Décryptage. La votation a-t-elle fait apparaître de nouvelles lignes de front dans le paysage politique suisse? Basés sur une approche visuelle des données, ces quatre graphiques croisent les informations et tentent d’apporter un éclairage transversal des enjeux politiques qui sous-tendent les objets soumis au vote populaire. Ces tableaux n’explicitent pas des corrélations cachées, ils documentent et contextualisent simplement des résultats. Martin grandjean
Gripen et F/A-18: à vingt et un ans de distance
Comparaison inévitable, la situation a-t-elle changé depuis la votation de 1993 sur le F/A-18? Ici, la visualisation montre sans appel la stabilité frappante des positions cantonales: le Gripen a subi une baisse de 10 points dans quasiment tous les cantons suisses. Seules exceptions, qui s’écartent de cette diagonale sur laquelle se situent les points du graphique en question: le Valais et Neuchâtel, qui sont beaucoup plus critiques que la moyenne sur le Gripen par rapport à leur position de 1993 sur le Hornet (moins 20 points), alors qu’à l’inverse, au Tessin, l’avion suédois ne subit pas la baisse fédérale.
Gripen: un nouveau clivage?
«Le vote contre le Gripen n’était pas un vote contre l’armée!» On est en droit de se demander si cette hypothèse, martelée tant par le chef du Département fédéral de la défense, soucieux de préserver son institution fétiche, que par les opposants à l’achat de l’avion de combat suédois, qui ménagent leurs alliés de circonstance, n’est pas éloignée de la réalité du vote. Les résultats sur le fonds Gripen montrent en effet une Suisse au militarisme très progressif, entre des cantons romands et citadins qui rejettent (clairement pour certains, moins radicalement pour d’autres) le nouvel avion de combat et des cantons plus conservateurs qui suivent le mot d’ordre du Conseil fédéral (là aussi avec divers degrés d’enthousiasme).
Et si le nouveau Röstigraben qui coupe la Suisse en deux n’était plus une question de langue mais de tolérance à l’armée? On observe en effet la même progression dans le «taux d’approbation» du fait militaire dans les statistiques de conscription: les cantons qui plébiscitent le Gripen sont les cantons au plus fort taux de jeunes déclarés aptes au service militaire. A l’inverse, on trouve face à eux des cantons où le service militaire n’a plus le succès d’antan. Pas de corrélation pour autant, ces deux données croisées ne sont pas liées par une causalité, elles expriment simplement à leur façon une même réalité.
Marche blanche: Plébiscite attendu
Considérée comme jouée d’avance en raison de son titre inattaquable et de la complexité de son contre-projet indirect, l’initiative «Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants» connaît pourtant une fortune très diverse selon les cantons (28 points de différence entre maxima et minima). Tenter d’analyser le vote de cette initiative en croisant les résultats avec les données chiffrées des infractions qu’elle combat est un exercice périlleux. Les très grandes différences cantonales à ce sujet sont évidemment conditionnées par la taille très variable de ces territoires. Et il est difficile de comparer les données de l’Office fédéral de la statistique sans procéder à une périodisation (ici cinq ans) susceptible d’atténuer les très grandes variations dans les cantons peu peuplés.
Le choix des données doit aussi être questionné, la statistique globale des infractions liées à l’intégrité sexuelle donne un panorama global très différent (trio de tête: Zurich, Bâle-Ville et Neuchâtel) de la statistique des infractions ne concernant que l’article 187 du Code pénal (trio de tête: Neuchâtel, Vaud et Fribourg). Concrètement, et alors que le croisement de données n’apporte ici aucune réelle plus-value heuristique, c’est sur cet objet que le Röstigraben est le plus net: les cantons latins sont beaucoup plus unanimes dans leur approbation de l’initiative que les cantons alémaniques.
Salaire minimum et inégalités cantonales
Dans sa richesse, la Suisse est également une terre d’inégalités en matière de répartition des moyens financiers. Dans une étude de 2008, le Département fédéral des finances présente la situation des cantons à propos des inégalités de répartition des fortunes, utilisant pour cela le coefficient de Gini, un indice qui mesure l’homogénéité de la répartition de la fortune parmi la population. On y observe des variations cantonales importantes et parfois contre-intuitives, puisqu’il ne s’agit plus d’un fossé ville/campagne: alors que Bâle-Ville et Genève sont les deux cantons les plus inégalitaires, ils sont suivis par Nidwald et Soleure.
Cela étant, on retrouve un clivage plus traditionnel au niveau des résultats du vote sur le salaire minimum: les seuls cantons à dépasser 20% de oui sont les cantons latins, rejoints par les cantons à forte composante urbaine (auxquels s’ajoutent Schaffhouse et Soleure).
Martin Grandjean
Chercheur en humanités numériques à l’Université de Lausanne, au croisement de l’histoire contemporaine et des technologies de l’information. Dans son blog «DATA, un graphique vaut mille nombres», il questionne notre relation à la visualisation de données, tant scientifiques que journalistiques ou politiques. Retrouvez ses posts sur www.hebdo.ch.