Décodage. Lorsque les Suisses parlent de leur petit voisin de l’est, ils pèchent souvent par arrogance. Une grosse erreur. Rencontre avec un chef de gouvernement heureux, au pays où l’on accueille les «juges étrangers» à bras ouverts!
Savez-vous quel est l’Etat le plus industrialisé d’Europe? L’Allemagne, la Suisse peut-être? Non, vous n’y êtes pas! C’est le Liechtenstein, cette petite principauté de 37 000 habitants à l’est du canton de Saint-Gall et des Grisons, qui offre 36 000 emplois, dont 40% dans le secteur secondaire. Mieux vaut donc ne pas trop railler ce petit voisin, dont le chef de gouvernement, Adrian Hasler, a rencontré une brochette de parlementaires en marge de la session à Berne. Car la Suisse aurait tout intérêt à s’inspirer de la manière dont ce voisin relève – avec beaucoup de pragmatisme et un brin d’audace – les défis de demain.
C’est l’histoire d’un pays sans histoire. Dans l’ombre de la Suisse, le Liechtenstein va non seulement bien mais, contrairement à elle, il ne s’en plaint pas. En adhérant à l’Espace économique européen (EEE), il s’est raccroché au grand marché intérieur de 500 millions d’habitants. Il affiche un taux de 33% de ressortissants étrangers (soit 10% de plus que notre pays), mais ne compte qu’un petit parti populiste à l’influence politique dérisoire. Sa population croît de 1,6% par an (soit bien plus vite qu’en Suisse), mais il a réussi à négocier avec l’UE un système de contingents qui limite l’immigration de 500 à 600 personnes par an. Et il a pris un à deux ans d’avance dans sa stratégie de l’argent propre.
Quel contraste saisissant que celui présenté par ces deux pays liés par une union douanière et une centaine d’autres accords. Ils ont tant de points communs – de la mentalité des gens à une économie d’exportation fortement tributaire de l’UE – qu’on pourrait s’attendre à ce qu’ils partagent une certaine communauté de destin.
Sérénité stupéfiante
Or, c’est souvent le contraire qui se produit: là où les Suisses ont une fâcheuse tendance à s’inventer des psychodrames, leur discret voisin trace son propre sillon avec une sérénité politique stupéfiante. Tandis que la Suisse a tâtonné avant de s’orienter vers la voie bilatérale, le Liechtenstein s’est intégré à l’EEE. Parfois, il se serait bien passé de certaines directives venues de Bruxelles, comme celles relatives à l’aviation civile – la principauté n’a pas d’aéroport –, mais dans l’ensemble le bilan est largement positif: «L’EEE est la solution taillée sur mesure pour nous. Une adhésion à l’UE, que nous n’avons jamais envisagée, n’aurait pas été appropriée par rapport à la taille du pays. Quant au bilatéralisme, il aurait surchargé notre administration», précise Adrian Hasler.
Et c’est justement à l’époque où il entre dans l’EEE que le Liechtenstein arrache à l’UE des plafonds dans le cadre de l’accord sur la libre circulation des personnes, ces fameux contingents que la Suisse lui envie tant aujourd’hui. «Il y a vingt ans, nous avons bien négocié, mais notre petite taille a joué un rôle décisif dans les concessions de Bruxelles à notre endroit», reconnaît Adrian Hasler. Cela a été l’élément clé qui a poussé les électeurs de la principauté à plébisciter l’EEE à une majorité de 56% en 1995. Même lorsque l’UE s’est élargie à 25 membres, en 2004, la principauté a pu maintenir ses contingents au niveau initial.
Depuis 1699, date à laquelle le prince du Liechtenstein a acquis le territoire actuel en deux temps, ce pays reste très attaché à son indépendance. Mais il en mesure aussi les limites: il n’a ni la taille ni la puissance financière pour s’engager dans des bras de fer sans espoir de victoire. Face à l’adversité, il cherche d’emblée des issues porteuses d’avenir. En témoigne son attitude face aux attaques sur sa place bancaire lorsque, en 2008, un employé indélicat de la banque LGT vend un CD-ROM au land allemand de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie qui conduit à l’arrestation très médiatisée du patron de la Poste allemande, Klaus Zumwinkel.
Attitude proactive
Plus vite que la Suisse, la principauté sent que sonne le glas du secret bancaire, tout comme l’heure de la coopération internationale. Alors, il développe sa propre «stratégie de l’argent propre». Et tandis que la Suisse, qui traverse la même tempête financière, s’enlise dans l’impasse Rubik, le Liechtenstein fait œuvre de pionnier dans un accord passé avec le Royaume-Uni en août 2009, qui a le mérite de clarifier la situation pour le client d’une banque. Soit il se dénonce auprès de son fisc national, solde le passé par une amende et reste fidèle à sa banque, soit il retire ses fonds du Liechtenstein. «Un modèle dont la Suisse pourrait s’inspirer», dira plus tard le fiscaliste genevois Xavier Oberson.
«Nous avons adopté une attitude proactive», souligne Adrian Hasler. En mars 2009 déjà, le gouvernement déclare accepter les futurs standards d’échange automatique des données de l’OCDE. L’option est prise, même s’il faudra encore un peu de temps pour que toutes les associations économiques montent dans le bateau. «Nous avons été biffés des listes noires des organisations internationales et avons regagné une bonne réputation qui a permis de compenser en partie le départ de la clientèle off-shore», résume Adrian Hasler.
Bien que de taille beaucoup plus modeste que la Suisse, le Liechtenstein fait son chemin sans complexe. Ainsi, son premier ministre hoche la tête lorsqu’on lui dit que le dossier européen bute en Suisse sur la question des «juges étrangers». Le Liechtenstein est quant à lui trop petit pour s’en passer! «Nous comptons déjà beaucoup de juges étrangers dans nos tribunaux, venus de Suisse et d’Autriche, comme c’est le cas pour l’actuel procureur», précise Adrian Hasler. Sur un territoire aussi exigu que le Liechtenstein, où tout le monde finit par être impliqué dans une affaire, ces juges étrangers sont mêmes connotés positivement: ils sont un gage d’objectivité et de neutralité!
«Notre priorité est toujours de relever les défis dans un esprit offensif et de parler d’une seule voix envers l’extérieur», conclut Adrian Hasler. La Suisse pourrait s’inspirer de cette devise, mais c’est difficile, voire impossible, dans un pays où le principal parti joue sans vergogne la carte de l’opposition.