Décodage. Le canton met fin à son service de séjours en immersion pour les adolescents en vue d’économiser quelques centaines de milliers de francs par an. Une suppression qui affecte tous les élèves romands.
Benjamin Keller
Partir quelques mois à l’étranger pour se former et s’ouvrir à d’autres horizons deviendra-t-il un luxe pour les jeunes Romands? Alors que la Suisse a été mise provisoirement à l’écart du programme universitaire Erasmus à la suite de l’acceptation, le 9 février dernier, de l’initiative «Contre l’immigration de masse», c’est désormais au tour des échanges d’élèves issus de la fin du primaire jusqu’au terme du secondaire postobligatoire de faire les frais de décisions politiques. En quête d’économies, le gouvernement genevois vient de supprimer le Centre des échanges et séjours linguistiques (Cesel). La structure permettait d’apprendre l’allemand, l’anglais, l’italien ou l’espagnol en immersion dans une famille en Suisse ou à l’étranger et d’accueillir ensuite un correspondant. Environ 170 élèves en bénéficiaient chaque année.
Les Genevois ne seront pas les seuls à être privés de ces échanges: l’an dernier, près d’un tiers des participants provenaient d’autres cantons romands. Il y a cinq ans, Emilie De Lavallaz est ainsi partie trois mois au Canada pour apprendre l’anglais, lors de sa troisième année de collège à Sion. «C’était génial! A l’école, on apprend l’anglais, mais on ne le parle pas assez. Là, je n’avais pas le choix. Aujourd’hui, je suis bien contente de maîtriser cette langue, car je dois lire beaucoup de livres en anglais dans le cadre de mes études en sport à Bâle.»
La Valaisanne de 21 ans met également en avant l’aspect culturel de ces échanges. «J’ai suivi des cours dans l’établissement de ma correspondante Tanja, j’ai participé aux sports de l’école, on a voyagé ensemble. Même chose lorsqu’elle est venue en Suisse. Je lui ai même appris à skier!» Les deux filles sont depuis très liées et Emilie envisage de repartir au Canada l’année prochaine.
«Dommage de tout laisser tomber»
Elle a donc appris avec regret la fermeture du centre genevois, d’autant que, chez les De Lavallaz, c’est une histoire de famille: ses deux sœurs sont aussi parties grâce au Cesel et son frère s’envole bientôt pour la Nouvelle-Zélande. «La Suisse est petite, internationale, l’anglais devient incontournable. Il est vraiment dommage de tout laisser tomber pour des questions d’argent.»
La décision du gouvernement genevois lui paraît incompréhensible, «surtout de la part d’un canton qui héberge de nombreuses organisations internationales. On ne peut pas faire des économies ailleurs?» Une question légitime, d’autant que la suppression de l’équivalent de deux postes à plein temps nécessaires au fonctionnement du Cesel permettra de sauver seulement 300 000 francs environ par année, les coûts des voyages à proprement parler étant assumés par les parents. De plus, le centre reçoit une compensation de 400 francs par élève provenant d’un autre canton.
Contactée, la conseillère d’Etat Anne Emery-Torracinta, à l’origine du démantèlement du Cesel, indique ne pas pouvoir dévoiler le montant total des économies visées par le Département de l’instruction publique (DIP) genevois. «Cette mesure ne va pas régler les problèmes de l’Etat à elle seule, reconnaît la socialiste.
Il y en aura d’autres. On ne peut pas continuer à tout offrir avec des moyens qui ne cessent de se réduire. Or, en période de crise, est-ce vraiment le rôle du DIP que de fournir des prestations en dehors du temps scolaire? D’autant qu’en moyenne près de 40% de ces élèves proviennent d’autres cantons. Il faut déjà assurer les services de base.»
Elle précise que les séjours intégrés aux programmes scolaires seront conservés et que les postes supprimés sont réattribués au sein du DIP pour répondre aux besoins des écoles.
Les solutions de rechange
Les échanges prévus pour 2014-2015 pourront encore avoir lieu. Ensuite, terminé. Il existe bien sûr des possibilités privées, mais elles sont souvent coûteuses. «Les parents n’ont pas tous les moyens d’inscrire leurs enfants à des séjours linguistiques quatre fois plus chers, déplore le responsable du Cesel, Pierre Bickel, qui quittera ses fonctions début juillet pour retourner enseigner à plein temps. Même dans le cadre du Cesel, il n’était pas évident pour certaines familles de faire partir leurs enfants pendant trois mois et d’accueillir ensuite un partenaire chez eux. De plus, on n’est pas autant immergé pendant un séjour linguistique que lors d’un échange.»
A titre comparatif, le coût d’un échange de trois semaines au Canada avec un organisme à but non lucratif tel que Welcome USA (recommandé par Anne Emery-Torracinta elle-même comme solution de rechange) est équivalent à celui d’un séjour de onze semaines dans le même pays organisé par le Cesel, soit environ 2300 francs…
En Suisse romande, plusieurs cantons organisent également des échanges linguistiques. Mais ils n’offrent pas les mêmes possibilités que le Cesel, pour les destinations anglo-saxonnes notamment. «Les Vaudois comme les Valaisans étaient de bons clients du Cesel et du vaste réseau que ses responsables avaient tissé au cours des années», explique François Maffli, chargé des échanges scolaires du canton de Vaud, qui se déclare «choqué» par la décision genevoise.
Il se dit ouvert à accueillir les élèves du bout du Léman pour les séjours germanophones, qu’il propose déjà, et même à récupérer les accords conclus par le Cesel. «Nous sommes prêts, mais la décision finale reviendra au Canton.»