Le Locle. Grand voyageur et amoureux de la Suisse, le conteur danois avait ses habitudes chez ses amis Houriet et Jürgensen. Au menu: excursions intensives.
Dimanche 5 août 1860, Le Locle. Hans Christian Andersen écrit dans son journal*: «Allé, par temps très bon, avec Jürgensen aux Brenets et, là, fus à l’église; le chant, sans orgue, sonnait joliment, mais du sermon je ne compris rien.»
Andersen, Jürgensen: deux noms danois entremêlés à l’ombre des sapins neuchâtelois, quelque part entre Le Locle et Les Brenets. En chemin d’une localité à l’autre, sur la crête d’où la vue sur les bassins du Doubs et sur la France est la plus spectaculaire, il y a cet objet curieusement néogothique, cette tour Jürgensen qui offre un poétique belvédère aux promeneurs charmés, mais dont la raison d’être reste mystérieuse. Parmi les fables qu’elle inspire, il y a celle qui voit Hans Christian Andersen écrire ici certains de ses contes, et pourquoi pas les plus célèbres. Allez, La petite sirène, en hommage à l’esprit enchanté du Saut-du-Doubs?
La vérité historique est un peu différente. Le romancier, conteur, poète et grand voyageur danois a séjourné trois fois au Locle. Mais son dernier passage (1867) précède de deux ans l’acquisition, par ses amis les Jürgensen, du sylvestre domaine du Châtelard, où s’érigera la tour. Différents membres de la dynastie horlogère dano-neuchâteloise ont bel et bien accueilli Andersen, mais dans leur maison du Locle.
Si l’auteur des Contes n’a pas vu la tour Jürgensen, il est passé par là, et pas qu’une fois: d’un séjour à l’autre, il répète maintes fois la promenade du Locle aux Brenets et les va-et-vient sur la frontière française, comme charmé par l’idée de ce franchissement.
Tenez, le soir même de sa première visite, en août 1833. Il s’est levé tôt, à Neuchâtel, pour arriver à temps: «A trois heures du matin, je suis parti en voiture. Du haut des monts du Jura, j’ai vu, dans la clarté du matin, toute l’altière chaîne des Alpes comme peinte sur l’horizon.» A onze heures seulement il arrive au Locle, car le nouveau train, qu’il trouvera lors de son second séjour en 1860 – «Maintenant, tout marche à la vapeur» –, n’existe pas encore. Fourbu? Réclamant un lit et rien d’autre? Point du tout. Il sort se promener avec ses hôtes «parmi les montagnes», «dans le calme merveilleux des noires forêts de sapins». Jusqu’où? «Nous arrivâmes au Doubs et pénétrâmes sur le sol français.» Le retour ne se fait que de nuit, après un dîner dans une auberge: «Sommes allés chez nous au clair de lune, c’était comme dans la tombe; à une église de France une cloche sonnait vêpres.»
A ce moment-là, Andersen a 28 ans et une seule paire de chaussures, qui doit attendre de sécher pour repartir en promenade. Il est un poète et dramaturge en devenir, fils d’un cordonnier et d’une domestique: le vilain petit canard n’a pas encore endossé les habits de cygne blanc de la célébrité.
Quelques jours plus tard, après être monté dans «une barque à fond plat» au débarcadère des Brenets, il découvre le Saut-du-Doubs, autre but d’excursion dont il ne se lassera pas: «Le fleuve était parfaitement calme; bientôt, nous avons pénétré entre des rochers gris à pic (…) à gauche, c’était la côte de France, à droite, celle de la Suisse.» Et l’enchantement de la chute: «On dirait le lait le plus blanc, qui monte en nuages courbes du gouffre noir, une fumée de poussière d’eau s’élevait au-dessus de la cime des sapins.»
La meilleure manière de mettre aujourd’hui ses pas dans ceux d’Andersen? Philippe Léchaire, ex-conseiller communal des Brenets et membre de l’association qui a présidé à la restauration de la tour Jürgensen, conseille le Chemin des planètes: «A pied, Andersen ne peut être passé que par là.» Cet itinéraire, aujourd’hui assorti d’indications didactiques sur le système solaire, part des Monts, en surplomb de la gare du Locle, et finit aux Brenets environ une heure et demie plus tard. Puis, sur un bateau de la NLB (Navigation sur le lac des Brenets), la minicroisière jusqu’au Saut-du-Doubs dure vingt minutes.
Mais, pour bien faire, il faut partir de la rue Crêt-Vaillant, au Locle, et de la première demeure où Andersen a séjourné: l’imposante maison Houriet, au numéro 28, semble avoir traversé le temps sans prendre une ride, comme le reste de cette rue historique, une des premières de la ville horlogère.
C’est en effet Jules Houriet, membre de la plus prestigieuse dynastie horlogère locloise, qui, le premier, invite au Locle ce jeune artiste danois passablement fauché, désireux d’apprendre le français et habité par une fringale de voyages qui ne se démentira pas. Le lien s’est fait via Sophie-Henriette, sœur de Jules Houriet dont Urban Jürgensen, apprenti horloger danois, s’est épris lors de son «tour d’Europe». Le couple vit à ce moment-là à Copenhague, mais viendra plus tard s’installer au Locle. Chaleureuse et prospère, la famille Jürgensen deviendra un point d’attache pour l’auteur des Habits neufs de l’empereur. L’un des fils Jürgensen publiera la première traduction française des Fantaisies danoises aux Editions Joël Cherbuliez, à Genève.
A-t-il écrit sous les sapins, le grand enchanteur? Il y a, pour sûr, achevé son grand drame poétique Agnès et le Triton. Et les spécialistes estiment que les paysages suisses lui ont inspiré le cadre de plusieurs contes.
* «Voyages en Suisse». De Hans Christian Andersen. Ed. Cabédita, 2005.
** Sur Andersen et les Jürgensen: «Nouvelle Revue Neuchâteloise», No 52, 1996.
Et aussi: «Le pays de Neuchâtel vu par les écrivains de l’extérieur». De Philippe Terrier.
Attinger-Hauterive, 2011.
Hans Christian Andersen
Né en 1805 à Odense, au Danemark, il est le fils d’un cordonnier et d’une domestique. Dramaturge, poète, écrivain voyageur, il devient célèbre grâce à ses contes, dont Le vilain petit canard, parabole autobio-graphique. Il fait treize séjours en Suisse, dont il ramène plusieurs dessins et croquis. Il meurt en 1875, comblé d’honneurs et bouleversé par la guerre franco-allemande.
A voir
Col des Roches
Les moulins souterrains
«Je fus sur le point de m’évanouir...» Les moulins souterrains du Col-des-Roches ont beaucoup impressionné Andersen. Ils restent impressionnants, même si la visite est aujourd’hui
parfaitement aménagée.
032 889 68 92.
www.lesmoulins.ch
Le Locle
Les fresques de Biéler
«Les hommes ont divisé le cours du soleil, déterminé les heures...» A ne pas manquer, sur l’avant-toit de l’hôtel de ville, la fresque Heimatstil de Charles Biéler, qui raconte les mythes fondateurs de l’horlogerie (1922).
Av. de l’Hotel-de-Ville.
www.lelocle.ch
Le Locle
Le Musée d’horlogerie
Sur la route des Monts, c’est-à-dire sur le chemin des Brenets, le Musée d’horlogerie propose une méditation sur le temps dans l’écrin très vert d’une somptueuse propriété.
032 931 16 80
www.mhl-monts.ch
Les Brenets
Le Château rose
Ne pas se fier au nom, on est dans une ferme d’alpage, sur les hauteurs: Anne-Lise et Raymond Oppliger proposent, en grillades, la viande de leur ferme. Chaleur et rusticité.
032 931 10 40
www.chateau-rose.ch
Les Brenets
Le Passiflore
La halte urbaine et conviviale, c’est chez Doris Collin, au Passiflore. Le café a une terrasse panoramique, la maison d’hôtes des chambres à la déco décoiffante et de généreux espaces communs, dont une salle de jeux pour enfants.
032 920 31 15
www.lepassiflore.ch
Les Brenets
Les Rives du Doubs
Pour manger des truites et dormir les pieds dans l’eau, cet hôtel-restaurant a tout ce qu’il faut. Le débarcadère est à deux pas pour une croisière au Saut-du-Doubs (vingt minutes). Le départ du chemin pédestre aussi (une heure).
032 933 99 99
www.rives-du-doubs.ch
Sommaire:
Cézanne, un séjour neuchâtelois par temps de cochon
Corinna Bille, enfance d’été sur lac de Bienne
Artaud apprend à dessiner à Neuchâtel
infatigable Andersen sur le chemin des Brenets