Faut-il introduire un salaire minimum de 4000 francs? L’initiative des syndicats a été lancée en 2011, comme celle «Contre l’immigration de masse», qui a connu le succès que l’on sait. Les milieux économiques et les partis de droite sont inquiets: après le 9 février, le pays ne peut tout simplement pas se permettre une nouvelle tocade réglementaire. La Suisse doit sa bonne santé économique actuelle à des conditions-cadres souples et libérales. Fixer une rémunération plancher rigidifierait le marché du travail au plus mauvais moment.
La gauche fait l’analyse inverse et voit dans le vote du 18 mai l’occasion de réparer celui du 9 février. La fixation d’un salaire plancher serait un instrument pour lutter contre le dumping salarial. La conjoncture risquant de souffrir des incertitudes liées à l’introduction des contingents, des fiches de paie rehaussées généreraient un bonus de pouvoir d’achat, opportun soutien à la croissance.
Enfin, si les syndicats ont choisi l’arme de l’initiative populaire, c’est parce qu’ils avaient le sentiment de ne plus avoir d’interlocuteurs. Depuis vingt ans, depuis la parution du Livre blanc appelant à la déréglementation, le mythique partenariat social a été peu à peu vidé de son sens. L’indexation automatique des salaires à l’inflation, qui ne se discutait pas naguère, est devenue une rareté. L’extension des conventions collectives de travail n’a pas du tout été encouragée, laissant trop d’employés livrés aux lois de la jungle. L’économie y a peut-être gagné en compétitivité, mais la cohésion sociale s’en est trouvée dangereusement minée. La facture s’appelle Minder et quotas, autant de signes d’exaspération d’une majorité de votants devant cette «formidable croissance» qui ne profite pas à tous.
Les adversaires des 4000 francs ont de bons arguments, mais leur attachement aux «conditions qui ont fait le succès de la Suisse» serait plus crédible s’ils n’avaient pas attaqué ces dernières années les dispositifs d’aide sociale et les régimes AI avec virulence.
S’opposer au salaire minimum oblige à ne pas honnir les budgets de l’aide sociale, sauf à assumer cyniquement que les pauvres n’ont qu’à le rester. Un tiers des bénéficiaires de l’aide sociale sont des enfants ou des adolescents dont les parents ne gagnent pas assez pour subvenir à leurs besoins. Faut-il s’y résigner? La moitié des 300 000 bénéficiaires potentiels de l’initiative sont des détenteurs de CFC. Peut-on encenser la voie de l’apprentissage et fermer les yeux sur le fait qu’elle n’assure pas, après plusieurs années d’expérience, des salaires corrects? Un non le 18 mai ne clora pas le débat sur la distribution des fruits de la croissance.