Récit. Plus de 800 participants se sont pressés à l’Université de Lausanne pour la dixième édition du Forum des 100 le 15 mai. «Une des meilleures», ont lancé aux rédacteurs de «L’Hebdo» maints invités enthousiasmés par une matinée de débats denses et séduits par un casting d’orateurs aux propos vifs, engagés et parfois à rebrousse-poil.
Chantal tauxe, julien Burri, Philippe Le Bé, Yves genier, sabine Pirolt, Catherine Bellini, Michel Guillaume et Anna Lietti
Jacques Pilet
Journaliste, fondateur de «L’Hebdo»
« Il faut se méfier de l’autosatisfaction, mauvaise conseillère »
Dès le début de la journée, Jacques Pilet, fondateur de L’Hebdo, a voulu prémunir les participants du Forum contre les dangers de «l’autosatisfaction, mauvaise conseillère». Et de rappeler qu’il faut se méfier des euphories trompeuses dans un monde en pleine mutation. D’emblée, il fallait laisser les couronnes de lauriers au vestiaire. A se croire meilleurs que les Européens, les Suisses pourraient manquer d’anticipation et sombrer dans «l’ankylose mentale». Reprenant l’air de Tout va très bien, Madame la Marquise, Jacques Pilet a rappelé les réformes qui attendent la Suisse au contour, trop souvent reportées: réformes de la fiscalité, des assurances sociales et de l’éducation. Au passage, il a proposé de lancer un «Erasmus helvétique» pour assurer une cohésion nationale par la connaissance de l’autre. Puis il a dénoncé un des freins au mouvement de réforme du pays, un boulet qui empêche trop souvent la Suisse de répondre rapidement et de manière cohérente aux nouveaux défis: l’abus d’initiatives populaires. «A nous de bousculer la Suisse par la pensée créatrice», a-t-il lancé aux participants du forum avec un enthousiasme lucide.
Jacques De Watteville
Secrétaire d’Etat aux questions financières internationales
« La Confédération n’a pas l’habitude d’un tel rythme! »
Chargé de la diplomatie financière, le secrétaire d’Etat Jacques de Watteville promet «des perspectives très intéressantes pour ceux qui se retroussent les manches». Il parle bien entendu de la situation des banques, contraintes de se réorganiser après l’effondrement du secret bancaire traditionnel. Avec une contribution de 10,5% à la richesse nationale, le secteur financier a certes bien résisté, mais il va être contraint de s’adapter à de rapides changements, rythme dont «la Confédération n’a pas l’habitude», a confessé l’ambassadeur. Or, le principal défi est d’assurer le respect de règles du jeu communes à toutes les grandes places financières. Ce qui implique pour la Suisse de contrer l’érosion de l’accès aux marchés des services financiers étrangers, «vital à long terme». Et tout d’abord, en faisant indirectement référence aux divisions parfois homériques des acteurs de la place financière ces dernières années, d’amener tous les acteurs à une «vision claire pour permettre une stratégie claire». Remarques auxquelles le banquier privé Michel Juvet répondra lors du débat économique en assurant: «Nous portons déjà des manches courtes!»
Jean-Pascal Baechler
Conseiller économique à la BCV
« Recherche apprentis bien formés »
Bien qu’il demeure la première filière de formation en Suisse, l’apprentissage suit une pente descendante. La part des apprentis dans les entreprises formatrices, qui avait bien résisté durant les années 80, s’érode lentement. Une enquête présentée par Jean-Pascal Baechler, conseiller économique à la BCV, qui révèle que ces entreprises toujours plus en quête de candidats déplorent souvent «un niveau et des connaissances en deçà de leurs besoins». Et leurs attentes vont «continuer d’augmenter».
Table ronde économique
Frédérique Reeb-Landry, présidente du Groupement des entreprises multinationales, Patrick Aebischer, président de l’EPFL, et Pierre Dessemontet, géographe
« C’est comme sur le «Titanic» une heure après l’iceberg »
Où va la Suisse après l’acceptation par le peuple de l’initiative «Contre l’immigration de masse»? «Nous sommes comme sur le Titanic dans la première heure qui suit le choc avec l’iceberg», avertit Pierre Dessemontet. Les effets concrets du vote du 9 février ne se font pas encore sentir, mais ils seront bien présents dans une année à deux ans, lorsque les lois d’application seront entrées en vigueur. Un propos que Patrick Aebischer soutient: «Nous pouvons vivre un ou deux ans à l’écart des programmes européens de recherche. Mais si cela dure dix ans, nous souffrirons car nous aurons coupé une génération de chercheurs des réseaux internationaux.» Plus largement, les surprises toujours plus fréquentes émanant des votes populaires mettent à mal le traditionnel modèle de stabilité suisse et nuisent à sa compétitivité: «Nous avions un quart d’heure d’avance. Nous devons veiller à ne pas prendre un quart d’heure de retard», avertit Frédérique Reeb-Landry, qui ajoute que «la démocratie suisse est un système solide, mais qui requiert beaucoup d’explications sur les risques de certaines décisions».
Pascal Lamy
Ancien directeur général de l’OMC
« Mieux vaut localiser les problèmes globaux »
Plus à l’aise que jamais dans ses chaussures aussi simples que confortables, portant une juvénile barbe d’au moins trois jours, le joggeur Pascal Lamy n’est candidat ni au gouvernement de François Hollande (pas fou) ni à la présidence de la Commission européenne (wait and see). Alors l’ancien patron de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) prend le temps de contempler le monde. Président de l’Oxford Martin Commission for Future Generations, un think tank qui a planché sur l’état de la planète pour ces trente prochaines années, il a «pragmatiquement tiré» quelques enseignements. Au cours de ces dernières années, qu’est-ce qui a fonctionné ou au contraire fait chou blanc?
Assurément, la lutte contre le sida et celle pour la protection de la couche d’ozone sont plutôt des réussites. En revanche, la régulation de la finance avant 2008, le frein au réchauffement climatique ou à la détérioration des océans sont des échecs. A quoi attribuer les succès? Pascal Lamy tranche: «Dès que se forment des coalitions et que l’on sort du monopole régalien dans la gestion des relations internationales par quelque 200 Etats souverains, cela fonctionne!»
Aux acteurs publics sont généralement associés les maires des 100 mégapoles de la planète «qui ont bien plus de pouvoir que la moitié des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Assemblée générale des Nations Unies», les multinationales «toujours plus nombreuses et puissantes» et la société civile «qui se mobilise». Au vrai, conclut l’orateur, «cela marche beaucoup mieux quand on localise les problèmes globaux que lorsque l’on globalise les problèmes locaux». De ce point de vue, «la Suisse bénéficie d’avantages comparatifs».
Yann Lambiel
Humoriste
« Dans les dix prochaines années, moi, Blocher, je vais faire le berger, le berger allemand »
Didier Burkhalter, Christian Constantin, Ueli Maurer, Doris Leuthard ou encore Nicolas Sarkozy, quelques personnalités étaient absentes du Forum des 100. Heureusement, Yann Lambiel avait récupéré leurs messages Facebook et les a délivrés sur scène, avec son talent d’imitateur. On retiendra que Ruth Dreifuss est pour la dépénalisation du cannabis, ainsi, elle n’aura «plus à se péter la gueule à la Suze», et que Blocher est prêt à dépenser des milliards pour que la Suisse sorte physiquement de l’Europe. Quant à Maurice Tornay, il espère ne pas perdre des plumes, «même si l’affaire Giroud doit mal tourner».
Joschka Fischer
Ancien ministre des Affaires étrangères allemand
« La Suisse est l’exemple à suivre »
Sacré Joschka Fischer! Invité vedette du Forum des 100, cet orateur hors pair s’y entend pour tenir un public en haleine. Tour à tour, il alterne l’analyse lucide, les thèses provocantes et l’humour caustique. «La géopolitique est de retour. Le président russe Vladimir Poutine, en voulant faire de son pays une puissance mondiale, remet en question l’ordre du postsoviétisme issu de la fin de la guerre froide», constate-t-il d’abord. Un nouveau défi de taille pour une UE qui s’est toujours comprise comme un «soft power».
Bruxelles n’a pas le choix: elle devra réussir son intégration politique et monétaire, de manière à assurer la stabilité de son édifice. En passe d’achever un livre dans lequel il esquissera le modèle d’une Europe plus fédéraliste, Joschka Fischer a beaucoup étudié l’histoire suisse, qu’il connaît mieux que de nombreux Helvètes. C’est à ce moment-là qu’il lâche sa bombe. «Dans ce contexte, la Suisse, cet Etat pluriculturel qui fonctionne bien, est l’exemple à suivre grâce à l’équilibre qu’elle a su trouver entre la centralisation de certaines tâches et les pouvoirs délégués aux cantons. L’UE doit réussir ce que la Suisse a réussi.» Sourire en coin, l’ancien politicien ajoute: «Je sais que c’est une provocation pour vous de dire que l’UE devrait s’inspirer de votre système, car vous y perdriez votre statut de Sonderfall.»
Contrairement aux Etats-Unis, l’Europe n’a pas la chance d’être protégée par un grand océan. Son voisinage est un défi permanent. La Russie, l’Ukraine, la Turquie et les Balkans sont autant de foyers d’instabilité qui la touchent directement, y compris la Suisse, dont le bien-être dépend de la stabilité de l’UE. «Il n’y a pas de retour possible dans le réduit alpin», affirme Joschka Fischer. La seule réponse positive est la coopération avec ces voisins parfois encombrants. Quant à la question d’une éventuelle adhésion de la Suisse à l’UE, l’ex-vice-chancelier s’en tire avec une pirouette. «Huit millions d’eurosceptiques de plus dans l’UE? Dieu nous préserve de cela!»
Peter Maurer
Président du CICR
« Mettons fin à l’introspection de la Suisse! »
Le ciel s’alourdit sur le front de l’humanitaire, a expliqué le président du Comité international de la Croix-Rouge, Peter Maurer, dans une intervention glaçante de gravité. La part des êtres humains fracassés par un conflit ou fragilisés par ses conséquences ne cesse d’augmenter. Plus nombreuses, ces populations sont aussi toujours plus difficiles à aider car les types de violence se diversifient et se superposent, les groupes armés se fragmentent, la dynamique de guerre civile se mondialise.
Pour faire face, l’humanitaire de demain devra trouver des solutions novatrices, mais ce n’est pas son problème exclusif: il concerne chacun de nous, notamment parce que les populations déplacées par les conflits viennent frapper à la porte du continent européen. Croire que notre pays pourra échapper aux effets de ces déplacements est une illusion, avertit Peter Maurer: «Mettons fin à l’introspection de la Suisse et attaquons les grands défis de demain!»
Le président du CICR plaide pour une nouvelle approche de la question migratoire: depuis vingt ans, la politique en la matière est basée sur une catégorisation juridique des migrants selon leurs motifs et leur statut. Réfugiés politiques ou économiques, légaux ou illégaux. Cette manière de faire conduit à l’échec, passons à une vision plus intégrée des mouvements de population, plaide Peter Maurer.
La migration n’est pas seulement un problème, c’est un oxygène vital pour l’Europe vieillissante, avait rappelé Joschka Fischer quelques minutes auparavant. Peter Maurer a abondé dans son sens: la Suisse a besoin de migrants. Mais voilà: «Elle ne peut pas accepter uniquement la migration qui sert ses intérêts et refuser celle qui ne l’arrange pas.»
En somme: à trop jouer les enfants gâtés, on risque de se prendre une claque.
Andreas Meyer
CEO des CFF
« Bientôt le «speed dating» dans les trains »
«Qui est venu en train?» demande le producteur du Forum des 100, Bruno Giussani. Une bonne moitié des personnes présentes dans la salle lèvent la main. «Chères clientes, chers clients», se réjouit le CEO des CFF, Andreas Meyer, qui remercie les Romands d’avoir plébiscité la création d’un fonds ferroviaire le 9 février dernier. Andreas Meyer a livré sa vision de la mobilité à l’horizon 2030. Il rêve de passer de l’actuelle information sommaire à la clientèle à un «véritable conseil». Grâce aux nouvelles technologies, le passager pourra connaître l’emplacement de la voiture famille ou du wagon-restaurant, le nombre de personnes souhaitant jouer au jass ou s’adonner au speed dating.
En Suisse romande, le projet Léman 2030, qui implique 2,5 milliards d’investissements, doit permettre un doublement des passagers – de 50 000 à 100 000 – sur l’axe Genève-Lausanne, avec en principe une cadence au quart d’heure. Bref, les CFF sont prêts à relever le défi de la Suisse à 10 millions d’habitants.
Table ronde politique
François Longchamp, président du Conseil d’Etat genevois, Sergio Savoia, coordinateur des Verts tessinois, Christa Markwalder, conseillère nationale (PLR), et Johan Rochel, vice-président
du think tank Foraus
« Comme au Tessin, il y a à Genève des gens qui souffrent »
Il a suffi d’un tour de table pour que la discussion très confédérale sur la cohésion nationale tourne en duel. Il a suffi que le président du Conseil d’Etat genevois, François Longchamp, prenne la parole, relevant que toutes les grandes villes suisses avaient voté non pour que Sergio Savoia, le coordinateur des Verts tessinois, dégaine. Et Lugano? Elle ne serait pas une ville, peut-être? Elle a pourtant voté oui. Depuis dix ans, le Tessin souffre dans l’indifférence générale. Alors faire mine de découvrir un fossé aujourd’hui semble bien hypocrite au Tessinois qui a prôné le oui à l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse». Il s’élève contre un système qui ne se préoccupe pas «des perdants, ceux qu’on sacrifie au nom de la libre circulation». Et pan sur l’arc lémanique «qui va très fort alors que d’autres régions vont moins bien». Et pan encore sur ces cantons forts qui, au soir même de la votation, «se demandaient comment on allait contourner son résultat».
François Longchamp tire ses cartouches à son tour: «Comme au Tessin, il y a à Genève des gens qui souffrent.» Pourtant la population de son canton a voté pour l’ouverture, malgré le discours très antifrontaliers ambiant. Peut-être parce qu’elle a traversé une décennie de chômage et d’insécurité après le non de 1992 à l’Espace économique européen (EEE).
Le président genevois a mal pris lui aussi certaines déclarations au soir du 9 février, tout particulièrement celle d’un membre de l’exécutif tessinois qui exigeait que la Suisse réserve des contingents spéciaux pour l’économie de son canton alors que c’est le Tessin, précisément, qui a fait pencher la balance avec son oui massif à l’initiative.
Les contingents, on l’a compris, vont mettre à mal la cohésion nationale.
Et tandis que Johan Rochel, du think tank de politique étrangère Foraus, en appelle à la «raison» plutôt qu’au «crêpage de chignon», la très europhile conseillère nationale Christa Markwalder (PLR), elle, met un peu d’huile sur le feu et pointe du doigt «la complète incohérence» de ceux qui, tel Sergio Savoia, s’affirment pour les accords bilatéraux alors qu’ils ont mené campagne pour l’initiative de l’UDC.
Et si, au bout du compte et des décisions populaires, la voie bilatérale venait à périr? Quel chemin devrait alors prendre la Suisse? Sergio Savoia opterait pour l’Alleingang, François Longchamp pour l’adhésion. Décidément, ces duellistes-là n’ont pas fini de se battre. Entre Genève et le Tessin, deux cantons pourtant confrontés tous deux au chômage et aux frontaliers, jamais le fossé n’est apparu aussi béant.
5000 francs pour la fondation théodora
Chaque année, le Tirage du Forum des 100 permet à l’un des participants, tiré au sort pendant la conférence, d’attribuer un chèque de 5000 francs offert par la Loterie Romande (partenaire du Forum) à une organisation à but non lucratif active en Suisse romande. Le sort a favorisé cette année Stéphanie Gardaz, responsable events et sponsoring de la BCV (sur la photo avec Jean-Pierre Beuret, président de la Loterie Romande). Elle a choisi d’attribuer la somme à la Fondation Théodora, qui depuis vingt ans soulage par le rire le quotidien des enfants hospitalisés, grâce à des visites d’artistes (acteurs, musiciens, magiciens) transformés en docteurs Rêves. L’an dernier, 58 artistes ont réalisé plus de 85 000 visites en Suisse. En plus de la Suisse, Théodora est active dans sept autres pays dont l’Angleterre, la France, l’Italie et la Chine.
Le forum des 100 sur le web
L’enregistrement vidéo de la totalité des débats du Forum des 100, édition 2014, ainsi que les documents distribués lors de la conférence sont disponibles sur le site de L’Hebdo, www.hebdo.ch, et sur le site de la conférence: www.forumdes100.com.
La direction du Forum remercie chaleureusement les partenaires principaux pour leur soutien et leur engagement: Loterie Romande, Clinique de La Source, Aéroport de Genève, Bombardier, Nestlé Suisse, Tissot, BCV, Swiss Air Lines, P&G, Unil, M.I.S Trend.
Nos remerciements vont également aux partenaires contributeurs et médias La Semeuse, les Vins du Valais, PG, Z-Audio, RTS, ainsi qu’aux banques cantonales romandes.
Retrouvez les photos de cette 10ème édition ici.
I ha doch das nid eso gmeint
L’intervention de clôture du Forum des 100 était une «carte blanche» attribuée, comme l’a dit le modérateur Bruno Giussani, «à un trio qui représente à notre sens la culture suisse, ou en tout cas ce qu’elle devrait être: une culture où chacun est capable de comprendre la production culturelle des autres et d’en savourer les nuances et l’humour, y compris lorsqu’elle s’exprime en dialecte». Parce que si les Romands aiment bien considérer le dialecte alémanique comme un signe de repli identitaire, «peut-être que l’heure est venue de le regarder comme une expression culturelle au sens plein du terme».
Le trio était composé de l’écrivain Pedro Lenz (au centre), d’origine espagnole mais qui écrit en dialecte, auteur du best-seller Der Goalie bin ig, de l’auteur et scénariste romand Antoine Jaccoud (à droite), et de Christian Brantschen, musicien du groupe rock bernois Patent Ochsner.
Ils ont ravi l’audience avec un slam bilingue que nous publions en version intégrale.
On a eu peur.
On a eu peur.
Tous ces Noirs au fitness.
Ces Balkaniques avec leurs grosses voitures allemandes
au lavomatic le dimanche matin.
Ces pintes qui s’en vont
Le Lion d’Or devenu Aux saveurs mongoles,
Le Cheval Blanc rebaptisé Anatolia.
Même pour le nail bar de ma filleule on a eu peur:
le loyer qui passe tout d’un coup à 8000 balles
à cause des gars de chez Nestlé ou Tetra Pak
ou Dieu sait qui.
On a voulu dire:
ça ne va plus
vous comprenez?
On a voulu dire:
ça veut péter si ça continue...
I ha doch das nid eso gmeint,
i ha jo nume spontan wöue si,
entschuudigung, sorry, excüsez,
isch aus nid gäg Europa gmeint,
mir hei doch das nid eso wöue,
mir hei jo gar nid chönne wüsse
was nächär aues passiert.
Ha doch nüt gäg Erasmus,
ha doch nüt gäg ne freie Handu,
ha doch nüt gäge Tourischte z Gstaad,
ha doch nüt gäge ds Reise,
ha doch nüt gäge di Wäutsche,
i ha doch das aues nid so gmeint,
entschuudigung, sorry, excüsez
Est-ce qu’on a trop suivi le Vieux de Herrliberg?
Est-ce que c’est les Jeux de Sotchi qui nous ont empêchés de bien lire la documentation?
On a de nouveau peur maintenant:
peur des ennuis
peur pour la réputation
peur qu’on ne nous aime plus
– on nous aimait avant
on nous aimait partout –
peur pour l’attractivité
peur pour la Schwizness, la Switzness, la Swissness
– je ne sais pas comment on dit –
peur pour ma maman qui a 82 ans qui est dans un home
et qui se dit que Madame Hasanovic
va la laisser crever toute seule dans son coin
pour finir
peur de ne plus pouvoir aller à Budapest pour la cataracte
comme Helsana nous l’a demandé
peur enfin de ne plus pouvoir aller à Morteau
le samedi, ou à Aoste
une saucisse, une paire de godasses vero cuio,
– ils savent y faire quand même les étrangers
pour certaines choses,
il faut le reconnaître...
I ha doch gar nie wöue,
dass mer jetz eso do stöh,
aus Rosinepicker, Egoischte,
aus Schlaumeier, Hingerwäudler,
aus Frömdefinde, Säubschtverliebti,
i dänke doch internationau
i bi doch nid gäg ds Usland,
i bi doch ou für Früechänglisch,
i bi jo ir Südtürkei go touche,
i bi jo z Namibia uf Safari,
i ha ne Kolleg vo Marrakesch,
i spile ire kubanischi Bänd,
mi Frou geit i ds Flamenco,
mit hei es Feriehuus ar Costa Blanca,
es isch nid grundsätzlech,
es isch nid prinzipiell,
es isch nid a priori,
mir si doch e wäutoffeni Gsöuschaft.
i loh mi doch jetz nid plötzlech
i ne frömedefindlechen Egge...
Wär het de ds Rotze Chrüz erfunge?
Wär het d Neutralität erfunge?
Wär het d Gotthardbahn erfunge?
Wär het d NEAT erfunge?
Wär het d Swatch erfunge?
Wär het das aues?
Wär het di diräkti Demokratie?
Ds Rütli, Morgarte, Sämpach, Murte,
Sapporo, Crans-Montana,
Vreni Schneider,
bitte sehr!
On a un beau pays il faut dire.
Des gens qui aiment travailler il faut dire.
Des Denner pour les uns.
Des Blancpain pour les autres.
Des Audi A4 pour presque tous.
Et la paix pour tout le monde.
Pas de drapeau ou presque
à part celui de la Migros ou celui d’Ochsner Sport.
Pas de Dieu méchant,
à part Franz Weber peut-être
ou Max Havelaar.
Aber me het haut Angscht,
me muess gäng chli Angscht ha,
me muess haut Angscht ha,
Angscht, dass si di ganzi Produktion i ds Usland,
Angscht, dass immer no meh Bättler,
Angscht, dass immer no meh Abzocker,
Angscht, dass immer no meh Flüchtlinge
Angscht, dass immer no meh Reglemänt,
Angscht, dass immer no weniger Chegubahne,
Angscht, dass immer no weniger Vouksmusig am Radio,
Angscht, dass immer no weniger Lehrstöue,
Angscht, dass immer no weniger unberüehrti Natur.
On voudrait savoir maintenant ce qu’il faut faire
pour ne plus avoir cette maudite peur
qui nous colle aux schlaps.
Mir hei Angscht, Angscht, Angscht,
mir hei Angscht, Angscht, Angscht
Est-ce qu’il faut payer?
Est-ce qu’il faut s’excuser?
Est-ce qu’il faut les inviter tous pour une raclette
sur le pouce à la House of Switzerland?
Est-ce qu’il faut acheter ce Gripen?
Mir hei Angscht, Angscht, Angscht,
mir hei Angscht, Angscht, Angscht
Est-ce qu’il faut continuer de se tourner vers le Vieux?
Ou est-ce qu’il faudrait trouver un autre vieux
ailleurs sur la Terre
ou même au Ciel?...
Angscht, Angscht, Angscht,
Angscht, Angscht, Angscht
... ou alors un jeune
une sorte de Guillaume Tell
une sorte de Tyler Brûlé...
ou une femme
une Betty Bossi?
Ou même une Conchita Wurst?
quelqu’un qui nous dirait comment faire
et nous indiquerait le chemin...
Est-ce que quelqu’un pourrait nous le dire?
Retrouvez la traduction sur www.hebdo.ch