers et responsable du développement territorial. Sa commune est touchée par deux parcs du plan directeur cantonal – ceux de la Montagne de Buttes et de Boveresse. Mais le premier est «clairement prioritaire».
Sa vision consiste donc à réaliser par étapes ce projet d’une vingtaine de turbines qui couvrirait déjà 10% des besoins en électricité du canton de Neuchâtel; puis, en fonction des réactions de la population, on pourrait toujours envisager le parc de Boveresse, ajoute Christian Mermet. «C’est l’avenir énergétique de la région qui est en jeu. Le Val-de-Travers se plaint souvent d’être en dehors des grands enjeux politiques. Il est temps que nous assumions notre responsabilité.»