Interview. Yuval Diskin, ancien chef du Shabak, le contre-espionnage israélien, explique que les conditions d’une paix avec les Palestiniens semblent hors de portée tant la haine a grandi.
Propos recueillis par Julia Amalia Heyer
Deux semaines après le lancement de son opération militaire sur Gaza, le gouvernement israélien poursuivait ses bombardements le mardi 22 juillet. Des bombardements qui gagnaient en intensité (plus de 600 morts parmi les Palestiniens et 27 du côté israélien), comme les efforts diplomatiques pour un cessez-le-feu. Eclairage de Yuval Diskin sur les origines et les perspectives de cette nouvelle crise.
Pourquoi, après dix jours d’attaques aériennes, Israël a-t-il lancé une offensive terrestre contre Gaza?
Israël n’avait pas d’autre choix que d’accentuer la pression. Toutes les tentatives de médiation ont échoué. Par une invasion limitée, l’armée tente de détruire les tunnels entre Gaza et Israël afin que le gouvernement ait un bilan à présenter car, ces derniers temps, son électorat réclamait une invasion à cor et à cri. Le mot d’ordre est de ne pas aller dans les zones habitées mais de détruire les accès aux tunnels. Bien sûr, cela ne changera guère la situation: les roquettes sont tirées à partir des habitations où elles sont stockées.
Comment cela va-t-il continuer?
Israël est un instrument entre les mains du Hamas, pas le contraire. Le Hamas se fiche que sa population pâtisse ou non des attaques, car elle souffre de toute façon. Même les morts dans ses propres rangs ne le préoccupent pas forcément car son but est de modifier la situation à Gaza. Pour Israël, c’est compliqué: il faudrait un ou deux ans pour occuper Gaza et détruire un à un tous les tunnels, les dépôts d’armes et de munitions. Ce serait long mais, militairement, pas impossible. Reste que nous aurions alors près de 2 millions d’êtres humains sous notre contrôle et serions en butte aux critiques de la communauté internationale.
Israël ne jette-t-il pas les Palestiniens dans les bras du Hamas?
Ça y ressemble. Les gens de Gaza n’ont plus rien à perdre, tout comme le Hamas. Et c’est bien le problème. Quand l’armée a repris le commandement en Egypte, elle a détruit en quelques jours les tunnels entre Gaza et le Sinaï, vitaux pour les trafics et l’économie locale. Depuis, le Hamas n’arrive même plus à payer les salaires de ses fonctionnaires.
Qui peut arrêter cette guerre?
Lors de la dernière tentative, nous avons vu que l’Egypte, à la différence de naguère, ne s’investissait pas. Le Caire entend continuer d’humilier le Hamas.
Pourquoi Israël ne parle-t-il pas directement avec le Hamas?
Ce n’est pas possible. En fait, seuls les Egyptiens sont en posture de négocier. Pour cela, ils doivent mettre sur la table une offre généreuse, comme l’ouverture de leur frontière de Rafah. Et Israël doit faire des concessions, permettre davantage de liberté de mouvement.
Est-ce dans ce but que le Hamas a provoqué l’escalade actuelle?
Au début, le Hamas ne voulait pas non plus cette guerre. Mais tout a débuté avec le meurtre de trois adolescents en Cisjordanie. A ce que je sais, la direction du Hamas en a été surprise, elle semble n’avoir ni planifié ni ordonné cet acte.
C’est pourtant ce que Netanyahou a affirmé. Il voulait ainsi affecter le gouvernement commun du Fatah et du Hamas en Cisjordanie.
Après l’enlèvement des trois jeunes, le Hamas a tout de suite compris qu’il avait un problème. Dès que l’opération militaire a été déclenchée en Cisjordanie, des extrémistes de Gaza se sont mis à canarder Israël, qui a lancé ses bombardements. Mais quand ensuite un jeune Palestinien de Jérusalem a été tué, le Hamas lui-même s’est senti légitimé à attaquer Israël.
Comment le gouvernement israélien aurait-il dû réagir?
Netanyahou a eu tort de vouloir perturber l’alliance du Hamas et du président palestinien Mahmoud Abbas. Israël aurait dû réagir plus intelligemment et soutenir les Palestiniens car, après tout, nous voudrions la paix avec tout le monde. Un accord avec un gouvernement palestinien unitaire aurait été plus sensé que de faire d’Abbas un terroriste. La condition eût été, bien sûr, que ce gouvernement unitaire abjure le terrorisme, reconnaisse Israël et respecte tous les accords antérieurs.
Les dernières négociations de paix n’ont échoué que récemment, une fois de plus.
Rien d’étonnant. Aujourd’hui, nous avons un problème que nous n’avions pas auparavant, par exemple avant le premier accord d’Oslo: à l’époque, nous avions de vraies personnalités. Yitzhak Rabin en était une. Il savait qu’il devrait en payer le prix mais il a quand même choisi de négocier avec les Palestiniens. Du côté palestinien, avec Yasser Arafat, il y avait aussi une telle personnalité. Avec Mahmoud Abbas, il sera très difficile de faire la paix, mais pas parce qu’il n’en veut pas.
Pourquoi?
Ni Abbas – que je connais bien – ni Netanyahou ne sont de vrais leaders. Abbas est un type bien, il est opposé au terrorisme et il le dit. Mais deux personnes qui ne sont pas des chefs ne peuvent pas faire la paix. En plus, ces deux-là ne s’aiment pas et ne se font pas confiance.
Le seul moyen de résoudre ce conflit est un accord régional associant Israël, les Palestiniens, la Jordanie et l’Egypte. Le soutien de pays tels que l’Arabie saoudite, les Emirats et peut-être la Turquie serait aussi souhaitable.
Pourquoi Netanyahou ne travaille-t-il pas à un tel compromis et préfère invoquer sans cesse le péril de la bombe atomique iranienne?
Benyamin Netanyahou a fait son mantra de la menace iranienne, il y a là quelque chose de presque messianique. Et, bien sûr, il en tire des dividendes politiques: il est plus facile d’obtenir un consensus populaire à propos de l’Iran que sur la question d’un accord avec les Palestiniens. Car, sur ce point, Netanyahou a un problème avec son propre électorat.
Vous constatez que la colonisation juive en Cisjordanie atteint bientôt un point de non-retour et que la création d’un Etat palestinien ne sera ainsi plus possible.
Nous sommes tout près de ce point critique. Le nombre de colons augmente et la solution à ce problème est déjà presque hors de portée, ne serait-ce que d’un point de vue logistique, même si la volonté politique existait. Or, le gouvernement actuel a plus construit que jamais auparavant.
Une solution au conflit est-elle donc possible?
Il faut procéder pas à pas, engranger de petits succès. Il faut l’engagement de la partie palestinienne et Israël doit cesser toutes ses activités de colonisation, hors les grands blocs. Et tout de suite! Sans quoi, il ne restera plus que la possibilité d’un unique grand Etat commun. Et c’est une solution plutôt effrayante.
Le jeune Mohammed Khdeir, tué par des extrémistes juifs, a été reconnu comme une victime du terrorisme, ce qui est nouveau. Pourquoi le Shabak n’intervient-il pas plus résolument contre le terrorisme juif?
C’est notre souci depuis longtemps. Nous n’avons pas les mêmes outils que contre la terreur palestinienne. Le problème majeur est de traduire les criminels devant la justice et de les envoyer en prison car, quand il est question de juifs, les juges sont très sourcilleux avec nous. Il faut que l’affaire soit grave pour que la justice agisse contre le terrorisme juif.
Un élu du parti des colons Le Foyer juif a écrit que l’ennemi d’Israël était «chaque Palestinien».
La haine et ce climat nationaliste surchauffé étaient déjà perceptibles bien avant cet assassinat épouvantable. Mais le fait que cela se soit produit, d’une façon aussi brutale, est inconcevable. Cela peut sembler paradoxal, mais même dans le meurtre il y a des différences. Mohammed Khdeir, on lui a versé de l’essence dans les voies respiratoires et on lui a mis le feu. Vivant. Ce sont des gens comme Naftali Bennett (leader du parti ultranationaliste et sioniste Le Foyer juif et du mouvement procolonies My Israel) qui ont créé ce climat avec d’autres politiciens extrémistes et les rabbins. Ils sont irresponsables car ils ne pensent qu’à leur réélection, pas aux conséquences à long terme pour la société israélienne. © Der Spiegel
Traduction et adaptation Gian Pozzy
Yuval Diskin
Né en 1956, Yuval Diskin a dirigé le Shabak (ou Shin Beth), le service de contre-espionnage israélien, de 2005 à 2011. Ancien officier de Tsahal, il a travaillé pour le Shabak dès 1978, dirigeant successivement les régions de Naplouse, de Jénine et de Jérusalem. Durant la guerre du Liban, en 1982, il a opéré à Beyrouth et à Sidon.