Récit. Notre chroniqueur parlementaire a suivi de près l’ascension, puis la chute d’Yvan Perrin.
Onze décembre 2013, 17 h. La nuit est déjà tombée sur le Château de Neuchâtel. En ce haut lieu du pouvoir cantonal, j’ai rendez-vous avec Yvan Perrin. Pas pour dresser le bilan de sa première année au gouvernement neuchâtelois. Non. Pour évoquer son amour du Canard enchaîné, un journal satirique français qu’il adore. Dans son bureau, quatre lampes jettent d’étranges jeux d’ombres et de lumières. «Je suis une luminothérapie pour lutter contre la dépression saisonnière dont je souffre», s’excuse le magistrat avec sa franchise coutumière.
Ce soir-là, je me demande bien sûr si Yvan Perrin tiendra jusqu’à la fin de la législature, tant je ressens sa fragilité, presque physiquement. Car la fragilité d’un politicien, c’est tout à la fois beau et rare. Pourquoi ne pas l’accepter, alors que tous les autres élus feignent pour leur part l’invulnérabilité en permanence?
La réponse à mon interrogation est désormais connue: c’est non. Yvan Perrin n’aura tenu que treize mois: sa démission était devenue inéluctable, de l’aveu même de tous les proches du conseiller d’Etat UDC.
Le point de bascule de sa vie politique remonte aux années 2010-2011. A un an des élections fédérales, le vice-président de l’UDC, policier de profession, se brouille deux fois avec Jean Studer, le conseiller d’Etat socialiste, son chef politique. D’une part, il demande un congé de six mois, qui lui est refusé. D’autre part, il dérape en justifiant la torture dans les cas extrêmes. Des propos inacceptables pour Jean Studer, qui lance une enquête disciplinaire contre lui.
Inégal, le duel use nerveusement Yvan Perrin. Je le croise au soir des élections fédérales du 23 octobre 2011, lorsqu’il quitte les studios de la TV alémanique. «Je viens d’envoyer ma lettre de démission à la police neuchâteloise, vous n’imaginez pas à quel point je suis soulagé», me confie-t-il. Il travaillera à mi-temps dans la sécurité privée.
Yvan Perrin restera toujours convaincu qu’il a été victime d’une «éviction politique». Il en nourrit – probablement inconsciemment – un sentiment de revanche. A partir de là, il se met en tête de briguer le Conseil d’Etat. Il lisse son profil en lâchant la vice-présidence de l’UDC pour devenir plus consensuel. Car, cette fois-ci, c’est du sérieux. Pas comme en 2005, quand il avait été en lice pour gagner en visibilité. Il sera le chef à son tour. Rien ne l’arrête, même pas un récent burn-out. Et il ne veut pas tirer les enseignements d’une rechute très alcoolisée en décembre 2013.
Le problème, c’est qu’Yvan Perrin n’est pas un homme de gouvernement. Il n’aime pas décider. Il ne sait pas s’entourer. Il a toujours refusé d’engager un collaborateur personnel, le premier conseil que lui a donné son parti. Seul face aux défis trop lourds pour lui, seul dans la maison familiale de La Côte-aux-Fées, il s’enferme et il boit.
Le cas Perrin est un drame humain dont nous sommes tous un peu responsables. On peut s’interroger sur la qualité des soignants qui l’ont pris en charge. Comment est-il possible qu’un patient qui entre en clinique puisse chatter sur Facebook en pleine nuit et en ressortir beaucoup trop vite, alors qu’il n’est pas guéri? Les médias? En révélant la gravité de son état de santé, ils ont certes posé les bonnes questions. Mais en résumant souvent les dernières élections neuchâteloises à la seule affaire Perrin, ils ont aussi assuré son élection en suscitant une énorme vague compassionnelle à son égard. Quant à l’UDC, elle aurait pu, et dû, éviter une candidature qu’elle savait risquée. Mais elle savait bien qu’Yvan Perrin était sa seule chance d’entrer au Château.
Seul point positif dans cette sombre affaire: le gouvernement neuchâtelois, déchiré lors de la législature précédente, semble sortir de cette épreuve soudé comme jamais. Au Château comme dans le Val-de-Travers, l’été commence. J’espère qu’Yvan Perrin profite de sa lumière, à défaut de celle des projecteurs médiatiques.