Le Chanet. Dans la clinique du Dr Dardel, le futur auteur du «Théâtre et son double» vient soigner ses troubles nerveux. Le début d’un parcours de génie et de douleur.
La «malade B», dont Antonin Artaud dessine, d’un geste noir, le portrait au fusain en 1920, est-elle une patiente du docteur Dardel à la clinique du Chanet ou du docteur Toulouse à l’asile de Villejuif? Une incertitude demeure, les deux possibilités sont vraisemblables: en cette année de ses 24 ans, le futur fondateur du «théâtre de la cruauté» a passé de Neuchâtel à Paris, séjournant successivement dans les deux établissements. Ses parents, des bourgeois aisés de Marseille, multiplient les démarches pour aider ce garçon que l’on dirait venu d’ailleurs – «beau comme une vague, émouvant comme une catastrophe», dira Simone Breton – affecté de violents maux de tête depuis l’adolescence.
Le docteur Maurice Dardel, ex-médecin-chef de la maison de santé de Préfargier, a ouvert en 1913 sa clinique privée neuchâteloise, sur un ancien domaine agricole. Il promet une approche renouvelée des troubles nerveux. Antonin Artaud sera son patient un peu moins de deux ans, selon Philippe Terrier, auteur d’un livre sur les auteurs illustres ayant séjourné dans la région.* Le jeune patient ne guérira pas mais trouvera, pour la première fois, un soulagement dans le laudanum. C’est le début d’un long compagnonnage avec les opiacés pour ce poète, acteur et théoricien du théâtre génial et douloureux: «L’opium est cette imprescriptible et impérieuse substance qui permet de rentrer dans la vie de leur âme à ceux qui ont eu le malheur de l’avoir perdue», écrira-t-il dans sa Lettre à Monsieur le législateur de la loi sur les stupéfiants.
C’est au Chanet, aussi, qu’Artaud apprend à dessiner et à peindre. C’est là, raconte Paule Thévenin**, qu’il offre le portrait de la «malade B» à la fille d’un patient qui deviendra son amie, Rette Elmer. Pour le reste, on ne sait pas grand-chose de son passage à Neuchâtel, dont il ne subsiste aucune trace écrite. Sinon cette phrase, dans une lettre à la femme de sa vie, la comédienne Génica Athanasiou: «Ah! me trouver avec toi au bord d’un de ces sublimes lacs suisses…»
La clinique du Chanet a été fermée à l’aube des années 30 et le domaine, racheté par la ville de Neuchâtel, a accueilli successivement une caserne, une compagnie des gardes-fortifications et l’Institut suisse de police. L’immeuble est aujourd’hui «en attente d’une nouvelle affectation ou de sa démolition», indique l’archiviste communal, Olivier Girardbille.
Il n’a rien de très séduisant, ce site où ont pris place plusieurs terrains de sport, qui invite à la promenade. «On peut imaginer Artaud marchant sur le chemin qui longe la forêt, jusqu’à Peseux», suggère Philippe Terrier. Ou tester la piste finlandaise du Circuit Santé. Ou descendre en ville à pied, en passant par le Gor du Vauseyon et la collégiale. Au bout: un sublime lac suisse.
* «Le pays de Neuchâtel vu par les écrivains de l’extérieur du milieu du XIXe à l’aube du XXIe». De Philippe Terrier. Attinger-Hauterive, 2011.
** «Antonin Artaud, dessins et portraits». De Paule Thévenin et Jacques Derrida. Gallimard, 1986.
Antonin Artaud
Né à Marseille en 1896, mort à Ivry-sur-Seine en 1948, le poète, essayiste et acteur a marqué la modernité scénique avec Le théâtre et son double. Il a fréquenté les surréalistes et incarné un inoubliable Marat dans le Napoléon d’Abel Gance.
A voir
Neuchâtel
Le Gor du Vauseyon
Un monde sauvage en plein centre-ville: dans les gorges du Seyon, une équipe de passionnés achève l’installation d’une série de roues à eau qui reproduisent les modèles historiques originaux situés dans toute la Suisse.
Visite libre ou guidée.
www.moulinsdugor.ch
Neuchâtel
La Famiglia Leccese
Héritier de la tradition des cercles, c’est un des rarissimes bistrots italiens authentiques de Suisse romande. Cuisine des Pouilles et ambiance «alla buona». Et tant pis pour le quartier, particulièrement disgracieux.
Rue de l’Ecluse 49
032 724 41 10
Neuchâtel
Isaana
Dans le même esprit – simple et bon – mais situé dans les rues piétonnes à proximité de la place Pury: un super petit thaïlandais de derrière les fagots.
Rue des Chavannes 25
032 710 19 19
Sommaire:
Cézanne, un séjour neuchâtelois par temps de cochon
Corinna Bille, enfance d’été sur lac de Bienne
Artaud apprend à dessiner à Neuchâtel
infatigable Andersen sur le chemin des Brenets