Zoom. Matière bon marché et futuriste, le similicuir sort des étalages de la grande distribution pour arriver dans les vestiaires des grandes maisons de prêt-à-porter.
– Wouah, il est beau votre sac, c’est quoi? Givenchy? Prada?
– Non, Madame, c’est Zara.
– Aaah…
Si vous êtes Zaraphile, cette scène vous est familière. C’est un de ces moments de gloire où vous, la modeuse fauchée, déclenchez la convoitise d’une nantie grâce à votre sac à main en similicuir. Il faut dire que le faux leather n’a plus rien du caoutchouc collant et puant des années 90.
Aujourd’hui, le plus beau, c’est le faux. La saison dernière, Zara créait l’hystérie de milliers de clientes en commercialisant un Perfecto en simili subtilement grainé. Rupture de stock dans le monde entier: la veste en question coûtait moins de 150 francs. En vrai cuir, elle aurait démarré à 400. Surprise: le luxe s’y met aussi. On croyait pourtant les grandes marques allergiques aux imitations, synonymes de vulgarité. Vieille histoire.
Plusieurs gammes
Sur les podiums, le similicuir profite de la tendance sportive et high-tech qui envahit la mode féminine depuis quelques saisons. On le retrouve sur les Perfecto Junya Watanabe, les trenchs Burberry, les pulls Saint Laurent, les T-shirts Givenchy ou encore les accessoires Prada. Exit la période heritage, le luxe aux accents d’artisanat. Place au similichic, à la modernité et aux matières contemporaines.
Petite précision sémantique: sachez que parler de similicuir dans le milieu du luxe est très mal vu. Sricto sensu, ce terme désigne les enductions de PVC créées dans les années 50 par l’industrie de l’ameublement pour répondre au boom économique de l’après-guerre. Pas très glamour. «La mode s’est approprié cette technologie dans les années 70, Courrèges en tête, pour en faire de la toile cirée, c’est-à-dire enduite d’un aspect vernis», détaille Celestino Panzeri, de la division tissu et revêtement de Limonta, grande entreprise italienne de textiles.
Version bon marché, cette toile cirée permet de dupliquer l’aspect du cuir en grande quantité et à bas prix. C’est elle que l’on retrouve chez les Zara ou H & M, non plus made in Europe, mais made in China. Il y a aussi la version luxe, celle que produit Limonta. Plus sophistiquée, elle peut s’inspirer de l’aspect du cuir, mais aussi de celui d’autres matières comme la gomme. Et, là, on ne parle plus de toile cirée mais de toile enduite. Vous suivez? Cette toile-là a fait la fortune des grandes maisons de mode dans les quarante dernières années, notamment parce qu’elle permet d’imprimer des logos sur des sacs. «Mais la demande de ces maisons pour la toile enduite a fortement augmenté ces dix dernières années», précise Celestino Panzeri.
L’argument massue de la toile enduite? Le prix, bien sûr. Tanner une vraie peau puis la travailler, c’est long et cher. La toile enduite permet d’obtenir un produit innovant et abordable. Enfin, façon de parler. Chez Marni, un sac à main en faux cuir dépasse tout de même les 1000 francs. Un peu cher, non? «Il y a une façon de dessiner et de monter le produit dont seules les grandes marques ont le secret. Et le prix reste inférieur à celui d’un produit en vrai cuir: le simili permet de faire le lien entre le luxe et le luxe accessible», répond Jérôme Bloch, responsable du studio hommes du bureau de style Nelly Rodi, à Paris.
High-tech
L’avantage décisif du cuir synthétique, c’est sa valeur ajoutée technique. Contrairement au cuir, le simili haut de gamme est un véritable caméléon. Léger et confortable, il peut être coloré, vieilli, découpé au laser ou orné de motifs sans risquer de s’abîmer. Il peut même être parfumé d’une odeur de véritable cuir. Des possibilités infinies qui attirent les grandes marques en quête constante d’innovation.
Ces développements dans le domaine de la toile enduite sont en partie liés à la raréfaction du cuir. Les peaux sont chères, produites de façon polluante. Et une peau de bête entière est nécessaire pour produire deux ou trois sacs. La matière première, c’est le nerf de la guerre. Au point que Louis Vuitton et Hermès ont acheté des cheptels entiers où tailler leurs propres peaux.
Tout le contraire de la créatrice britannique Stella McCartney, issue d’une famille végétarienne, qui bannit, pour des raisons éthiques, fourrure et cuir de sa mode «écologiquement correcte». Avec son «alter cuir» végan et ultrasophistiqué, elle reste toutefois un épiphénomène dans l’univers du prêt-à-porter de luxe. «Le jour où l’on aura un simili communicant où l’on intégrera par exemple de la fibre optique, il pourrait remplacer la vraie peau. La valeur ajoutée technique est la seule façon de différencier cette matière sur le long terme», conclut Jérôme Bloch. Et, ce jour-là, le simili aura définitivement tanné le cuir.
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