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Jusqu’où ira la spirale de violence en Israël?

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Jeudi, 10 Juillet, 2014 - 05:59

Reportage. L’enlèvement et le meurtre de trois étudiants israéliens par des activistes palestiniens ont été vengés par l’assassinat d’un adolescent palestinien. Dans les deux camps, des extrémistes mènent une dangereuse politique jusqu’au-boutiste.  Les tensions se sont durcies après d’intenses tirs de roquettes palestiniennes vers le sud d’Israël.

Julia Amaya Heyer Hébron

Hussein Abou Khdeir, 48 ans, a appris il y a trois heures à peine la mort de son fils, enlevé et brûlé vif (selon l’autopsie). Le matin de ce mercredi-là, avant même l’heure de la première prière, Mohammed, 16 ans, était assis devant la maison à boire le thé quand une Hyundai blanche s’est arrêtée, deux hommes en sont sortis et l’ont poussé dans la voiture avant de redémarrer. Propriétaire d’une boutique d’articles électriques, Hussein Abou Khdeir a enregistré la scène sur une vidéo de surveillance. Il en est sûr, c’est un acte de vengeance: «Œil pour œil, quelle folie!»

Non loin de la maison de l’électricien située à Jérusalem-Est, trois familles israéliennes pleurent leurs fils, Eyal Yifrach, Naftali Fraenkel et Gilad Shaer. Tous trois étudiants dans une école talmudique en Cisjordanie, ils ont été enlevés le 12 juin alors qu’ils faisaient du stop dans les territoires occupés. La voiture dans laquelle ils sont montés était celle de leurs meurtriers. Il a fallu presque trois semaines pour retrouver leurs dépouilles dissimulées près d’Hébron.

«Il n’y a pas de différence entre sang et sang. Un meurtre est un meurtre, peu importe l’âge et la nationalité. Il n’y a pas de justification pour ça, pas de pardon», écrit Rachel Fraenkel, la mère de l’un des étudiants tués, quand elle apprend le sort du jeune Mohammed.

Inqualifiables, ces actes ont mis en route une spirale de vengeance, attisant les vieilles haines réciproques. Les deux camps pleurent leurs morts. Et les instrumentalisent à des fins politiques.

Tandis qu’Israël espérait encore revoir les trois étudiants vivants, l’armée a lancé en Cisjordanie sa plus grande opération militaire depuis la fin de la deuxième intifada. Des centaines d’hommes ont été arrêtés, des installations du Hamas détruites et six Palestiniens tués: une punition collective. Les services de renseignement savaient sans doute que les étudiants étaient morts: dans l’appel au secours qu’a réussi à lancer l’un d’eux de son téléphone portable, on entendait des coups de feu et des taches de sang ont été retrouvées dans la voiture abandonnée. D’emblée, le premier ministre Benyamin Nétanyahou a accusé le Hamas et profité de la situation pour anéantir des structures du mouvement islamiste, tout en torpillant le tout récent accord qu’il avait conclu avec le Fatah.

La crainte d’une escalade

«Le Hamas va payer», a-t-il menacé. Or pas mal d’experts israéliens tiennent pour improbable que la direction du Hamas ait commandité l’enlèvement et les meurtres. Les deux présumés coupables auraient agi de leur propre chef. Nombreux sont les Israéliens qui demandent aujourd’hui des représailles, l’invasion de la bande de Gaza, la destruction du Hamas, la construction de nouvelles colonies. A ce jour, les extrémistes israéliens ne s’en étaient encore jamais pris par vengeance à un enfant (six extrémistes juifs ont été arrêtés dimanche 6 juillet et sont interrogés). Le calme relatif de ces dernières années pourrait bien, désormais, laisser la place au désordre. La crainte d’une escalade se fait jour parmi les modérés des deux camps. Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, redoute que ne soient anéantis ses efforts en faveur de la paix. Une paix à laquelle il était à peu près le seul à croire.

La plupart des habitants de Jérusalem-Est sont persuadés que ce sont bien des juifs qui ont tué Mohammed. «Ils voulaient un enfant», assure un voisin d’Hussein Abou Khdeir. Il y aurait déjà eu tentative d’enlèvement dans le quartier deux jours auparavant. Le père de la victime est assis comme pétrifié parmi les voisins qui lui témoignent leur compassion. Il demande: «Pourquoi les policiers sont-ils arrivés une heure seulement après l’appel d’urgence? Pourquoi ont-ils voulu voir le carnet de notes de l’adolescent? Pourquoi voulaient-ils savoir s’il se droguait au lieu de localiser son téléphone mobile? Et pourquoi les médias écrivent-ils que Mohammed était homosexuel et victime d’une querelle familiale?»

Aujourd’hui, après qu’on a retrouvé la dépouille, la rue voit passer d’un côté des jets de pavés descellés et de pneus en feu, de l’autre des grenades assourdissantes ou lacrymogènes. C’est l’une des nuits les plus violentes que l’on ait vues à Jérusalem depuis longtemps. Les désordres s’étendent à d’autres quartiers de Jérusalem et de Cisjordanie, des centaines de Palestiniens manifestent le vendredi, ils sont des milliers à suivre les funérailles de Mohammed le samedi. L’aviation israélienne bombarde la bande de Gaza depuis des semaines et les extrémistes gazaouis répliquent par des tirs de roquettes.

Radicalisation réciproque

La situation s’est aggravée dans la nuit du lundi au mardi 8 juillet après l’intensification de salves de roquettes palestiniennes. L’armée de l’air israélienne a riposté par des dizaines de raids sur la bande de Gaza. Au lendemain de ces multiples attaques, qui ont fait plus d’une dizaine de morts selon les services d’urgence de l’enclave palestinienne, la branche militaire du Hamas au pouvoir à Gaza a menacé d’élargir le cercle des cibles. Quant au cabinet de sécurité israélien, il a donné son feu vert au déploiement de dizaines de chars et il a autorisé le rappel de 40 000 réservistes en prévision d’une possible offensive terrestre contre la bande de Gaza.

Voilà longtemps que la ligne de front du conflit ne passe plus seulement entre Israël et les territoires occupés. Elle s’est déplacée au cœur d’Israël, au cœur de la société. La défiance croît entre juifs et minorité arabe. En Israël, le climat est devenu à la fois plus religieux et plus agressif depuis que des nationalistes extrémistes donnent le ton au gouvernement. Pendant les funérailles des trois étudiants religieux assassinés, on a entendu les partisans de groupes radicaux crier: «Mort aux Arabes!»

Alors que le terrorisme palestinien a diminué au fil des années, les attaques juives contre des Arabes israéliens et palestiniens ont augmenté. Les services de renseignement israéliens mettent en garde depuis longtemps contre le danger que représentent les extrémistes juifs. Les réseaux sociaux témoignent de cette radicalisation réciproque. Sur Facebook, deux jeunes filles arborent un écriteau: «Haïr les Arabes n’a rien à voir avec le racisme. Cela veut dire qu’on a des valeurs.»

Une proclamation qui paraît inconcevable. Mais pas pour tout le monde: David Wilder, 60 ans, kippa crochetée et pistolet à la ceinture, est arrivé en 1980 du New Jersey pour être un des premiers colons d’Hébron. «Pour que les actes suivent les paroles», dit-il. Il est le porte-parole de la communauté juive d’Hébron, quelque 80 familles vivant dans la vieille ville, des colons fanatisés qui défendent par la force leurs droits sur «leur» pays. Au temps biblique, Hébron aurait été oint par le roi David; c’est ici que se trouverait le tombeau d’Abraham, lieu saint aussi bien pour les musulmans que pour les juifs. A Hébron, l’absurdité du conflit est observable comme sous la loupe. Rien d’étonnant à ce que la tragédie des trois ados assassinés ait trouvé ici son épilogue.

Le matin même où Mohammed est enlevé, David Wilder contemple sa ville du haut de son locatif de six étages, construit il y a près de dix ans à l’aide de dons. «Je suis d’accord, ici c’est l’apartheid. Mais pas pour eux, pour nous.» Eux, ce sont les Palestiniens qui, à la différence des juifs, peuvent se mouvoir librement dans Hébron. C’est ainsi qu’il voit les choses.

Les Palestiniens voient la réalité autrement. Depuis que le fanatique juif Baruch Goldstein a commis un massacre de musulmans au tombeau des Patriarches, le centre de la deuxième ville de Cisjordanie a perdu toute vitalité: 850 juifs vivent là, protégés par 4000 soldats. La rue Al-Chouhada, naguère artère principale de la cité, est zone interdite: les habitants palestiniens n’ont pas le droit de la fouler, leurs logis ne sont accessibles que par des sentiers et des portes dérobées, les boutiques sont fermées depuis des années et sur leurs rideaux de fer s’affiche le mot hébraïque «Nekama» (vengeance).

«Tuer d’abord, construire ensuite»

Il y a 50 mètres entre l’immeuble de David Wilder et la yeshiva Chavaï Hebron, l’école religieuse où étudiait Eyal Yifrach, un des trois étudiants tués. «Pour un mort chez nous, il y a plus de morts chez eux», dit encore Wilder. Le principe, ici, c’est «tuer d’abord, construire ensuite». Il pense que, après le triple meurtre, la commune d’Hébron obtiendra du gouvernement davantage de permis de construire. Le ministre de la Défense, Moshe Ya’alon, a déjà annoncé la construction de 10 000 logements en Cisjordanie.

La maison de la famille Kawasma était située à quelques kilomètres à vol d’oiseau de celle de David Wilder. Une belle maison, beaucoup de chambres, une terrasse et un jardin: seize personnes y vivaient jusqu’à lundi soir 30 juin, quand les dépouilles furent découvertes non loin. Peu après, vingt soldats l’ont fait exploser, car Marwan Kawasma passe pour un des coupables. Il serait membre du Hamas. Sa sœur Rawan, mère de trois enfants, est devant les décombres de sa maison. «Marwan a disparu», dit-elle. Ses autres frères ont été arrêtés. David Wilder trouve que c’est juste, car les terroristes ne comprennent que deux choses: la force et la confiscation des terres. Selon lui, mille étudiants fréquenteront la yeshiva d’Eyal Yifrach à l’avenir, au lieu des 350 actuels. L’escalade de ces derniers jours a, à ses yeux, un aspect positif. Le prétendu processus de paix initié par «Kerry, cet idiot», est mort. «Les Palestiniens ne veulent pas avoir leur propre Etat et nous non plus. Autant laisser tomber les discussions.» Mais Israël est sur la bonne voie: «Si nous continuons ainsi, les Arabes quitteront volontairement le pays.»

© DER SPIEGEL traduction
et adaptation gian pozzy

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Ariel Schalit / Keystone
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