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Stylianos Antonarakis: la Suisse romande a tout pour être le leader de la médecine du génome.

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Jeudi, 26 Juin, 2014 - 05:57

Interview. Stylianos Antonarakis explique les promesses du séquençage du génome et les perspectives de développement qu’offre sa «clinique du génome» par rapport à ses concurrentes de Nimègue ou de Londres.

Une industrie pharmaceutique très développée. Une avance dans l’informatisation des dossiers médicaux. Des hôpitaux universitaires réputés. Des scientifiques et bio-informaticiens de haut niveau. La Suisse, et l’arc lémanique en particulier, a tout pour figurer dans le peloton de tête du génie génétique. Si elle hésite encore, son porte-parole en la matière, lui, est plus que prêt à prendre le lead.

Stylianos Antonarakis ne doute pas un instant de sa position. Il aurait pu rester à Athènes ou à Baltimore. Choisir Londres ou Cambridge. Mais c’est à Genève que le scientifique a décidé d’implanter ses recherches en génétique. Au Centre médical universitaire plus précisément, où il a ouvert, en novembre dernier et avec le soutien de l’Université et des Hôpitaux universitaires de Genève, la première «clinique du génome» suisse. Une clinique pilote qui se concentre sur les maladies génétiques, laissant pour l’heure les cancers de côté. Ses objectifs? Séquencer le génome d’individus. Lire les milliards de lettres formant leur code génétique. Traquer les infimes variations portées par leurs gènes. Poser un diagnostic, voire proposer un traitement. Et, enfin, faire de la Suisse romande le cœur de cette nouvelle médecine. Cette réflexion, le généticien l’a avancée dans le cadre de l’opération «101 idées qui feront la Suisse de demain», menée à l’occasion du 10e Forum des 100 de L’Hebdo.

Quelles sont les promesses de la médecine génomique?

Le séquençage d’un génome humain permet de diagnostiquer, d’éviter ou de guérir certaines maladies. Il s’agit d’une médecine tant prédictive que curative. Chaque génome humain se compose de trois milliards de lettres. A l’heure actuelle, nous ne connaissons que 1,5% de la fonction du génome. Or, ce 1,5% nous permet d’ores et déjà d’identifier quelque 3000 maladies mendéliennes (affections dues à la mutation dans un seul gène, ndlr). Plus nous connaîtrons de gènes, plus nous pourrons poser des diagnostics, prendre en charge des anomalies génétiques et proposer des thérapies ciblées. Lorsque aucune thérapie n’existe, le diagnostic précis aura au moins permis de mettre un terme à la recherche de diagnostic, qui s’avère souvent pénible. A ce jour, parmi les dysfonctionnements mendéliens que nous voyons à la clinique, je dirais qu’en moyenne le séquençage apporte une réponse dans un tiers des cas.

La majorité des personnes que nous accueillons ici sont des parents d’enfants ayant des retards mentaux sans autre symptôme. Ils viennent nous voir après avoir effectué tous les tests médicaux possibles et imaginables. Pour les jeunes parents, c’est l’occasion de prévoir et d’orienter l’avenir de leur enfant, mais également de savoir quels sont les éventuels risques que porte une future grossesse, ainsi que ceux que courent les membres de la famille étendue.

Il existe aujourd’hui trois cliniques du génome en Europe. L’une à Nimègue aux Pays-Bas, l’autre à Londres et, depuis quelques mois, celle-ci à Genève. Quels sont, selon vous, les atouts propres à la Suisse romande?

Pour ce qui est de la clinique en tant que telle, sa structure fait sa force. Notre équipe est composée de médecins, d’éthiciens, de biologistes moléculaires, de mathématiciens et de bio-informaticiens. Une task force multidisciplinaire que les autres n’ont pas. Cela participe au fantastique esprit de collaboration ainsi qu’à l’enthousiasme qui règnent au sein de la «clinique du génome». Quant à la Suisse romande, elle dispose de nombreux atouts: un niveau de recherche médicale et de bio-informatique très élevé, de nombreux scientifiques de haut niveau, une plateforme technologique développée, un environnement riche pour l’échange d’idées, une avance sur l’informatisation du dossier médical, un esprit de start-up et d’innovation plus marqué qu’en France ou dans d’autres pays voisins.

La Suisse n’a-t-elle tout de même pas quelques concurrents européens en la matière?

Si. Les Pays-Bas et l’Angleterre qui se sont d’ores et déjà lancés dans la course. Mais tant que les autres pays d’Europe ne se réveillent pas, la Suisse romande a toutes les chances de mener la barque. A condition que les individus et les pouvoirs publics accordent leur confiance à la médecine du génome.

Qu’attendez-vous alors plus exactement de la population et des pouvoirs publics?

De l’aide financière, du soutien et des subventions, naturellement. Tant des cantons que de la Confédération ou des fondations privées. Mais aussi moins de crainte. Pour l’heure, la «clinique du génome» existe en grande partie grâce à l’appui ainsi qu’au soutien financier des Hôpitaux universitaires de Genève. A plus long terme, mon rêve serait d’avoir un bâtiment entièrement consacré à la médecine génomique. Or, cela ne sera pas possible tant que la population, le corps médical et les pouvoirs publics ne comprendront pas l’importance de cette discipline et les avancées qu’elle permet. Un pas a toutefois été franchi. Les HUG, le CHUV et l’EPFL ont mis sur pied il y a un mois une commission commune pour le développement de la médecine génomique. J’espère qu’une structure similaire pourra être développée pour la recherche des mutations génétiques somatiques sur les cancers. Pourquoi pas sur la base d’une collaboration étroite entre Genève et Lausanne. Dans l’idéal, une telle clinique devrait se situer non loin de départements d’oncologie, de pathologie et de médecine génétique.

Cette peur dont vous parlez ne sort pas de nulle part. La médecine du génome se heurte à de nombreux défis, éthiques principalement.

Oui, mais de nombreux textes juridiques protègent les patients. En Suisse, la loi sur le génie génétique (LGG) prévoit le droit de ne pas savoir. Ce concept s’avère néanmoins délicat en cas de trouvailles inattendues. Que dire au patient lorsque le séquençage laisse apparaître un autre problème que celui pour lequel il consulte? Aux Etats-Unis, ils sont directs. Et informent d’absolument tout. En Europe, cela dépend de la gravité des prédispositions découvertes ainsi que de l’éventuel traitement existant. Quant au fonctionnement de notre clinique, il est très précis et se base sur le principe du consentement éclairé. Les patients décident, avant le séquençage, s’ils désirent tout connaître ou uniquement les points liés à la maladie d’appel. Ce procédé selon lequel les patients participent à la prise de décisions constitue un changement majeur dans le monde médical. Chacun est bien entendu libre de refonder son avis. De notre côté, nous nous réunissons, une fois par semaine, entre médecins, éthiciens et bio-informaticiens, afin de discuter des situations au cas par cas, ainsi que des informations qui seront transmises aux patients.

La question aujourd’hui n’est pas de faire ou de ne pas faire de la médecine génomique. D’être pour ou d’être contre. Ce qu’il faut savoir, c’est quand et comment s’y atteler. Le train est parti, il ne sert à rien de le retenir. Et la Suisse romande a tout pour en être la locomotive.

Reste que l’analyse du génome a un coût que tout un chacun ne peut se permettre.

L’Institut national de recherche sur le génome humain (NHGRI) planche depuis 1990 sur ce qu’il appelle les «Ethical, Legal and Social Implications» (ELSI). Personnellement, j’y ajoute l’aspect financier et préfère parler des «Ethical, Legal, Social and Financial Implications». Car c’est une bataille de tous les jours. Actuellement, seuls les patients qui ont de l’argent peuvent se permettre d’entreprendre des analyses de génome. Les risques d’aboutir à une médecine à deux vitesses existent donc bel et bien.

Nous sommes en constante négociation avec l’Office fédéral de la santé publique afin de clarifier la prise en charge des frais liés aux analyses de génome. Les assurances sont pour l’heure prêtes à payer les tests qui aboutissent à un traitement, mais non pas ceux qui aboutissent à un diagnostic. Ce n’est absolument pas logique. S’il est vrai qu’un test génétique peut coûter jusqu’à 3000 francs, le diagnostic auquel il aboutit permet de mieux cibler l’administration de médicaments, mais également d’éviter d’autres tests plus onéreux, tels que des IRM. Lorsque aucune thérapie n’existe, le diagnostic est un traitement à lui tout seul. Il détermine l’évolution de la maladie et indique comment la personne peut adapter son environnement et améliorer son quotidien. C’est le cas par exemple lorsque l’on découvre chez un patient une prédisposition à la maladie d’Alzheimer; il ne pourra pas être soigné, mais aura la possibilité d’organiser sa vie en fonction.

La question des coûts reste une question délicate. Elle est loin d’être résolue. Mais la médecine personnalisée va peu à peu devenir la norme. Et, demain, le génome sera séquencé chez tous les patients qui le désirent.


Stylianos Antonarakis

Passé par l’Université d’Athènes et la Johns Hopkins School du Maryland, il est médecin, spécialiste de génétique humaine et chercheur scientifique. Président de l’Organisation du génome humain (HUGO) depuis 2013, il est également membre du conseil scientifique du Fonds national suisse de la recherche scientifique et directeur fondateur de l’Institut de génétique et de génomique de Genève (iGE3). En novembre 2013, il a ouvert à Genève la première «clinique du génome» suisse.

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Julien Gregorio Hug
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