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Sergio Ermotti: la renaissance d’UBS

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Jeudi, 3 Avril, 2014 - 06:00

Banque.Le géant sort de cinq ans d’enfer. Sous la poigne de son patron depuis 2011, il a dû se réinventer. Mais beaucoup de zones d’ombre subsistent.

Si l’on était au cinéma, on pourrait se croire face à Pierce Brosnan. Carrure large, taille élancée, front carré et menton volontaire. Un regard clair et direct, une expression un brin impatiente. Cependant, nous ne sommes pas au cinéma mais dans une petite salle de conférences du siège d’UBS, au 45, Bahnhofstrasse à Zurich. Et la personne qui prend place est Sergio Ermotti, le directeur général de la grande banque.

Cela fait juste trois ans qu’il y est entré. Et cela fait deux ans et demi qu’il la dirige, d’abord à titre intérimaire, dès septembre 2011, avant de se voir confirmer deux mois plus tard. Et, depuis lors, la grande maison n’est plus la même. Finie la banque accablée par les pertes massives et les scandales à répétition. Finie l’institution dépendante des soutiens de la Confédération et de la Banque nationale, dont la moindre décision stratégique donne lieu à la polémique.

C’est désormais une banque qui se restructure, qui a remboursé les aides reçues, qui dégage de nouveau des bénéfices et a regagné la confiance des marchés financiers, même si bien des procédures ouvertes à son endroit par la justice et les gendarmes financiers à la suite des scandales de ces dernières années ne sont pas encore refermées.

Dans une institution de quelque 60 000 personnes, dont un tiers en Suisse, ce n’est jamais un individu isolé qui décide de l’entier du sort. Mais si Sergio Ermotti n’avait pas pris une décision capitale, une décision que personne n’avait réussi à assumer avant lui, UBS montrerait un visage nettement moins convaincant.

Sitôt après sa confirmation aux commandes, le Tessinois recentre UBS sur son réseau grand public en Suisse et la gestion de fortune au niveau mondial. Et, en octobre 2012, il accélère la nouvelle stratégie: il réduit considérablement la taille de la banque d’affaires dont il ne garde que certaines activités bien ciblées, notamment le négoce des actions et le conseil. La restructuration a aussi un coût:  10 000 emplois devraient être supprimés, dont 2500 en Suisse.

Avec l’aide des marchés financiers.«Notre objectif était de nous concentrer sur les activités où nous étions bons et de nous séparer du reste, explique-t-il à L’Hebdo. Mais la décision la plus importante a été de réviser nos ambitions. Nous avons préféré conforter notre place de première banque mondiale dans la gestion d’actifs, de première banque suisse, de nous assurer que notre banque d’affaires soit focalisée et reste profitable. Pour nous, la question d’être numéro un ou non dans cette activité ne se posait plus car la position de leader peut aussi vous empêcher de réaliser des bénéfices.»

Au lendemain de la crise financière, la banque devait répondre à deux exigences: réduire considérablement ses risques et relever fortement ses réserves. Or, la banque d’affaires consommait environ deux tiers des fonds propres du groupe. Son recentrage et la liquidation progressive des titres pourris hérités du passé permettent de réduire ces besoins à environ un tiers, de diminuer aussi la taille du bilan, et donc des risques assumés par la banque.

L’institution peut également améliorer ses ratios financiers. Elle affiche ainsi le taux de couverture des fonds propres, l’un des plus importants indicateurs de solidité, le plus élevé des grandes banques internationales, avec un ratio de 12,8%. Le Center of Risk Management (CRML) de l’Université de Lausanne la juge dès lors aujourd’hui plus sûre que Credit Suisse et même que la plupart des grandes institutions européennes. UBS atteint ainsi le but recherché, une amélioration de sa solidité.

L’institution a encore bénéficié d’un environnement très favorable. «Elle a été fortement aidée par la bonne tenue des marchés financiers en 2013», souligne l’analyste Loïc Bhend, de Bordier & Cie à Genève.

Ces efforts se lisent aujourd’hui dans les chiffres. L’an dernier, la banque réalisait un bénéfice net de 3,2 milliards de francs. Une année plus tôt, elle subissait une perte de 2,5 milliards. Et, en 2008, sa perte de 21,29 milliards avait précipité l’aide de la Confédération et de la BNS pour éviter une faillite.

Et pourtant, Sergio Ermotti est, au départ, un banquier d’affaires qui a fait la plus grande partie de sa carrière chez Merrill Lynch, un géant de Wall Street. D’abord à Londres, puis à New York. Ce parcours lui a donné les outils pour venir à bout de ce nœud gordien.

«Les affaires, ce n’est pas la famille».«Pendant toute ma carrière, j’ai créé et développé des entreprises. J’en ai vendu ou fermé d’autres, en fonction de la valeur qu’elles sont capables de générer pour leurs actionnaires. Or, dans la banque d’affaires, les chances de générer du profit deviennent toujours plus complexes avec le durcissement de la réglementation financière.»
Pas de place pour l’émotion dans cette décision. «Les affaires, ce n’est pas la famille. En ma responsabilité de directeur général, je dois créer de la valeur pour les actionnaires, et pas exprimer mes sentiments. Mon passé s’est avéré un avantage: je savais comment procéder.»

Il a confié cette responsabilité à un ancien collègue de Merrill Lynch, Andrea Orcel, «un vieil ami», comme le mentionne le magazine spécialisé Euro­money. Doté d’une grande ressemblance physique avec son patron, l’Italien, surnommé le «George Clooney de la finance» par le Financial Times, a reçu 25 millions de francs de rémunération différée répartis sur trois ans, compensant ce qu’il aurait touché s’il était resté chez son employeur précédent. Sergio Ermotti a perçu, quant à lui, 10,6 millions de francs rien qu’en 2013.

Bien qu’elle ait agi sous l’emprise de la nécessité, UBS pourrait désormais passer pour une pionnière parmi les grandes banques internationales. «Elle a été la première grande banque d’affaires qui a eu le courage de se couper le bras pour régler son principal problème. D’autres vont suivre», résume Loïc Bhend. Exemple avec la britannique Barclays, qui devrait annoncer ce printemps son retrait de cette activité. Et les rumeurs enflent sur Deutsche Bank, géant allemand d’une taille similaire à celle des deux grandes banques suisses. Principale cause: la chute des affaires dans le négoce des obligations l’an dernier, qui a plombé les résultats des maisons spécialisées déjà aux prises avec une réglementation toujours plus sévère. Or, c’est l’un des domaines dont UBS a décidé de se défaire à l’automne 2012.

La banque a pu aussi asseoir son redressement sur le fait qu’elle n’a pas été désertée. Bien que quelque 10% des avoirs sous gestion soient sortis de la banque entre 2008 et 2010, «nous n’avons perdu que 2% de nos clients», se réjouit Jürg Zeltner, patron de la gestion de fortune hors Etats-Unis. En 2013, les unités spécialisées ont recueilli 54 milliards de francs en nouveaux fonds, élevant la masse sous gestion à 1751 milliards de francs, ce qui la classe en tête de ce marché sur le plan mondial. Elle est même repassée l’été dernier devant Bank of America, qui lui avait ravi la première place pendant la crise. Cette fidélité de la clientèle se remarque aussi en Suisse, où la banque jouit de parts de marché de l’ordre de 20 à 25%, selon le responsable de la division domestique Lukas Gähwiler.

Par conséquent, l’action UBS a affiché l’une des plus fortes progressions de la Bourse suisse. Dans leur majorité, les analystes s’attendent à une poursuite de cette hausse. De même, les indicateurs de risque sont à la baisse. Les primes d’assurance contre les risques de défaut de paiement, les CDS (Credit Default Swaps), figurent parmi les plus basses des grandes banques internationales.

«La direction a compris». Les problèmes sont-ils vraiment tous résolus? «Le loup ne se transforme pas en agneau du jour au lendemain», avertit Michael Rockinger, professeur de finance à l’Université de Lausanne et spécialiste des risques.

En plus des dégâts de la crise financière de 2008, la banque a subi les errements de son trader londonien Kweku Adoboli, dont la découverte en septembre 2011 a entraîné le départ de l’ancien directeur général, Oswald Grübel. Fin 2012, elle a payé 1,4 milliard de francs aux autorités de surveillance financière suisse, britannique et américaine pour avoir participé à la manipulation du taux d’intérêt Libor. L’an dernier, elle soldait un litige portant sur la vente de titres de dettes immobilières américains pour un montant de 828 millions de francs.

Elle est toujours impliquée dans un scandale de manipulation des taux de change parmi plusieurs grandes banques internationales. Les spécialistes s’attendent à ce qu’elle doive, là encore, honorer une amende salée au montant impossible à quantifier. Depuis la fusion en 1998, le total des amendes et des règlements de litiges dépasse 5,8 milliards de francs pour des faits survenus essentiellement entre le début du siècle et 2011. Elle a constitué des provisions de 1,6 milliard de francs pour régler des litiges en cours ou prévisibles.

«La direction actuelle a compris les erreurs du passé et cherche à les corriger», souligne Michael Rockinger. La banque a échappé à une amende de plusieurs milliards en dénonçant des pratiques cartellaires poursuivies par la Commission européenne.

Dans la gestion de fortune, les boulons ont été resserrés à la suite du scandale de l’évasion fiscale qui a éclaté en 2008. Les clients européens ont été priés de se déclarer au plus vite. Aussi, la plus forte progression dans ce domaine ne viendra plus des pays s’apprêtant à instaurer l’échange automatique de renseignements fiscaux. Elle sera générée «avant tout dans les pays à forte croissance en Asie», comme l’indique Jürg Zeltner. Que se passera-t-il si le procès de son prédécesseur Raoul Weil aux Etats-Unis en novembre prochain débouche sur des révélations? La banque rappelle que, pour sa part, le dossier est clos depuis 2010.

Froncements de sourcils. La direction affirme avoir appris de ses erreurs et introduit les garde-fous internes nécessaires. Mais une nouvelle mauvaise surprise reste toujours possible. Aussi certains se demandent où éclatera la prochaine bombe, si elle éclate. «Dans les grandes structures compliquées, dont les employés sont incités à produire les résultats les plus élevés, le risque d’un dérapage reste toujours possible», observe un banquier genevois.

Apparemment, c’est ce que pensent aussi la Finma, le gendarme financier suisse, et nombre d’autorités de surveillance étrangères. Elles exigent que les grandes banques élèvent encore leurs niveaux de réserves, en les ajustant à la taille de leur bilan (le ratio de levier). Cette mesure, qui s’applique depuis plusieurs années aux Etats-Unis, classe les grandes banques suisses parmi les établissements les moins sûrs.

A la fin du troisième trimestre 2013, la Finma a exigé d’UBS un relèvement de 28 milliards de francs de ses actifs pondérés du risque, contraignant la banque à relever ses fonds propres. Ces contraintes ont été revues à la baisse à la fin de l’année: le surcroît d’actifs pondérés du risque a été ramené à 22,5 milliards.

Au rappel de cet épisode, le ton de Sergio Ermotti se durcit: «Ne rendez pas les banques suisses incapables de soutenir la concurrence mondiale avec des mesures réglementaires excessives. Et rappelez aux électeurs suisses les coûts sur leurs hypothèques d’une introduction du ratio de levier. C’est l’entier de l’histoire qu’il faut expliquer, pas seulement une moitié. Nous sommes très différents des banques américaines. On ne peut pas comparer des pommes et des poires. Les règles de contrôle qui leur sont applicables ne correspondent pas à notre réalité, qui va, en plus, bien plus loin que ce qui est imposé aujourd’hui.»

Cet agacement est peut-être dû aussi au fait que «la Finma n’a pas prévenu la direction d’UBS à l’avance, plaçant la banque devant le fait accompli», comme le fait remarquer Loïc Bhend. Le fait est que, en matière de régulation, les banquiers internationaux – pas seulement les dirigeants d’UBS – tiennent moins le couteau par le manche que par le passé. Ils peinent à admettre qu’ils ne maîtrisent pas entièrement l’agenda et que ce dernier leur réserve parfois des surprises.

De manière générale, les analystes financiers, académiciens et autres spécialistes restent perplexes face aux comptes d’UBS, comme devant ceux de toutes les multinationales. Publiées dans des rapports de plusieurs centaines de pages, les données financières sont loin de dévoiler toutes les facettes des activités complexes d’une banque de cette taille. Et c’est une limite du système. Nombre de recoins peuvent cacher des surprises, même pour une direction générale.

Morgue. Une caractéristique de la banque n’a pas disparu avec la crise: une certaine morgue. Même si elle n’est plus reconnue à l’interne, elle est encore largement ressentie, en Suisse du moins, par nombre d’acteurs des marchés et de spécialistes bancaires. Pendant longtemps, UBS a été l’incarnation de la banque où tout cadre devait faire ses preuves comme officier à l’armée. Cet aspect du fonctionnement de l’entreprise a disparu au fil des années 90. Mais il survit au travers d’une certaine raideur dans les communications avec les partenaires en affaires, voire vis-à-vis du public. Ainsi, un banquier genevois regrette qu’«UBS impose ses pratiques aux autres acteurs des marchés, déjà rien que par sa taille massive. Elle gagnerait à se montrer plus modeste.» Il est vrai qu’elle en impose avec 2,5 millions de clients privés, un ménage sur trois, une hypothèque sur cinq et plus de 40% des entreprises qui travaillent avec elle.

Cette puissance réjouit Lukas Gähwiler, le responsable de la division domestique. «Nous n’avons jamais eu autant de succès que ces quatre dernières années. Nos récents prix de “meilleure banque en Suisse” en attestent. Notre capacité d’innovation est illustrée par nos nouvelles applications de  banque par internet et par téléphone mobile», se félicite-t-il face à L’Hebdo.

La crise a permis à UBS de prendre une longueur d’avance sur nombre de ses concurrents: elle est la seule à avoir réglé le cas de sa banque d’affaires et à avoir liquidé le contentieux fiscal avec les Etats-Unis. «UBS présente un cas similaire à celui d’IBM. C’est un géant qui a manqué de disparaître mais qui est en train de se réaffirmer après s’être réinventé», analyse Sergio Ermotti. Car, même si le grand patron paraît engagé dans la bonne direction, il a encore du travail devant lui.

Il doit finir de tirer un trait sur l’héritage de la crise financière. Il doit s’assurer que la banque ne figurera plus systématiquement dans les scandales futurs. Il doit améliorer la culture d’entreprise, pour éviter les dérapages. Et, bien sûr, il doit accroître la profitabilité de sa banque tout en la rendant plus sûre. Des chantiers considérables pour un géant qui a failli s’effondrer en 2008 et qui n’est pas encore totalement sorti de sa convalescence.


Quatre artisans du redressement

Sergio Ermotti
Né à Lugano en 1960, le Tessinois entame sa carrière chez Cornèr avant de rejoindre Merrill Lynch à Zurich, Londres puis New York. En 2005, il entre à la direction de la banque italienne Unicredit et rejoint UBS en 2011.

Andrea Orcel
Le patron de la banque d’affaires est un Italien né en 1963. Après un passage chez Goldman Sachs et Boston Consulting, il entre chez Merrill Lynch, où il accède à la direction générale. Il passe chez UBS en 2012.

Lukas Gähwiler
Ce Saint-Gallois né en 1965 dirige les activités domestiques de la banque depuis 2010. Précédemment, il a fait sa carrière chez Credit Suisse, d’abord dans les activités domestiques, puis dans le secteur du crédit dans la banque privée.

Jürg Zeltner
Ce Bernois né en 1967 est responsable depuis février 2009 de l’ensemble de la gestion de fortune mondiale, à l’exception des Etats-Unis. Entré à l’ancienne SBS en 1987, il a fait l’essentiel de sa carrière dans la banque privée.


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Walter Bieri / Keystone
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