Analyse.La banque est convaincue d’évasion fiscale. Pourtant, ses dirigeants jurent qu’ils n’en savaient rien. Une ligne de défense qui ne convainc plus personne.
Au printemps 2009, Credit Suisse aurait pu profiter du règlement de l’affaire UBS pour régler son contentieux fiscal avec les Etats-Unis. Alors qu’elle s’apprêtait à donner main-forte à la grande banque de la Bahnhofstrasse, la Confédération a envisagé d’étendre son programme à l’ensemble de la place financière. «Cela ne s’est finalement pas fait car les autres banques ne voulaient pas être mêlées à cette histoire», se souvient un témoin.
UBS a finalement réglé son cas en août 2009 par une amende de 780 millions de dollars et la remise de 4450 noms de clients aux autorités américaines. Si les autres établissements avaient participé, la Suisse se serait épargné de nombreuses années de crise avec les Etats-Unis. Aujourd’hui, 106 de ses banques plaident coupables et 14 autres font l’objet de procédures séparées. A commencer par Credit Suisse, accusé d’avoir aidé 12 000 Américains à frauder le fisc entre 2001 et 2008.
Les ricanements de la place financière
Brady Dougan, son directeur général, et Urs Rohner, son président, étaient aux avant-postes à l’époque des faits. Le premier dans sa fonction actuelle, le second comme directeur juridique.
Face au Sénat américain en février dernier, Brady Dougan a rejeté la responsabilité des actes délictueux sur une poignée d’employés indélicats. Cette ligne de défense a provoqué l’ire des Américains et les ricanements de toute la place financière en plus de ceux de l’opinion publique suisse. Mais le grand patron est resté en place, tout comme son président.
Cette attitude fait courir un risque mortel imminent à la banque. La procédure judiciaire américaine, ouverte en 2011, devrait se conclure dans les prochains jours ou semaines. Credit Suisse risque une plainte pénale. Certes, les autorités d’outre-Atlantique réfléchissent à une solution qui permettrait de punir sévèrement les banques «trop grandes pour être châtiées» (too big to jail) sans provoquer des fermetures brutales dommageables à l’économie. Mais le recours à un tel instrument reste à leur discrétion.
La banque négocie un aveu de culpabilité (guilty plea) avec le Ministère américain de la justice (DOJ). Une manière d’éviter le pire. Cependant, cette stratégie a un prix: une amende estimée à 1,4 milliard de dollars (1,2 milliard de francs).
Le duo Rohner-Dougan vers la sortie?
Cette pénalité est le moindre mal. La banque a largement de quoi payer. Elle a déjà provisionné 700 millions de francs. Le solde ne ferait qu’entamer son bénéfice net (2,326 milliards de francs en 2013). En décembre 2012, UBS s’est acquitté d’une amende bien plus élevée, 3 milliards de francs, pour liquider le scandale du Libor.
Pour un management, mieux vaut payer une grosse amende et rester en place. Mais cela ne se passe pas toujours ainsi. La crise d’UBS aux Etats-Unis entre 2008 et 2012 a contraint plusieurs dirigeants au départ, à commencer par Marcel Ospel, puis ses successeurs Peter Kurer, Marcel Rohner et Oswald Grübel. En ira-t-il de même au CS avec un retrait de Brady Dougan et d’Urs Rohner? La question est grande ouverte.
Le directeur général et le président vont affronter leurs actionnaires ce vendredi lors de l’assemblée générale annuelle. Celle-ci sera houleuse. Plusieurs organisations de défense des actionnaires, à commencer par la suisse Ethos et l’américaine Glass Lewis, recommandent de refuser la décharge au conseil d’administration à cause du coût du règlement des différentes affaires. Glass Lewis s’oppose même à la réélection d’Urs Rohner.
Leurs chances de succès sont très minces. Mais ils pourraient finalement obtenir gain de cause si les autorités de surveillance financière intervenaient de façon musclée. Que la Finma juge que le management a menti et c’en est fait du duo Rohner-Dougan. Une issue qui pourrait même survenir très vite si les Américains s’en mêlaient. Peut-être les deux dirigeants sont-ils même déjà en train de boucler leurs valises en toute discrétion. En regrettant de ne pas avoir réglé la question de l’évasion fiscale américaine en 2009 déjà comme cela leur avait été proposé.
yves.genier@hebdo.ch
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