ETATS-UNIS. Assommée par une dette de 18,5 milliards de dollars, Motown est en faillite. Pourtant, les signes d’un possible renouveau commencent à clignoter.
Le Renaissance Center, le groupe de buildings qui domine Detroit, portera-t-il chance à la ville en faillite? Les sept gratte-ciel appartiennent à General Motors, qui y a son siège social. Or GM était lui-même en faillite il y a encore peu, mais multiplie aujourd’hui les bénéfices grâce à ses excellentes ventes automobiles.
Le signe d’espoir est à prendre avec précaution. Les lois qui régissent aux Etats-Unis la faillite d’une municipalité sont différentes de celles appliquées à la banqueroute d’une société. Celle-ci peut-être mise en liquidation ou réorganisée en profondeur, ce qui n’est pas possible pour une ville. Et l’Etat fédéral ne viendra pas au secours de Detroit comme il l’a fait avec GM.
Des décennies d’incurie politique. La renaissance de l’ex-quatrième ville des Etats-Unis, qui avait parmi les plus hauts revenus par habitant du pays, devrait prendre des années. La demande de mise en faillite du 18 juillet dernier sanctionne des décennies d’incurie politique, fermetures d’usines, troubles sociaux, emprunts à outrance, dépopulation et chute des recettes fiscales.
La situation est certes dramatique. La dette de Detroit s’établit à 18,5 milliards de dollars. Des villes, ou des comtés, ont déjà fait faillite aux Etats-Unis, mais jamais à cette colossale échelle. La moitié des 80 000 bâtiments de la ville du Michigan sont désaffectés. Presque la moitié de l’éclairage public est hors service. Le taux de chômage est de 18%, deux fois la moyenne nationale. Aucune des grandes cités américaines n’a autant de crimes violents. Le temps de réponse de la police est de 58 minutes, alors qu’il est de 11 minutes ailleurs dans le pays. Les employés et retraités municipaux craignent pour leurs salaires et leurs retraites. Quelle autre entité politique ou économique a le triste privilège d’avoir 100 000 créanciers?
Il est si facile de noircir le tableau de Detroit. Les photographies des usines et structures publiques en ruine de Motown («Motor Town», berceau de GM, Ford et Chrysler) sont devenues un genre artistique, avec ses publications à succès et ses métaphores pesantes sur le déclin de l’Amérique. Cette toile de fond pleine de trous sert la cause de films comme Gran Torino. De documentaires comme Sugar Man avec Sixto Rodriguez et sa bicoque à 50 dollars. Ou le futur film catastrophe Black Sky, l’histoire d’une ville dévastée par des tornades, tourné il y a quelques mois dans des studios qui, eux aussi, sont désormais en panne financière.
Retour des investissements. Le Detroit Bashing bat son plein. Mais l’espoir est aussi permis. La majorité des municipalités ou comtés, de Jefferson en Alabama à Orange en Californie, qui ont été mis en faillite sont arrivés à restructurer leurs dettes sous la protection légale du «chapitre 9». Jamais l’Etat du Michigan, dont Detroit est encore la ville la plus peuplée avec ses 700 000 habitants, ne laissera tomber Motown. Les constructeurs automobiles ont recommencé à investir en ville, à réembaucher et se sont engagés à soutenir la grande malade. A l’invitation des marques, des studios spécialisés dans les applications automobiles pour smartphones ouvrent les uns après les autres. Une expérience inédite d’exploitations agricoles sur les parcelles urbaines inoccupées est en route. Les prix très bas des logements intéressent les artistes et autres «créatifs» américains, nombreux à s’installer sur place.
Car Detroit est une ville d’art: son musée municipal, qui a une collection de peintures d’une valeur de 2 milliards de dollars, attire 600 000 visiteurs par année. Il serait question de vendre quelques-uns de ses Dürer, Rembrandt, Van Gogh, ou Breughel pour remplir les caisses vides. Même si les maisons de ventes aux enchères rôdent déjà dans les parages, il est douteux que cela puisse arriver. Le coup serait symboliquement désastreux pour la ville, l’Etat et le pays, dont le musée de Detroit est l’une plus vénérables institutions culturelles. La ville trouvera d’autres idées pour renaître. Un jour ou l’autre.
UBS exposée à la faillite
Les ennuis financiers de Detroit devraient avoir des répercussions jusqu’en Suisse, relate le Wall Street Journal. En 2005, UBS aidait la ville, déjà très endettée, à vendre pour 1,4 milliard de dollars d’obligations, essentiellement à des banques européennes.
Ces titres ne valent aujourd’hui plus grand-chose. Par ailleurs, Detroit ne versera pas à UBS les millions de dollars d’intérêts qu’elle lui doit. Au total, UBS et d’autres établissements auraient dû percevoir 827 millions sur vingt ans.