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Lausanne-Amsterdam en voiture électrique

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Jeudi, 1 Mai, 2014 - 05:50

Testé pour vous. Parcourir de longues distances en roulant à l’électron est désormais possible, sans (trop) d’encombre. Expérience en Tesla Model S, au gré des superchargeurs installés par la marque californienne en Europe.

Il paraît que la première automobile qui est entrée en Suisse, à la fin du XIXe siècle, était une Peugeot venant de Franche-Comté. Comme elle s’est trouvée à court de carburant vers La Chaux-de-Fonds, son conducteur a été contraint d’aller acheter un grand flacon de gazoline chez un pharmacien de la région. A l’époque, les relais routiers étaient plus portés sur le foin que l’hydrocarbure. Le concept des stations-service était encore dans l’éther.

Cette histoire me revient en tête alors que je me parque devant la rédaction de L’Hebdo en ce mardi 15 avril. La voiture que je conduis, et dans laquelle a embarqué toute ma petite famille (deux adultes, deux enfants), est une Tesla Model S 85 kWh, une berline 100% électrique. La jeune marque américaine est en train d’installer des bornes de recharge ultrarapide en Europe (voir L’Hebdo No 5). Ces stations ouvrent sur des aires d’autoroute pour encourager les possesseurs de Tesla à parcourir de longues distances, au contraire des autres véhicules électriques à l’autonomie limitée, surtout cantonnées à l’environnement urbain.

Il n’existe pour l’heure qu’une quinzaine de stations de superchargeurs Tesla en Europe, dont une en Suisse, à Lully, dans la Broye fribourgeoise. Comme quatre de ces stations ont ouvert en Allemagne, et deux aux Pays-Bas, la marque de la Silicon Valley assure que le trajet Genève-Amsterdam peut désormais être parcouru facilement en Model S. Une affirmation encore théorique que L’Hebdo a voulu mettre en pratique, même si le conducteur se sent, à l’instant présent, un peu dans la peau du conducteur de la Peugeot il y a plus d’un siècle.

Imprévu
Départ de la rédaction à 9 h 30 du matin en cette splendide journée. Tesla assure que le rayon d’action de son unique modèle est de 500 km. C’est une évaluation elle aussi théorique, correspondant à des conditions de roulage idéales à une vitesse moyenne de 88 km/h. Dans le monde réel, cette autonomie est plutôt de 400 km. Pas de quoi se plaindre: c’est le double de la portée des autres voitures électriques. Expérience faite, sur autoroute, à une vitesse moyenne de 120 km/h, avec la climatisation, la radio, l’internet, le GPS ou un téléphone anémique sous perfusion d’électrons, bref presque comme dans la vie de tous les jours, le vrai rayon d’action descend à un peu plus de 300 km.

Je vais un peu vite en besogne, surtout que je roule à 100 km/h sur l’A1 vers la station de Lully. Prise en charge à Genève, où ouvrira bientôt un centre Tesla, la lourde berline a quitté Lausanne avec 300 km d’autonomie. Bien heureusement, les superchargeurs de la Broye ne sont qu’à 60 km. La fameuse «range anxiety» (trouille de l’autonomie) propre aux conducteurs de voitures électriques n’est que relative. Sur place, six bornes de recharge m’attendent. Elles ont une puissance de 120 kW en courant continu, dix fois plus que les autres types de stations électriques. De quoi remplir à 50% la batterie en 20 minutes, et à 80% en moins d’une heure. Effectivement, 50 minutes plus tard, la voiture affiche 400 km d’autonomie. Le temps de brancher en un tour de main le câble de la borne à la prise de la Tesla, cachée derrière une trappe sur le flanc gauche, vers la poupe.

Zéro franc
Comme le service est gratuit dans toutes les stations de Tesla, et qu’il n’y a pas de péages autoroutiers en Allemagne ou aux Pays-Bas, le trajet lui-même reviendra à 0 franc.

Au départ de Lully, après pourtant un petit-déjeuner paisible, la «range anxiety» me saisit d’un coup. Sur l’autoroute la plus directe vers Amsterdam, la prochaine borne est en Allemagne, à Bad Rappenau. A 415 km! Il y en a bien une à 360 km à Aichstetten, du côté de Munich, mais cela occasionne un long détour. La belle assertion de Tesla, Genève-Amsterdam les doigts dans le nez, commence à se fragiliser. Or la voiture est équipée d’un écran tactile de 17 pouces, branché en permanence sur internet. Un tour sur le site Chargemap pour repérer une borne de Type 2 à Bâle, dans un garage Renault. Un coup de téléphone au garage pour s’assurer que la prise est disponible: elle l’est. La borne est beaucoup moins puissante qu’un superchargeur, mais suffit à ajouter 100 bons kilomètres à la voiture en une heure à peine. Une heure consacrée au repas de midi: il en va ainsi du rythme de la conduite au long cours dans ce nouveau monde rechargeable. Le trajet est marqué de pauses obligatoires, plus longues qu’à l’accoutumée, mises à profit pour se reposer ou travailler. C’est du «slow travel» économe en énergie et en stress, et enrichi en qualité de vie.

Coup de sang
L’habitacle sans nuisance sonore facilite le sommeil des enfants, on parle sans élever la voix, la musique s’écoute à faible volume. Rouler à 110 km/h sur autoroute n’est certes pas véloce, mais l’allure est plus rapide que celles des innombrables poids lourds et on s’y habitue vite. Si la Tesla Model S est capable de rouler à 200 km/h, le conducteur est peu tenté de chatouiller cet extrême sur une autoroute allemande, tant l’autonomie de la voiture en prendrait un coup. La vitesse idéale pour économiser les batteries sur autoroute oscille autour des 115 km/h. A 120 km/h et plus, l’électrolyte commence à s’épuiser bien plus rapidement. Alors même que la différence en temps de trajet n’est pas si importante.

J’ai été klaxonné une fois du côté de Baden-Baden, par un conducteur d’Opel Astra ganz énervé par mon train placide. Quelques kilomètres plus loin, un grand panneau autoroutier conseillait «Runter vom Gas!» (doucement les gaz). Effectivement. Dans la voiture, personne ne prête attention au coup de sang du type à l’Opel. Chacun est absorbé par l’écran d’un appareil lui aussi rechargeable. Sauf le conducteur bien sûr, qui, lui, ne recharge que sa cigarette électronique sur le système de bord. L’ère du plug-in, tout de même…

Cinquante minutes d’arrêt à Bad Rappenau, dans l’après-midi. Puis 250 km plus loin, une bonne heure à Wilnsdorf, où une autre Tesla rouge, celle d’un habitant de la région, s’abreuve en courant continu à la station de recharge. Repas du soir et départ pour la frontière néerlandaise. A minuit pile, une petite halte de 15 minutes aux bornes Tesla de Zevenaar, à 100 km du but, pour être sûr d’atteindre Amsterdam. L’hôtel est en vue à 1 heure du matin, après 1066 kilomètres jalonnés de cinq arrêts pour redoper les batteries au lithium-ion.

Quinze heures et demie de route au total, certes pas un record de vitesse, mais dans des conditions de conduite sécurisantes, peu fatigantes. Energie totale consommée: 225 kWh. Voyager sur longue distance en voiture électrique est désormais possible, même s’il faut parfois encore improviser pour trouver un branchement. Ce ne sera plus longtemps le cas: après les Etats-Unis, Tesla installe à bon rythme ses superchargeurs un peu partout en Europe. Une station devrait ouvrir au Tessin, et une autre sur la route en direction de l’Engadine depuis Zurich.

Le lendemain matin, je suis allé remettre la Tesla au magasin de la marque dans le centre d’Amsterdam, non loin du Rijksmuseum. Je l’ai laissée là, sur une place pourvue d’une borne de recharge, comme la ville néerlandaise en compte désormais tant. Le retour s’est déroulé avec un avion low cost, en sifflant des hectolitres de kérosène. Mais en une heure dix.

lucdebraine@hebdo.ch
Twitter: @LucDebraine

 

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Luc Debraine
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