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Le crash du MH 17 sera-t-il le Lockerbie de Vladimir Poutine?

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Jeudi, 24 Juillet, 2014 - 05:58

Analyse. Les 298 victimes du Boeing 777 malaisien mettent au jour de manière éclatante les mensonges et la duplicité du président russe, qui n’a cessé de fournir des armes, des mercenaires et des experts militaires aux insurgés du Donbass. A lui de jouer s’il ne veut pas, à l’instar de Kadhafi naguère, se retrouver dans la peau d’un paria.

Adrian Karatnycky

Les conséquences épouvantables du tir de missile contre le vol MH 17 de Malaysia Airlines vont très au-delà de la mort stupide de 298 personnes et de la souffrance infligée à leurs proches. Ce tir est un incident international aux conséquences aussi considérables que l’attentat à la bombe de Lockerbie contre le vol Pan Am 103, ordonné par Mouammar Kadhafi en 1988, qui allait faire d’un homme jusqu’alors considéré comme un despote excentrique un paria international mortellement dangereux. Si le président russe Vladimir Poutine, à la différence de Kadhafi, n’a pas ordonné lui-même le tir de missile qui a abattu l’avion de Malaysia Airlines, la tragédie met l’accent sur les dangers pour la sécurité internationale causés par son aventurisme téméraire et son recours à des sbires dans ce qu’on appelle désormais une guerre hybride.

Depuis que le conflit en Ukraine orientale a commencé, la propagande russe a tenté d’en brosser le portrait d’une guerre civile, d’un affrontement fratricide ukrainien: une formulation devenue un expédient confortable pour bien des démocraties européennes soucieuses de ne pas trop gâcher leurs relations économiques avec la Russie.

Tout accuse la russie

Le crash meurtrier du MH 17 a globalisé les combats dans l’Ukraine de l’Est en une guerre qui a coûté les vies de nombreux Européens de l’Ouest, Asiatiques et Australiens. Il a placé le rôle central de la Russie sous une nouvelle lumière, un rôle d’épine dorsale des affrontements en Ukraine orientale, et il a fait tomber le masque des subterfuges et de la propagande de Moscou.
Premièrement, quelques minutes après la disparition du vol MH 17 des écrans radars, le chef rebelle Igor Girkine – un officier de la Direction générale des renseignements des forces armées russes (GRU) qui a pris le nom de guerre de Strelkov, «le flingueur» – a posté sur sa page d’un réseau social russe l’information que les insurgés avaient descendu un avion de transport militaire ukrainien dans le voisinage du lieu où la tragédie s’est produite. Les services de sécurité ukrainiens ont également publié des enregistrements de communications interceptées des rebelles, dans lesquelles ils se congratulaient d’avoir abattu un appareil ennemi avant de réaliser qu’ils avaient touché un avion de ligne commercial.

Deuxièmement, les preuves s’accumulent que c’est bien un Buk, un missile produit en Russie capable d’atteindre une altitude de plus de 25 kilomètres, qui a abattu le Boeing 777 de Malaysia Airlines. Une dépêche du 29 juin de l’agence d’informations russe Itar-Tass signalait que les rebelles étaient désormais en possession de ce type de missiles mais assurait que cet armement avait été pris aux forces ukrainiennes, ce que Kiev dément, insistant sur le fait que tous ses missiles et leurs lanceurs sont restés sous son contrôle. L’habitude des troupes ukrainiennes serait plutôt de détruire de telles armes avant de se rendre ou de battre en retraite. Il est plus probable qu’une telle version ait été mise sur pied pour permettre à Moscou de nier toute implication dans un soutien direct à la cause des insurgés.

Propagande

Troisièmement, il y a toujours plus de preuves que la Russie a transféré en quantité des armements lourds aux insurgés pour tenir en respect les forces ukrainiennes qui, ces dernières semaines, ont reconquis du territoire occupé par les rebelles. Le gouvernement de Kiev contrôle aujourd’hui les trois quarts des régions dans lesquelles le mouvement séparatiste s’était déployé. Une des régions que les forces de Kiev ne contrôlent toujours pas est précisément celle au-dessus de laquelle le Boeing de Malaysia Airlines a été abattu.

Soucieux de la réaction internationale contre les auteurs de l’attaque et leurs liens avec la Russie, les médias grossièrement propagandistes à la solde de Poutine ont passé la vitesse supérieure. Certains d’entre eux imputent la responsabilité de l’attaque aux forces ukrainiennes. L’ambassadeur russe à l’ONU, Vitali Chourkine, a affirmé que l’Ukraine devait être tenue pour responsable parce que son autorité de l’aviation civile avait autorisé le survol d’une zone de combat. Poutine lui-même a plus vaguement accusé Kiev d’avoir créé les circonstances du drame en refusant de faire la paix, alors même qu’il sait qu’à fin juin et début juillet l’Ukraine a maintenu un cessez-le-feu que les insurgés n’ont pas respecté. Il sait aussi que c’est sur ses propres instructions que la Russie a recruté des mercenaires, livré des armes lourdes et envoyé des experts militaires entraînés et des techniciens pour mener dans le Donbass ukrainien une guerre par procuration.

L’accusation russe d’une complicité ukrainienne dans le désastre du MH 17 ne tient pas debout. L’Ukraine est, dans ce conflit du Donbass, la seule force dotée d’avions de combat et de transport de troupes. On ne voit guère comment elle aurait voulu abattre un avion au-dessus du territoire insurgé, puisque les rebelles n’en possèdent aucun. Par ailleurs, l’armée ukrainienne est en lien avec ses contrôleurs de l’air et sait en temps réel quels avions traversent l’espace aérien.

Il y a quelques jours encore, Vladimir Poutine était aux anges. Il savourait sa gloire de leader respectable. Il y a eu d’abord les photos prises de lui au côté de la chancelière Angela Merkel à la finale de la Coupe du monde de football, en tant qu’hôte de la prochaine édition de 2018. Puis on a vu ses images en compagnie des leaders des économies mondiales en forte croissance, Chine, Brésil, Inde et Afrique du Sud.

Poutine en danger

Sur fond de débris du vol MH 17 de Malaysia Airlines, cette image de respectabilité est aujourd’hui bien éclaboussée. Ces mois où la Russie a livré des armes, fourni des combattants et financé l’insurrection séparatiste dans l’est de l’Ukraine apparaissent en pleine lumière, sous le regard scrutateur des médias internationaux, et les empreintes digitales de Poutine constellent toute la tragédie.

Mais cette crise constitue un grave danger pour le président russe et le place à un tournant politique – tout en lui offrant paradoxalement une issue de secours. D’un côté, il risque le statut de paria, un isolement international accru, des sanctions et une nouvelle guerre froide. De l’autre, il peut battre en retraite, couper son soutien aux insurgés et les contraindre à fuir ou à déposer les armes. On saura très bientôt quelle est la voie qu’il choisira.

On a perçu ces dernières semaines les signes d’une inquiétude grandissante parmi les modérés du Kremlin et au sein du monde russe des affaires: la guerre par procuration en Ukraine fait trop de tort à l’économie et se mue en menace potentielle contre la stabilité à long terme du pays. La semaine dernière, avec les nouvelles sanctions américaines et le risque d’un isolement de la Russie à la suite du Lockerbie de Vladimir Poutine, la Bourse russe a perdu plus de 8% et ce n’est pas fini.

Poutine doit prendre prétexte de la tragédie du MH 17 pour opérer une désescalade rapide en Ukraine orientale. Il peut inciter les 15 000 combattants insurgés du Donbass – dont bon nombre de Russes – à déposer les armes. Et il peut stopper immédiatement la livraison de chars de combat, de missiles et d’autres armes aux rebelles. Ou, à la manière d’un Kadhafi, il peut devenir un paria et plonger son pays dans l’isolement international, maintenant que toute la lumière est faite sur son soutien éhonté aux sbires de la Russie qui tentent de créer en Ukraine une zone d’instabilité permanente.

Son Lockerbie et sa décision, c’est maintenant.

© The New Republic
Traduction et adaptation
Gian Pozzy

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Reuters
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