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Le futur, c’est tout de suite
L’odeur du fascisme
Quelle relation existe-t-il entre l’annexion de la Crimée et la progression considérable du Front national aux élections municipales françaises?
Guy Sorman
Cette concomitance n’est pas totalement hasardeuse: nous assistons, en Occident, à la renaissance d’une idéologie autoritaire qui place l’Etat au-dessus de la personne et enferme les individus dans une identité obligatoire, de la race, de la langue et de l’histoire imaginaire. Cette idéologie prohibe la différence, la dissidence, l’indifférence. Considérons la Crimée, où 95% de la population aurait voté pour un rattachement à la Russie. Le régime russe qui avait mis en scène ce référendum se dissimule derrière une pseudo-volonté populaire, évidemment unanime: les 5% de refus étaient une concession virtuelle aux minorités non russes de Crimée. (…) Comment ne pas reconnaître dans l’idéologie poutinienne le bon vieux fascisme tel qu’il avait été défini par Mussolini en son temps: «Tout pour l’Etat, tout par l’Etat, rien en dehors de l’Etat.» Mussolini était l’Etat de même que l’est Poutine. Fascisme? On hésite à utiliser ce terme tant il a servi pour la gauche européenne à désigner n’importe lequel de ses adversaires. Ne devrait-on pas réserver l’usage du mot fascisme strictement à ceux qui s’en réclamèrent, il y a bientôt un siècle? Mais le fascisme réel est à la fois daté et une idéologie universelle et intemporelle. Il s’est bien constitué, au XXe siècle, une idéologie singulière qui nie l’individu au nom de l’Etat et qui, simultanément, se réclame du progrès technique. Poutine, à cet égard, peut être considéré comme un fasciste authentique. Devrait-on, de la même manière, considérer que le Front national en France est un parti fasciste? Là encore, on hésite puisque les succès de ce parti ont été consacrés par les électeurs lors d’un scrutin démocratique et transparent. Mais les fascistes historiques aussi avaient conquis le pouvoir par des élections libres: Mussolini, puis Hitler furent élus, une seule fois. L’idéologie du Front national est incontestablement fasciste: dans la France telle qu’on l’imagine au Front national, les Français authentiques, de souche, disposeraient de droits supérieurs à ceux des «résidents venus d’ailleurs»: au Front national, cela s’appelle la «préférence nationale». (…) Ces fascismes russe ou français – et toutes autres manifestations comparables en Europe – ne surgissent pas par hasard, mais dans un contexte qui les rend attractifs pour une fraction significative des peuples en Occident. Ce fascisme, à notre sens, naît du vide qui l’entoure: les peuples, collectivement ou individuellement, éprouvent la nécessité de replacer leur destin personnel sur une scène historique. Sans une narration qui nous dépasse, quel serait le sens de nos vies brèves, de nos heurs et malheurs? De nos malheurs surtout. Le fascisme propose une narration et une solution: il soulage l’individu de sa responsabilité personnelle, il donne du sens à ses malheurs, il offre une rédemption immanente. Le fascisme, comme son jumeau communiste naguère, se nourrit du recul des religions et des idéologies libérales. Le dénoncer ne sert à rien, aussi longtemps qu’une narration alternative ne le concurrencera pas. (…) Pour contrer le néofascisme, devenons plus modernes et plus futuristes qu’il ne l’est. Mais vociférer contre lui n’est d’aucune efficacité.
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Bonjour le code (social)!
Politesse et démocratie
Réflexions autour d’une conférence de la sociologue Dominique Schnapper.
Sylviane Roche
Je suis allée écouter une conférence de Dominique Schnapper à Lausanne. (…) Spécialisée dans la sociologie politique, elle est aussi la fille du philosophe Raymond Aron. (…) Quelle n’a pas été ma stupéfaction! Nous étions dix dans un immense auditoire! Pas un sociologue, pas un prof, pas un journaliste, pas un étudiant (si, pardon,une qui se cachait au dernier rang comme prise en faute), et, bien entendu, pas une personnalité politique (…). Mme Schnapper, parfaitement polie, elle, a fait sa conférence devant les chaises vides sans paraître les remarquer, et c’est une partie de ce qu’elle a dit dont je voudrais parler ici. Il s’agissait donc des menaces qui pèsent sur la démocratie, en partant d’une réflexion de son père qui a dit que celles-ci sont dues non seulement aux manquements à la démocratie, mais aussi à ses excès. Et c’est de ceux-ci qu’elle a parlé. (…) Ces dangers sont au nombre de trois: lorsque l’autonomie des citoyens vis-à-vis des institutions, normale en démocratie, se transforme en indépendance (…); lorsque la liberté se transforme en licence, par exemple quand l’exigence d’immédiateté des résultats, caractéristique de notre époque, amène à remettre en question, non l’usage qui est fait des institutions, mais ces institutions elles-mêmes; et enfin lorsque l’aspiration à l’égalité qui est un fondement de la démocratie, se transforme en… semblablitude, néologisme pour éviter l’ambiguïté du mot identité, pris ici non au sens de ce qu’on se sent être, mais d’identique, de semblable. (…) Car dès lors, et c’est ce à quoi on assiste aujourd’hui, toute caractérisation est ressentie comme discriminatoire, toute reconnaissance d’une différence interprétée en termes d’inégalité. Pourtant – et tous les sociologues ont insisté là-dessus – la volonté de distinction est consubstantielle aux sociétés démocratiques égalitaires. (…) En réfléchissant aux propos de Dominique Schnapper, je me disais que son analyse appliquée à la vie publique et à la cité, pouvait très bien convenir à la vie privée. Par exemple le refus de reconnaître certaines différences liées à l’âge, au sexe, à la fonction, à l’expérience, et donc d’avoir pour eux des égards particuliers; cette tendance désolante à ne plus jamais «s’habiller» pour ne pas se distinguer justement, ne pas pêcher contre la sacro-sainte égalité du jeans et du T-shirt couleur de muraille qui aligne tout le monde dans la même laideur monotone (…) Alors une société qui respecte le code des égards, polie au premier sens du terme, serait comparable à la démocratie. Et celle du «j’ai bien le droit de» marcher sur les pieds de la vieille dame pour m’asseoir à sa place ou dire j’aime pas ça à l’ami qui a passé la journée à me préparer un repas, serait une sorte de société dictatoriale où règne le plus fort ou le plus violent. A méditer, non?
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Les non-dits de l’économie
Monnaie vide et monnaie pleine
Sur le lancement d’une initiative pour limiter le pouvoir des banques.
Sergio Rossi
La crise financière systémique éclatée en 2008 au plan global a révélé que les banques sont essentielles pour le fonctionnement (dans l’ordre comme dans
le désordre) du système économique contemporain. Elles émettent en effet les unités de monnaie nécessaires pour le règlement des transactions économiques à travers l’ensemble des marchés. (…) L’émission monétaire n’est toutefois pas suffisante pour assurer que le système économique fonctionne de manière ordonnée. Il est impératif, pour ce faire, que toutes les unités de monnaie émises par le système bancaire (formé par la banque centrale et les banques secondaires du même espace monétaire) soient associées à la production d’un revenu afin d’éviter la formation d’un écart inflationniste (…). L’objectif de l’initiative pour une «monnaie pleine» (Vollgeld) qui devrait être lancée en Suisse prochainement consiste, justement, à empêcher que les banques puissent abuser de leur pouvoir «monétatif», à travers l’octroi de crédits qui font augmenter la masse monétaire (entendez les dépôts bancaires) sans une augmentation équivalente du produit et du revenu national. La solution proposée par les initiants est, toutefois, trop contraignante car elle revient à attribuer uniquement à la banque centrale la capacité d’émettre des unités de monnaie, qui seraient dès lors distribuées aux agents économiques en fonction de leurs besoins (de production et de consommation). (…) Une réforme monétaire moins radicale consisterait à rendre explicite le véritable objet du crédit bancaire, distinguant les crédits qui produisent un revenu nouveau dans l’ensemble du système économique de ceux qui ne font que transmettre un pouvoir d’achat préexistant. (…) Quoi qu’il en soit, l’initiative pour une «monnaie pleine» lance un débat fondamental pour la compréhension de la cause essentielle de la crise financière systémique dont les effets négatifs continuent de sévir dans bien des pays. Elle mérite de ce fait l’attention des décideurs politiques et de l’ensemble des parties prenantes, y compris les banques, qui ont un intérêt certain à la stabilité financière du système économique dont elles tirent leurs profits ainsi que les rémunérations de leurs dirigeants.
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Blog dans le coin
Le Valais à la croisée des chemins
Une série d’articles pour mieux comprendre le «Vieux-Pays».
Vincent Pellissier
Aujourd’hui, de nombreux points d’ancrage traditionnels sont mis à mal. Cette perte de repères met le canton du Valais, peut-être un peu plus que d’autres régions du pays, à un point de bascule. (…) Sans avoir l’ambition d’être exhaustif, je publierai les semaines prochaines dans mon blog une série d’articles passant en revue quelques points saillants mais aussi diverses thématiques plus générales sous l’angle de la «valaisannité». (…) Ces réflexions posées sur un canton particulier, le mien, souffriront évidemment du biais de perception que je peux en avoir. (…) Mais il s’agira tout de même d’une approche croisée: une vision interne, puisque j’y habite, mais également externe, puisque l’occasion m’est souvent offerte de travailler à l’extérieur du Vieux-Pays (appellation d’ailleurs lourde de sens et de préjugés qui mériterait, à elle seule, un article complet). Canton périphérique, montagnard (mais pas que), bilingue, s’appuyant sur une économie touristique et industrielle importante, le Valais est un sujet qui «raisonne» dans tout le pays (…).