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Méditation: comment Google propage la bonne parole

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Jeudi, 8 Mai, 2014 - 05:51

Reportage.Chade-Meng Tan, l’un des pionniers du célèbre moteur de recherche, a développé une méthode de méditation pour soulager l’individu au travail. Il en va de la paix dans le monde, dit-il. Vaste plan com? Rencontre à Paris.

Comment ne pas se sentir minuscule face à pareille grandeur? Google, l’infaillibilité faite entreprise. En phase avec son temps. Mieux, le dominant. Pas étonnant qu’on rende les armes, converti d’avance. Cet Olympe de l’information, le bien nommé Mountain View, en Californie, est décidément parfait.

Larry Page et Sergueï Brin en sont les mythiques géniteurs. Sur les marchés, leur création vaut plus de 300 milliards de dollars. Rien ne semble pouvoir entraver sa croissance. Rien? Si, quelque chose, bien sûr, sinon les Etats-Unis ne seraient pas la machine à rêves qu’ils sont restés, la réussite procédant de l’échec et inversement. Aussi surprenant que cela puisse paraître, les dieux, demi-dieux et héros formant cette armée d’ingénieurs hors du commun, les googlers dans le jargon corporate, sont donc faillibles. Un grave danger les menace: le stress et ses effets dévastateurs.

Chade-Meng Tan fournit l’antidote. Originaire de Singapour, ce prodige de l’informatique, «numéro 107» dans l’ordre d’entrée chez Google, qu’il intégra en l’an 2000, a développé un programme de méditation destiné aux cadres guettés par le surmenage et expérimenté chez son employeur depuis 2007.

Meng, comme l’appellent ses proches, a par ailleurs rédigé un livre à l’intention du grand public, intitulé Searching Inside Yourself, clin d’œil à Google Search, le nom du célèbre moteur de recherche. Dans sa traduction française complète: Connectez-vous à vous-même. Une nouvelle voie vers le succès, le bonheur (et la paix dans le monde) – la parenthèse indiquant sans doute le caractère humble et pour l’heure hypothétique de l’immense ambition.

Cette méthode de la vie zen par temps cyclonique s’appuie sur l’enseignement de deux maîtres américains, qui préfacent l’ouvrage. De véritables stars, pour ceux, nombreux, qui connaissent et fréquentent ce milieu versé dans une certaine spiritualité. Jon Kabat-Zinn, professeur émérite de médecine, auteur d’une thèse en biologie moléculaire, a développé le concept de méditation de pleine conscience, en anglais mindfulness meditation.

Gourou et joyeux drille
Chade-Meng Tan le combine avec les théories du psychologue Daniel Goleman sur L’intelligence émotionnelle, titre d’un best-seller paru en 1999 en français, qui donnait les clés du contrôle de soi. Kabat-Zinn et Goleman sont membres du Mind and Life Institute, un aréopage de scientifiques et de contemplatifs nourris de philosophie bouddhique, dont la branche européenne est basée à Zurich.

Il y avait foule la semaine dernière à Paris, dans la mesure des places disponibles, pour écouter Chade-Meng Tan, «gourou» néo-new age de 41 ans au sourire perçant, alternant les positions en tailleur et debout au moment de délivrer son message. Mardi soir 29 avril, il était au siège parisien de Google, un superbe hôtel particulier entièrement restauré, doté d’une grande cour pavée, auparavant occupé par l’assureur AXA.

Le lendemain, il répétait sa performance au Palais Brongniart, l’ancienne Bourse de Paris, devant plus de monde encore. Lors de ces deux conférences, son «ami» le moine bouddhiste français et traducteur du dalaï-lama, Matthieu Ricard, le secondait dans un numéro d’une parfaite efficacité, à certains moments clownesque – Chade-Meng Tan ne porte-t-il pas, à Mountain View, le titre de «Jolly Good Fellow», le joyeux drille?

Tout de noir vêtu, s’exprimant en anglais, le conférencier portait une blouse chinoise à motifs soyeux. Son interprète et complice était couvert de son habituelle toge rouge et ocre laissant apparaître un bras nu.

La méthode Meng
Google France a récemment introduit la méthode Meng dans ses murs. Les 350 salariés de la filiale peuvent s’inscrire à un cours de méditation de pleine conscience, dispensé en interne à raison de plusieurs sessions. «Cela se passe sur la base du volontariat, il n’y a aucune obligation», précise Dorothée Burkel, directrice des ressources humaines de la société pour l’Europe du Sud, le Moyen-Orient et l’Afrique. «Je vais suivre une formation en juin», confie une jeune salariée de Google assistant à la conférence et préférant garder l’anonymat.

En attendant et depuis janvier, cette «fan de Matthieu Ricard», diplômée d’une école de commerce et développeuse de process et de business planning, s’astreint à 20 minutes de méditation quotidienne, de préférence le matin, aux alentours de 6 h 45. «J’utilise une application sur un site internet, Headspace, développée par un ancien moine bouddhiste, explique-t-elle. Ça m’apporte du calme et me rend davantage consciente de mes émotions. Il le faut bien: j’ai un boulot prenant, deux enfants en bas âge et une vie parisienne. Il y a des moments où tout déborde. Aujourd’hui, j’ai fait ma méditation à 15 heures.»

L’avantage, comprend-on, de la recette conçue par Chade-Meng Tan sur toutes les autres tient à son effet rapide sur l’individu, un atout en milieu professionnel, où le temps presse. La «pleine conscience» telle que pratiquée par le Singapourien, est une manière de faire le «tour des sens» en quelques minutes, la respiration jouant un rôle central. Il s’agit notamment de plaquer sa concentration sur les parties du corps, grosso modo de la tête aux pieds.

C’est toutefois plus que ça: ce type de méditation, allié à la connaissance de ses émotions, peut être déployé pour ainsi dire à tout moment et en toute circonstance. Son concepteur insiste en outre sur l’importance de l’«empathie», de la «bienveillance» et de l’«altruisme» dans les relations interpersonnelles, gage de bons résultats en entreprise.

L’époque où le cadre était un loup pour son collègue tout aussi loup que lui ne saurait être notre avenir, veut croire Meng. Quand se présente à vous un «psychopathe en cravate», selon l’expression de Matthieu Ricard désignant un cadre pervers, montrez-vous bienveillant avec lui, cela le déstabilisera. Conseil nécessaire, pas toujours suffisant.

Chez Google, les instants de «déconnexion» sont appelés des «Gpause». «Nous avons d’ores et déjà quelques leaders qui commencent leur réunion par deux ou trois minutes de méditation, rapporte Dorothée Burkel. Ça change l’atmosphère de la rencontre. Le feed-back est bon. Il y a trois cents personnes en liste d’attente.»

Une secte, Google?
Cet engouement plus ou moins spontané témoigne de la «culture Google», mélange d’hyperacuité et de cool attitude, où la nourriture est gratuite et des vélos mis à la disposition des employés, du moins à Mountain View, le «campus» californien de la boîte. Beaucoup ont vu dans le film Les stagiaires, sorti en 2013, un formidable coup de pub pour l’empire Page et Brin. Cette comédie met en scène deux quadras (Owen Wilson et Vince Vaughn) qui retrouvent un sens à leur vie professionnelle, donc à leur existence, en entrant chez Google, entreprise non seulement ultraperformante mais en l’occurrence bonne pâte aussi.

Serions-nous dans une secte? C’est le fantasme que suscite tout groupe où prévaut une forme de religiosité, autrement dit de rituel. Plus le groupe semble parfait et heureux, plus il intrigue. Le visiteur pénétrant dans le siège parisien de Google est saisi par ce jeu d’ombres et de lumières feutrées, aux couleurs bleue, rouge, jaune et verte de l’entreprise. L’hyperpropreté règne, la moquette est d’un gris tendre, les murs ont la blancheur chaulée d’un monastère après restauration.

Interrogé sur la différence qu’il y a entre prière et méditation, une entreprise n’étant pas a priori un lieu de culte, Chade-Meng Tan répond d’une formule séduisante, précisant ne «pas beaucoup» prier lui-même. «Pour moi, la prière, dit-il, c’est quand vous parlez à Dieu, et la méditation c’est quand Dieu vous parle.»

Meng a pu développer son programme de méditation dans le cadre du fameux «20%», soit ce jour par semaine que tout salarié de Google peut utiliser à son gré pour «faire autre chose», cet à-côté devant en principe profiter à l’entreprise. Ainsi, Google Street View, mis au point par le Français Luc Vincent, serait un «20%», explique-t-on.

Meng, qui habite une villa «de taille moyenne» avec piscine dans la Silicon Valley, n’occupe plus qu’un mi-temps à Mountain View. L’autre moitié, il la consacre à la société à but non lucratif qu’il a créée, Search Inside Yourself Leadership Institute. Si le but est non lucratif, le programme de méditation, lui, est payant: 1200 dollars en moyenne par personne pour une formation de deux jours, délivrée in situ par un spécialiste agréé.

Dans une société gagnée par le burn-out et plus globalement par la souffrance au travail, la potion concoctée par le «Dr Meng», nonobstant ses qualités supposées, a devant elle un bel avenir commercial. Le business de la santé psychique «au bureau» n’en est probablement qu’à ses débuts.

«Connectez-vous à vous-même. Une nouvelle voie vers le succès, le bonheur (et la paix dans le monde)». De Chade-Meng Tan. Préfaces de Daniel Goleman et de Jon Kabat-Zinn. Belfond, coll. L’Esprit d’ouverture, 302 pages.

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Christophe Petit Tesson
Erin Siegal / Reuters
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