Chansons. L’auteur du «Vieux chalet» était un révélateur de son temps. L’abbé Bovet a su, par sa production musicale, cristalliser les attentes de son époque: renforcer l’identité fribourgeoise et créer un système harmonieux entre l’homme, Dieu et la nature. Le paysage gruérien lui doit beaucoup.
Sa mère l’appelait la Fillette. C’est grâce à elle qu’il commença à chanter et à composer. Elle l’emmena en pèlerinage à la chapelle de Notre-Dame des Marches prier «la Vierge des Gruériens» pour qu’elle aide ce fils si différent des autres. Joseph Bovet naît dans une famille de dix enfants. Seuls quatre dépasseront l’âge de 27 ans.
La légende en fait un artiste romantique dont l’âme «frémit à fleur de peau». Un homme aussi rapide que la foudre, au menton énergique mais aux yeux dans lesquels on pouvait lire «une bonté si maternelle que les cœurs en étaient saisis» (Robert Loup, L’abbé Joseph Bovet, barde du pays, 1952). Ordonné prêtre en 1905, devenu ensuite maître de chapelle, il a su, année après année, renforcer son influence, jusqu’à l’omniprésence dans le domaine de la musique à Fribourg. Pédagogue reconnu, il a enseigné à l’école normale d’Hauterive, au Séminaire, au collège Saint-Michel et à l’école de commerce… Il a dirigé des chœurs, pris la tête de l’orchestre de la ville et présidé le Conservatoire de Fribourg…
Un paysage «divin»
Le Chemin du gruyère (fléché) permet de traverser le paysage qui inspira tant l’abbé Bovet. D’avoir la quintessence de cette Gruyère mythique, fantasmée, qu’il a grandement contribué à créer. Car on oublie que les traditions vantées par la publicité sont une création récente. Le costume d’armailli, par exemple, n’a été fixé dans sa forme actuelle que dans les années 20. Que nous le voulions ou non, notre regard a été façonné par les compositions du saint barde (L’armailli des grands monts, Le secret du ruisseau…).
Partant de Charmey, on descend jusqu’au lac de Montsalvens, que l’on traverse par un spectaculaire pont suspendu. Après le barrage de Montsalvens (1920), il faut s’enfoncer dans les gorges de la Jogne. On dirait l’entrée des enfers… L’abbé, lui, était plus familier des sommets que des gorges sombres. Mais on remontera bientôt vers la lumière, jusqu’à la chapelle Notre-Dame des Marches, à Broc, en l’honneur de laquelle l’abbé composa un de ses plus beaux chants, en patois, Nouthra Dona di Maortsè. Le bâtiment actuel date de 1705, mais c’est un lieu de dévotion au moins depuis 1636.
Le lieu où s’élevait le fameux chalet qui inspira le «tube» de l’abbé (repris en 17 langues) se trouve tout près, sur les pentes de la Dent-de-Broc. C’était le chalet Mont-de-Joux, détruit par une avalanche. Dans la forêt, on traversera un autre pont, en bois cette fois, de 1806, «le pont qui branle». Cette belle randonnée d’un peu plus de trois heures pourra se conclure par une coupe de meringues crème double en la cité de Gruyères.
Légende dorée
Il est resté longtemps intouchable, l’abbé Bovet. Un symbole fribourgeois, l’équivalent pour la Suisse du général Guisan en tant que figure tutélaire. Un père quasi sacré, entouré d’une légende dorée. Dans les années 50, on trouvait son portrait dans chaque salle communale, au côté des traditionnelles images pieuses de la Vierge et d’un crucifix…
Pourtant, l’actuel préfet de l’Etat de Fribourg, Patrice Borcard, a osé. Il a, dans un passionnant ouvrage paru en 1993, José Bovet, itinéraire d’un abbé chantant (Ed. de la Sarine), levé le voile pour analyser comment Bovet avait construit la mythologie fribourgeoise par le biais de la musique.
«L’abbé Bovet a réussi à créer une cohésion, une identité régionale, commente le préfet dans son bureau bullois. Destiné à la prêtrise, il s’est fait remarquer pour ses talents musicaux, même s’il n’a pas suivi de formation véritable. Il a eu une grande influence en contribuant à la formation des prêtres et des enseignants, les deux courroies de la société d’alors. Le chant est devenu un instrument politique dès l’école primaire.»
L’abbé Bovet, dans les traces de Rousseau, loue la nature. Une nature qui relie les hommes et Dieu. Par le chant, il a créé une patrie symbolique, construit un monde harmonieux, unissant sacré et profane. C’est là que résidait sa force. Ce n’est pas un hasard si Le vieux chalet a été repris par la France de Vichy. La France de Pétain et la Gruyère de l’abbé Bovet relèvent, à la base, de la même construction idéologique. C’étaient deux «mythologies» voisines, qui pouvaient s’imbriquer. C’était avant que la chanson ne devienne un hymne scout…
Non, il n’a pas composé Le ranz des vaches, contrairement à ce qu’on prétend parfois. Il l’a adapté. Sorte d’ethnomusicologue avant l’heure, il s’est beaucoup intéressé à la culture populaire et militaire. Il a repris d’anciennes mélodies, tout en moralisant et en christianisant les textes. «Ce n’est pas une musique passionnante. Mais il avait un talent mélodique indéniable. Musicalement, s’il avait fait des études, il aurait pu écrire des choses très intéressantes… mais il a atteint ses limites rapidement, poursuit Patrice Borcard. Il n’en demeure pas moins que Le vieux chalet continue d’être repris en 2014. L’intensité du souvenir ne diminue pas. Ce besoin de racines perdure. C’est encore un dénominateur commun pour Fribourg.»
La fin de la vie de l’abbé cadre mal avec son image de saint. Il est contraint de s’exiler à Clarens, loin de sa terre, sous prétexte de soigner sa santé.
Il faut dire qu’il y a, dans sa biographie, un «secret extrêmement délicat» – ce sont les mots de l’évêque d’alors, François Charrière –, à savoir sa proximité avec Mlle D., l’une de ses choristes. De plus, l’homme vit en ville de Fribourg, pas dans un chalet bucolique. Il possède une voiture. Sa liberté gêne, son influence suscite la jalousie du clergé. On l’imagine riche, il n’a pourtant presque pas perçu de droits d’auteur sa vie durant…
Joseph Bovet
Né en 1879 à Gruyères, il fut nommé chanoine de la cathédrale de Fribourg en 1930. Il a composé près de 2000 œuvres musicales, dont
Le vieux chalet.
Pour la Suisse d’alors, c’est une figure aussi populaire que celle
du général Guisan.
Il meurt à Clarens (VD) en 1951.
À voir
Vaulruz
Restaurant de l’Hôtel de Ville
Cyril et Nadège Freudiger ont repris avec succès ce café-restaurant et sa terrasse donnant sur le Moléson. Tentez les fleurs de courgettes farcies au brochet et le carré de veau aux bourgeons de sapin. L’abbé Bovet est né dans le village voisin, Sâles.
Rue de l’Hôtel-de-Ville 29
026 411 29 91
Hauterive
Abbaye
L’abbaye cistercienne d’Hauterive a été fondée en 1138. Un des lieux les plus intéressants du canton, du point de vue de l’architecture religieuse. L’abbé Bovet y a enseigné. Visite organisée les samedis.
Chemin de l’Abbaye 19
www.abbaye-hauterive.ch
Fribourg
La Cène
Entrez dans la religion du goût. Un clin d’œil gourmand à notre thématique «bovetienne». Raffinement et volupté, 14 points au GaultMillau.
Rue du Criblet 6
www.lacene.ch
Gruyères
La Ferme du Bourgoz
Des chambres d’hôte de rêve. Le jardin donne sur la cité de Gruyères. Vente de fromage artisanal.
Ch. de Bourgoz 14
www.lafermedubourgoz.ch
Broc
Buvette Chez Boudji
Accueil chaleureux et cuisine traditionnelle (macaronis du chalet, fondue vacherin ou chèvre, etc.). Ouvert tous les jours du 1er mai au 31 octobre. Une halte après la chapelle des Marches.
Route du Motélon
026 921 90 50
Bulle
Restaurant L’Ecu
Anne et Alain Braillard proposent une cuisine inventive, raffinée, toute en couleur et en géométrie. Un peu comme si les tableaux de Miró devenaient comestibles. Une halte, pour ceux qui iraient voir la statue de l’abbé Bovet voisine (sculptée par Antoine Claraz en 1957), place Saint-Denis.
Rue Saint-Denis 5
www.restaurant-de-lecu.ch