Portrait. Une Portugaise reprendra, en septembre, la direction de la Fondation du château de Chillon, icône suisse et monument le plus visité du pays.
«Je ne me suis jamais sentie étrangère», précise Marta dos Santos, 41 ans, bénéficiaire d’un permis C et future directrice de la Fondation du château de Chillon. Son actuel bureau de directrice adjointe donne sur l’une des cours intérieures du château. A l’automne, elle s’installera dans celui du directeur, avec vue sur le lac, à la place de Jean-Pierre Pastori. Depuis son arrivée en Suisse en 1987, à l’âge de 13 ans, Marta dos Santos a montré sa détermination à gravir les échelons. «Lorsque j’ai pu rejoindre mes parents en Suisse, où mon père travaillait comme électricien, je parlais déjà le français, mais je n’avais jamais étudié l’allemand. J’ai bossé comme jamais.»
L’une de ses trois sœurs, Cristina dos Santos, n’a pas réussi, elle, à s’acclimater: «Les professeurs nous ont mises au défi, Marta et moi, se souvient la jeune femme, aujourd’hui juriste en Belgique. Certains ont douté de nous. Cela m’a choquée. Marta, elle, a réussi à se faire accepter. Je suis explosive, alors qu’elle est réservée. C’est une blonde châtain aux yeux clairs, alors que je suis plus typée. L’intégration passe beaucoup par le physique, vous savez…»
Après sa scolarité obligatoire, Marta veut étudier. Pour convaincre son père, elle lui assure qu’il n’aura pas un sou à débourser. «J’ai commencé à travailler deux week-ends par mois, avec ma sœur Cristina, au restaurant Manor à Monthey. J’ai aussi reçu une bourse d’études et j’ai pu entrer au collège de Saint-Maurice. J’ai décroché une maturité en socio-économie. C’était l’équivalent d’un CFC de commerce, même plus, cela me donnait accès au monde du travail.» Pragmatique, elle renonce à devenir styliste, une carrière trop incertaine. Elle écarte aussi les études de droit, trop chères, trop longues. Pourtant, elle s’octroie une «folie», par passion: étudier l’histoire de l’art à l’Université de Lausanne, même si les débouchés sont rares. Car elle a toujours à cœur d’accéder à l’indépendance. «Ma mère travaillait à plein temps, même avec quatre enfants. Elle était secrétaire. Elle a dû arrêter ses études tôt, puisqu’elle m’a eue à l’âge de 17 ans. Je savais qu’il fallait réussir professionnellement pour avoir cette liberté que je n’avais pas vue chez elle.»
Mémoire et brevet
Pendant qu’elle écrit un mémoire sur la propagande royale dans l’art sous Louis XIV (il y était déjà question d’un château, Versailles), elle est engagée à 100% comme assistante de direction et comptable dans un cabinet de fiscalistes. Après sa licence en lettres, elle passe un brevet fédéral en finance et comptabilité en un an et demi. Et elle découvre, dans le quotidien 24 heures, une annonce pour un poste d’adjoint à la direction de Chillon. «Je me suis dit: c’est pour moi. Il fallait quelqu’un de passionné par l’histoire, capable de mettre en place l’administration, la comptabilité et les ressources humaines du château, devenu une fondation en 2002.» Robert Herren, ancien intendant, l’engage.
Avec Jean-Pierre Pastori, arrivé en 2008, elle relève le défi de réintéresser les Suisses au château. Elle s’occupe des expositions temporaires, lancées en 2008, crée la boutique intérieure et s’attache à accueillir les différents publics. Car on ne raconte pas le château de la même manière à un Chinois ou à un Américain. Les chiffres sont éloquents: entre 2003 et 2013, le nombre de visiteurs suisses a plus que doublé, pour atteindre les 84 000 entrées. Le nombre global des visiteurs est passé de 246 834 à 348 647. Les recettes, elles aussi, ont doublé. Cette manne est capitale, puisque Chillon s’autofinance en grande partie.
Ses trois sœurs ont toutes plusieurs enfants. Pas Marta. Elle a préféré rester libre de se consacrer à sa carrière. «Quand je rentre chez moi le soir, très fatiguée, je n’ai pas d’autres devoirs. Mais je m’occupe volontiers de mes neveux. Je leur fais tester les activités du château. Pareil pour les enfants de mon ami. Ils se sentent chez eux à Chillon.»
Pendant ses loisirs, elle peint ou lit des thrillers policiers en anglais, des histoires de vampires. Toujours active et bricoleuse, elle peut passer des soirées à coller de petits rectangles de papier pour décorer la vitrine d’une exposition temporaire. «Petite déjà, elle était très vive et dirigeait ses sœurs, se souvient sa mère, Julia Abreu. Cela n’a pas toujours été facile avec le papa de Marta. Il y a une histoire familiale compliquée. Je ne peux pas vous en parler. Mais si Marta a eu du chagrin, elle a toujours trouvé des solutions. Elle a une force intérieure. Je suis tellement fière d’elle et de ce qu’elle a accompli!»
Jean-Pierre Pastori n’est pas avare d’éloges non plus. «Elle est exceptionnelle. Sans elle, je ne serais pas parvenu à réaliser autant de choses à Chillon.» S’il ne comprend pas pourquoi elle n’a pas demandé la nationalité suisse, il se réjouit du symbole que représente sa nomination: «C’est un signe d’ouverture. Ce n’est pas au Louvre qu’on nommerait une directrice portugaise!»
Une sirène
Chillon n’est pas un monument banal, c’est un symbole. Très engagée dans la Fondation du château, Danielle Chaperon, professeur de français moderne à l’Université de Lausanne, est peut-être une des expertes qui en parle le mieux: «Chillon est changeant, comme le lac. A la fois villa et prison, ouvert et fermé… Ses tours sont phalliques alors que son plan s’apparente à l’ovale ou à la mandorle d’un sexe féminin, comme un écho à la forme même du lac… C’est un lieu fondamentalement ambigu, ce qui en fait tout l’intérêt.» Passionnée, elle se réjouit de la nomination de la nouvelle «châtelaine», qu’elle côtoie depuis ses débuts. «Marta dos Santos réunit, elle aussi, des qualités souvent contradictoires: le pragmatisme de la gestionnaire et la sensibilité de l’historienne de l’art. C’est miraculeux. Cette femme est une chimère. Une sirène.» Chillon a trouvé sa châtelaine.
Marta Dos Santos
Née à Covilhã, au Portugal, en 1973, elle est l’aînée de quatre filles. Elle rejoint ses parents en Valais en mars 1987. Licenciée en histoire de l’art, elle devient directrice adjointe de la Fondation du château de Chillon en 2002. Depuis, elle a su relever plusieurs défis, dont l’accueil massif des touristes chinois.