Trajectoire.La correspondante de la RTS en Israël publie un livre sur ce pays dans la collection L’âme des peuples. Une manière de retrouvailles avec son grand-père, juif roumain d’Alexandrie, qui sillonnait en train une région alors «fluide».
Lorsque Aude Marcovitch habitait en Suisse, la personne derrière le guichet chargée d’enregistrer son nom lui demandait immanquablement: «Marcovitch, ça s’écrit comment?» Depuis que la correspondante de la RTS vit en Israël, la question est: «Comment écrit-on Aude?» «C’est une anecdote, mais elle symbolise parfaitement ma double appartenance», rit-elle.
Aude a une sœur, Valérie, et toutes deux ont grandi à Lausanne, puis à Orges, près d’Yverdon. Leur mère est Lausannoise, fille de Lausannois avec échappée neuchâteloise. Leur père, lui, était né à Alexandrie d’un couple de juifs roumains qui s’étaient rencontrés à Istanbul.
Lorsqu’il est mort, en 2012, les deux sœurs se sont retrouvées autour du cercueil, chacune avec son mot d’adieu. A les entendre, on avait peine à croire qu’elles aient grandi ensemble. Valérie la Vaudoise a l’accent du nord du canton qu’elle n’a jamais quitté, où elle s’est mariée et travaille comme institutrice. Aude la cosmopolite parle comme la Parisienne qu’elle a été durant ses études postgrades en relations internationales. En des circonstances plus gaies, elle bondit volontiers sur la table pour gratifier l’assemblée d’une danse du ventre de son cru. La double appartenance, ça invite à choisir ses loyautés.
Samovars d’enfance. C’est donc loin d’être un hasard si la journaliste, qui a débuté au Temps, se retrouve depuis maintenant cinq ans et demi correspondante en Israël. Et si c’est elle qui signe le livre que lui consacre la collection L’âme des peuples*. «La Suisse est un petit paradis mais j’avais profondément besoin de sortir de cette zone de confort, dit-elle depuis Tel-Aviv. Et aussi de connaître ce pays et ces gens, qui ont vécu tant de drames, et me passionnent.»
Le désir d’Orient a précédé chez Aude l’intérêt pour Israël. Il est né, dans l’appartement de son enfance, du parfum des samovars et des tableaux de son grand-père, un marchand de couleurs que les peintres payaient parfois en nature.
D’Alexandrie où il vivait, ce grand-père sillonnait la région en train, raconte la journaliste en avant-propos de son livre: il allait du Caire à Jaffa, poussant parfois jusqu’à Beyrouth et Damas. C’était du temps où «le Moyen-Orient était un espace encore fluide», un espace qui, en lui-même, attire la petite-fille d’Osias Marcovitch. «J’ai des cousins au Liban, qui sont chrétiens et musulmans, des amis en Syrie et en Egypte. Ma grande tristesse, c’est qu’à la plupart de ces amis je ne peux pas dire que j’habite en Israël. La tension politique est telle ici qu’un Syrien ou un Libanais ne peuvent pas comprendre que l’on puisse vivre dans ce pays ennemi par simple intérêt personnel.»
Le livre. Le Moyen-Orient n’est plus fluide et la rupture scande le destin des gens qu’Aude Marcovitch côtoie désormais. Elle en a fait le fil rouge de son livre: une «blessure féconde», c’est ce qu’ont en commun les dix Israéliens dont elle fait le portrait, en guise de portrait collectif.
Dirigée par Richard Werly, journaliste au Temps, la collection L’âme des peuples ambitionne d’offrir une vision plus intime de ces pays qui font souvent la une de l’actualité mais dont les ressorts profonds restent opaques. L’ouvrage sur Israël sort en même temps que ceux sur le Rwanda et le Brésil.
La formule de la galerie de personnages, choisie par Aude Marcovitch, dessine un portrait national forcément partiel et impressionniste. N’empêche, elle fait bien sentir le tempérament spectaculairement contrasté d’un peuple qui oscille entre vertige religieux et culture du «cool».
On y croise une fille de laïques devenue ultraorthodoxe au grand désespoir de ses parents. Une descendante de pionniers sionistes qui se découvre un pan de famille arabe, issu d’amours interreligieuses illégitimes. Un militant palestinien qui a passé vingt-trois ans en prison. Ou un ex-espion du Mossad, découvrant sur le tard que son père était lui-même espion. Loyautés, loyautés.
«Israël, les blessures d’un destin». D’Aude Marcovitch. Nevicata, 90 p.