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Les frères Guinand, princes de l’artifice

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Jeudi, 17 Juillet, 2014 - 05:50

Trajectoire. Ils livrent des feux de fête à 140 communes romandes et cartonnent dans les concours internationaux. Visite à deux fils de notable qui brillent loin des sentiers attendus.

Cet été, les frères Guinand ont de quoi faire. Pour la fête nationale, ils fournissent des feux d’artifice à 140 communes romandes – «Nos équipes seront présentes sur 30 sites, le reste, c’est du clés en main». Huit jours plus tard, les Fêtes de Genève s’ouvrent avec une fantaisie pyromélodique de leur cru – «Une semaine de montage, seize personnes sur le terrain». A la mi-août, ils participent à des concours internationaux d’art pyrotechnique à Ottawa et à Hanovre. Le 13 septembre, pour le bicentenaire de l’entrée du canton de Neuchâtel dans la Confédération, à un spectacle multimédia simultané à Cernier et à Môtiers. Et, le 27, les scintillements de la Fête des vendanges sont de nouveau signés Guinand. C’est ce qui s’appelle briller de tous ses feux.

Nicolas, le cadet volubile, à la conception artistique, Jean-Pascal, l’aîné plus réservé, à la gestion: les deux artificiers neuchâtelois forment un tandem à succès. Leur société, SUGYP, à Grandson, est la plus importante en terres romandes, et ils sont les seuls à porter les couleurs de la pyrotechnie helvétique dans les concours internationaux. Il faut voir le film de leur prestation au concours de Brno en 2013 pour se faire une idée de leur virtuosité (tapez «Ignis Brunensis Sugyp Switzerland Feuerwerk» sur YouTube, c’est la première vidéo qui apparaît): sur l’air, notamment, de Zorba le Grec, c’est un poème de lumière qui s’inscrit dans le ciel au centième de seconde, une chorégraphie délestée du poids des corps. Le jury ne s’y est pas trompé: Petites histoires d’amour est sorti gagnant du concours.

Une histoire peu académique

Et puis il y a la belle histoire de ces deux frères frappés par la passion de la poudre noire de manière complètement inattendue, après avoir cherché leur voie hors des sentiers attendus. Car le pétard n’est pas exactement une affaire de famille chez les Guinand. Nous sommes chez un notable de la République: Jean, le père, a été recteur de l’université et maître de l’instruction publique neuchâteloise. La mère, Marlyse, est enseignante. Et lorsque, au tournant des années 90, Nicolas quitte l’école de commerce pour un apprentissage de bijoutier-joaillier, quelques bonnes âmes, dans les tea-rooms de la rue du Seyon, ne manquent pas de commenter ce virage peu académique.

«J’avais besoin d’être dans le concret», affirme l’intéressé, yeux clairs et manières franches. On comprend qu’il se soit intéressé aux bijoux, on perçoit aussi la parenté entre leur brillance et le graphisme d’un bouquet céleste. Tout de même: les feux d’artifice, n’est-ce pas le contraire du concret, le comble de l’insaisissable? «Je n’ai pas l’impression d’avoir changé de métier, rétorque Nicolas. Comme avant, je fais un travail de précision et de création. J’imagine, je dessine, je réalise. La grande différence, c’est que, lorsqu’on conçoit un bijou, il faut penser aux siècles à venir: il n’a pas le droit de se démoder. Avec la pyrotechnie, on est complètement dans l’éphémère. Et, pour un créateur, c’est une liberté formidable.»

Pendant que Nicolas tutoie l’or et les pierres (il a tenu un magasin de bijouterie à la rue des Terreaux pendant dix ans), Jean-Pascal manque de peu une carrière de pilote professionnel, gagne sa vie comme chauffeur de taxi, puis entre à l’Ecole de cadres pour l’économie de Neuchâtel. Il passera huit ans chez Coopers & Lybrand, spécialiste des audits comptables dans des PME. Un bagage qui mettra banquiers et parents en confiance le jour où, en 2007, ils seront appelés à miser sur le projet des deux frères: racheter la société SUGYP, à Grandson. Jean et Marlyse Guinand sont encore à ce jour actionnaires de l’entreprise.

Coup de foudre à Chantilly

Mais, avant cela, il y a eu le coup de foudre. «Jusque-là, on ne s’était jamais intéressés aux feux d’artifice: c’étaient juste des pétards», sourit Nicolas. On est en 2004. Actif dans plusieurs sociétés locales, le cadet des Guinand est chargé d’acheter les feux du 1er Août pour le compte de la Ville de Neuchâtel. Pour apprendre à choisir, il décide d’assister à un concours pyrotechnique à Chantilly. En route pour la région parisienne, accompagné de Jean-Pascal et de Xavier Gentil, le complice de toujours devenu chef d’atelier à SUGYP. «Après le premier spectacle, on s’est regardés avec des yeux ébahis. On était comme trois enfants devant un nouveau jouet.»

La mèche était allumée, le feu d’artifice entrepreneurial pouvait commencer. Ingrédients: l’envie, pour les deux frères, de passer au chapitre existentiel suivant, un engagement total. Jean-Pascal: «Ça nous a pris du temps, mais on a réussi à mettre en lien toutes nos compétences pour en faire un projet fort.»

SUGYP, c’est un morceau: 2000 m2 de dépôts et plus de 700 de salles d’exposition dans une imposante ex-fabrique de cigares, en face de la gare de Grandson. L’entreprise brasse 3 millions de chiffre d’affaires par an, dont la moitié en feux d’artifice. Le reste, le secteur distribution, relève de la caverne d’Ali Baba tendance farces et attrapes: dans une pièce les masques de halloween, dans une autre les fleurs artificielles, plus loin des déguisements et jeux divers. Cette occupation de grossistes permet aux frères Guinand d’étaler leur activité commerciale sur l’ensemble de l’année.

Et les pétards, les bombes, les soleils et les cascades, où dorment-ils? Quelques cartons à peine sont alignés dans une cave prudemment dénuée d’équipement électrique: juste ce qu’il faut pour la confection des feux en cours. Le gros du stock dort dans deux hangars à explosifs qui furent militaires. Quand on brasse 25 tonnes de «matière active» par an, on prend ses précautions. Ladite matière vient à 80% de Chine et à 20% de divers pays d’Europe, au premier rang desquels l’Italie, leader historique de la pyrotechnie sur le Vieux Continent.

Avec ou sans musique

Mais revenons en 2004. Les frères et l’ami rentrent de Chantilly et, durant les sept heures que dure le voyage en voiture, ne parlent que de ça. Qu’ont-ils donc vu? Qu’est-ce que leur «nouveau jouet» a de plus qu’un traditionnel feu du 1er Août? La musique. Les jeux d’eau. La scénographie. La précision technique. La maîtrise des silences, répondent-ils en vrac. Au final: une émotion. Des années plus tard, à la Fête des vendanges 2013, Nicolas Bouvier, directeur du Théâtre du Passage, à Neuchâtel, dira à l’issue du spectacle des frères Guinand: «Je ne pensais pas qu’un feu d’artifice puisse m’émouvoir à ce point.»

Et le petit feu tout simple, alors, sans musique ni grands effets, le seul que la plupart des communes peuvent se permettre, il n’est pas émouvant, lui? Nos virtuoses du pyromélodique s’empressent de préciser: le «feu sec», comme on l’appelle, est le feu authentique du 1er Août. Il peut être magnifique: ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de musique qu’il n’y a pas de rhytme. A l’inverse, quand on veut faire du «pyromélodique à tout prix», on risque la mélasse lumino-musicale.

Seigneurs des lumières en leur palais de la magie éphémère, Jean-Pascal et Nicolas vous l’affirment: la poésie ne scintille pas que dans le ciel des riches.


Jean-Pascal et Nicolas Guinand

1969 et 1973 Naissance à Neuchâtel.
1999 Jean-Pascal, diplôme de l’Ecole supérieure de cadres pour l’économie.
1994 Nicolas, diplôme de bijoutier-joaillier.
2007 Ils rachètent l’entreprise SUGYP, à Grandson, feux d’artifice et articles de fête.
2009, 2010, 2012 Feux pyromélodiques pour les Fêtes de Genève.
2013 Premier prix du festival international Ignis Brunensis de Brno et troisième prix du Festival international de Macao.

 

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Photomontage: Régis Colombo
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