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Chloé, 14 ans, assassinée pour punir sa mère

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Jeudi, 24 Juillet, 2014 - 05:57

Eclairage. L’adolescente est morte vendredi à Belmont (VD) des mains de l’ex-amant de sa mère. Ou comment la déception et la vengeance amoureuses peuvent détruire des vies. L’analyse des psys.

Florence Duarte
collaboration Isabelle Falconnier

Le 18 juillet, c’est le jour de sa naissance. Ce vendredi 18 juillet 2014 est devenu le jour de sa mort. Chloé, 14 ans, adorable visage d’ange blond que l’on peut encore regarder sur Facebook, a été tuée par balle, probablement à bout portant, le jour de son anniversaire dans les bois des hauts de Lutry (VD). La date n’a certainement pas été choisie au hasard: le meurtrier connaissait Chloé, il était un ancien amoureux de sa mère, il devait forcément avoir des informations sur elle et ses deux sœurs de 15 et 12 ans.

Ce vendredi d’été, de vacances scolaires, l’adolescente, scolarisée au collège Arnold-Reymond, à Pully, est enlevée à Belmont-sur-Lausanne dans la matinée, attrapée et poussée dans le coffre d’une voiture par un homme en noir portant cagoule. Grâce à son téléphone portable, bien qu’enfermée dans le coffre de ce véhicule de location, Chloé arrive à donner l’alerte. Un témoin de la scène, depuis son balcon, fait de même. A 11 heures, l’alerte est signalée par la Police cantonale vaudoise, et plus de 40 patrouilles sont mobilisées. Cela ne suffira pas. A 11 h 50, la voiture est localisée dans une forêt. Les gendarmes y découvrent les corps de Chloé S., 14 ans, et de Laurent A., 30 ans, le kidnappeur, qui s’est suicidé après avoir tué l’adolescente.

A 11 h 09, le beau-père de Chloé, l’actuel compagnon de sa mère, a publié un avis de disparition sur les réseaux sociaux, l’appel au secours de la famille. A 17 h 01, c’est lui, de nouveau, qui confirme l’issue du drame. Sous l’éclairage des médias depuis ce week-end, le meurtre de Chloé apparaît, une fois de plus, dans un contexte de séparation amoureuse. Ce n’est pas un «drame familial» comme on l’entend souvent, de l’affaire des jumelles de Saint-Sulpice (VD) aux faits divers récurrents dans la presse française, puisque le meurtrier n’est pas l’un des géniteurs, mais c’est une tragédie de la séparation, puisque l’homme qui ôte la vie était un ex-amant de la mère. Le «je t’aime encore, je te tue» est ici d’autant plus choquant que l’homme quitté s’en prend à l’enfant de l’autre, massacre l’amour inconditionnel d’une mère.

La mère de Chloé s’appelle Caroline M. S., elle a 45 ans, est musicienne, professeure de piano, et a fondé une académie de musique pour adultes et enfants en 2003. L’histoire de cette femme, de son ex-compagnon de 15 ans plus jeune, de sa fille, de toute sa famille endeuillée, résonne en nous. Laurent A. et Caroline M. S. n’auraient eu qu’une aventure passagère en 2013. Ils n’auraient jamais vécu ensemble. Depuis cet hiver, Caroline fréquente Claude, le «beau-père» de Chloé. Coup de foudre, emménagement rapide. Laurent, décrit par une source comme «agressif et dominateur», était-il d’une jalousie meurtrière?

A ce stade des révélations faites par la police et par des proches, cette opération punitive peut apparaître comme la vengeance d’un laissé-pour-compte. Cette affaire secoue l’opinion publique, parle surtout à chacun d’entre nous, à chaque amoureux que nous sommes. Un couple sur deux environ divorce, combien se séparent, plusieurs fois au cours d’une vie, avec enfants et fratrie recomposée? Combien refont leur vie, multiplient les aventures, exposent leurs enfants à plusieurs beaux-parents successifs? Comment savoir qu’un ex peut «disjoncter»? Passer à l’acte, tuer un enfant? Quand est-ce que des sentiments peuvent virer violents?

Pour tenter de comprendre, nous avons questionné plusieurs psychiatres et spécialistes du couple. Voici une tentative d’autopsie de la violence amoureuse.

La différence d’âge joue-t-elle un rôle?

«Il y a souvent un attachement plus grand de la part des hommes plus jeunes, qui tombent amoureux éperdument, constate Juliette Buffat, psychiatre et psychothérapeute systémique de couple à Genève. La femme plus âgée s’engage moins, elle ne voit pas leur relation comme durable. Quant aux couguars, elles ne s’engagent jamais avec un homme plus jeune, elles assurent leurs arrières. L’homme, lui, se livre entièrement. Quand la relation s’arrête, il est d’autant plus désespéré.»

Pour Christel Petitcollin, conseillère en développement personnel à Montpellier, spécialiste et auteure de plusieurs livres sur les manipulateurs (pervers narcissiques), le cadre et les indices sont criants ici. «Comme dans tous les cas de manipulation, ces hommes prennent leur «conjointe» pour un substitut de mère. Avec elle, ils attendent un amour maternel fou et irréaliste, qu’elle leur passe tous leurs caprices, qu’elle pousse tout le monde hors du nid. Ils sont bloqués dans la toute-puissance infantile. On ne peut pas rompre avec eux. Pour lui, le crime c’est qu’elle l’ait abandonné. Le manipulateur reste dans le déni de la séparation le plus longtemps possible. Tant qu’il pensait pouvoir la récupérer, il se tenait tranquille. Le moment critique est celui où il perd espoir. La période des vacances est, aussi, pour eux un moment difficile. Il est insupportable que «maman» parte sans eux.»

Comment sentir la dangerosité de son ex?

«La dangerosité dans des affaires passionnelles n’a rien à voir avec la dangerosité dans des cas d’attaque à main armée ou d’agressions simples, explique Gérard Niveau, psychiatre, responsable du Centre universitaire romand de médecine légale (CURML). Ce sont en général des gens sans antécédents de violence. Notre manière de mesurer le risque de violence se base en grande partie sur les antécédents de la personne. C’est un indicateur puissant du risque de récidive. Dans les affaires passionnelles, c’est impossible. Sauf si l’homme a un passé de violence conjugale. Les hommes impulsifs, violents, sont plus faciles à repérer, mais tous les crimes passionnels ne sont pas commis par des hommes impulsifs ou violents.»

Pour Jean-Jacques Wittezaele, psychothérapeute de couple, directeur de l’Institut Gregory Bateson (IGB), spécialisé dans les thérapies brèves, qui a des antennes à Liège, Paris et Lausanne, cette dangerosité se mesure en termes de «fragilité»: manque de confiance, conduites de jalousie, contrôle excessif, recherche de faire toutes les activités ensemble (au nom de l’amour d’abord, mais qui finissent par limiter le sentiment de liberté de l’autre). Si on a le sentiment que l’autre réclame trop de réassurance au point de devenir un sujet de préoccupation envahissant, il vaut mieux envisager de mettre un terme à cette relation avant que la colère nous envahisse trop. La clarté des propos est plus indiquée qu’une proposition de rupture en douceur, qui laisse l’autre dans le doute, l’incertitude et qui entretient le sentiment qu’en insistant un peu, on pourra peut-être le (la) faire changer d’avis.»

Comment vient cette vengeance par dépit amoureux?

«Avant le passage à l’acte, le registre de la vengeance possible est très large, assure Gérard Niveau. C’est notre lot quotidien de psychiatres légistes: violence verbale, harcèlement téléphonique, diffamation sur les réseaux sociaux. C’est malheureusement très courant. La frontière entre ce qui est tolérable et ce qui devient dangereux est difficile à tracer. Une infime minorité d’hommes seulement passent à l’acte, et ce passage en reste généralement aux coups, aux gifles.»

Pour Jean-Jacques Wittezaele, les émotions d’une personne fragile peuvent être exacerbées lorsque la rupture est liée au choix d’un(e) autre partenaire ou d’un(e) rival(e). «Dans ces cas-là, c’est souvent l’image de soi qui est blessée (blessure narcissique, ego bafoué), et la réaction peut être violente dans certains cas. Il arrive que la personne quittée vive la rupture comme «la fin du monde», soit envahie de pensées obsessionnelles et soit prête à tout pour laver cet affront ou cette trahison, quitte à sacrifier sa propre vie ou celle de l’autre, voire encore, comme ce fut le cas ici, s’en prendre à ce que l’autre a de plus cher.»

Combien de temps après la séparation cette vengeance peut-elle s’exercer?

«Il est rare que la vengeance s’exerce longtemps après la rupture, observe Gérard Niveau. Si c’est le cas, c’est souvent que les ex-conjoints ou amants sont restés en contact d’une manière ou d’une autre. Il y a des gens qui ruminent longtemps, et tout peut alimenter leur ressentiment, n’importe quel événement heureux qui arrive dans la vie de l’autre, une remise en couple, un déménagement, quelque chose qui relance la colère.»

Pour Jean-Jacques Wittezaele, une blessure amoureuse peut rester à vif très longtemps, des mois, voire des années. «On voit encore des couples se déchirer après plus de dix années de séparation. On peut avoir envie de lui faire payer «ça» jusqu’à la fin de sa vie! En général, dans ces cas-là, toutes les exhortations rationnelles à «tourner la page» ne font qu’entretenir la colère ou la déception. On invite d’ailleurs la personne harcelée à ne plus réagir du tout, ni aux coups de téléphone ni aux SMS.»

Pourquoi tuer l’enfant?

Gérard Niveau: «C’est un phénomène de déplacement de la punition. Une façon de punir la mère des enfants en la condamnant à la tristesse éternelle, de tenter de la priver définitivement de la possibilité d’être heureuse. Comme lui s’est senti privé du droit d’être heureux.»

Christel Petitcollin: «Le meilleur moyen de faire souffrir une mère est de toucher à sa nichée. Cette femme ne pourra jamais faire le deuil de sa fille. Le choix des dates symboliques est très prisé par les manipulateurs. Choisir le jour de son anniversaire, de sa naissance, pour tuer cette enfant est particulièrement sadique. On essaie de nous faire croire que ces hommes souffrent. Comme Bertrand Cantat, comme Oscar Pistorius, il s’agit de psychopathes de la toute-puissance. On a toujours au fond de soi un instinct qu’on n’écoute pas. Un clignotant intérieur. Face à ces loups solitaires, qui demandent toujours à l’amour d’aller trop vite, il faut écouter son intuition. Son instinct de survie.»

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