Reportage. Les amateurs de cigarette électronique ont désormais un lieu qui leur est dédié, en plein cœur de Manhattan. Coup d’œil dans cet antre du vapotage, l’un des derniers lieux publics où l’on peut consommer de la nicotine en public.
Les vitres bordées de néons rouges du Henley Vaporium, au cœur de SoHo, lui donnent un air de lupanar un peu louche. Mais, à l’intérieur, l’atmosphère est calme et détendue. Quelques clients – deux étudiants portant la casquette violette de l’Université de New York, un quadragénaire en chemise et cravate et un touriste italien arrivé la veille – sont attablés le long d’un bar en bois clair. Ils exhalent de longues volutes de fumée blanche qui s’enroulent autour de leurs poignets comme des serpents de gaze. Mais la substance qui sort des longs tubes de métal qu’ils tiennent nonchalamment n’est pas du tabac. C’est de la vapeur de nicotine. Ils vapotent.
Derrière le bar, deux vapologistes manipulent des fioles de liquide coloré, prodiguant des conseils sur les taux de nicotine et les goûts à disposition. Tabac-caramel, poire-noix de coco, banane-peanut butter, crème brûlée ou absinthe sont quelques-unes des 130 variétés. Entre 15 h et 18 h, elles sont 15% moins chères, pour la happy hour. Le goût donut est le plus populaire. Une odeur de vapeur sucrée est suspendue dans l’air. «Lorsque je suis entré ici pour la première fois, il y a quatre mois, je n’avais jamais vapoté, mais je m’y suis mis et je n’ai pas retouché de cigarettes depuis, raconte Adam Griffin, un acteur de 37 ans, en tirant sur une tige noire dont s’échappent des effluves de kiwi-marshmallow. Je préfère le faire ici plutôt que dans la rue où on me regarde de travers en raison de la stigmatisation qui entoure les fumeurs.»
Le Henley Vaporium est né il y a dix mois. C’est l’un des deux seuls bars à vapotage de New York, avec Beyond Vape, un espace qui vient d’ouvrir à Brooklyn. Depuis l’entrée en vigueur, le 29 avril, d’une interdiction de vapoter dans les bars et restaurants de la ville, ces deux lieux – qui ont statut de magasins – sont les derniers bastions des vapoteurs qui veulent s’adonner à leur vice en public.
Camaraderie et soutien
Le vaporium permet de recréer cette camaraderie un peu particulière qui naît spontanément entre les fumeurs lorsqu’ils se retrouvent devant un bar. «Certains clients organisent même des ateliers, durant lesquels ils customisent leurs appareils pour améliorer le diffuseur de nicotine ou prolonger la durée de vie de la batterie», raconte Kayla, une petite blonde aux yeux de biche qui travaille derrière le bar. Au-delà de cet aspect ludique, les clients du vaporium y trouvent aussi «un groupe de soutien informel pour arrêter de fumer», estime Talia Eisenberg, la cofondatrice du lieu. Tous – ou presque – sont motivés en premier lieu par cela, reconnaît-elle.
Cette blonde de 27 ans au look
athlétique est tombée sur une cigarette électronique pour la première fois il y a trois ans et demi, dans un magasin de farces et attrapes. «A l’époque, je vivais dans les montagnes du Colorado et faisais beaucoup de sport, mais je n’arrivais pas à arrêter de fumer, raconte-t-elle. Avec ce modèle rudimentaire de cigarette électronique, j’y suis immédiatement parvenue.» Elle embarque aussitôt pour Shenzhen, en Chine, où les premières e-cigarettes ont été développées en 2003. «J’ai travaillé avec des ingénieurs sur place pour créer un modèle plus efficace», dit-elle. Elle commence alors à vendre ses appareils dans les kiosques et en ligne, avant d’ouvrir le vaporium de SoHo en octobre 2013.
Outre-Atlantique, on a affaire à un vrai phénomène de société: 21,2% des fumeurs ou ex-fumeurs vapotent, contre 0,4% en Suisse. Le vapotage n’est pas loin de devenir une sous-culture à part entière, avec ses codes, ses valeurs, son lobby (appelé CASAA) et même son festival annuel (la dernière édition du Vapefest a eu lieu en mars en Virginie). Elle se caractérise par un penchant libertaire et anticorporatiste. «Les gens en ont marre de se faire dicter ce qu’ils doivent fumer par les grands cigarettiers, dit Talia Eisenberg, devant un étalage de t-shirts estampillés Fuck Big Tobacco. Ils veulent se réapproprier la liberté de fumer avec le goût et la quantité de nicotine qui leur conviennent. Et surtout sans endommager leur santé.»