Eclairage. Et si les autres pays européens infligeaient des amendes et exigeaient des cautions du même ordre que la France, qui a obtenu 1,3 milliard de francs d’UBS? Le risque de déconfiture plane sur les banques suisses.
La menace est devenue très réelle, soudainement: le 23 juillet, la justice française a montré des dents que les banquiers suisses ne lui connaissaient pas quand elle a exigé une caution de 1,3 milliard de francs à UBS au moment de l’inculper pour «blanchiment aggravé de fraude fiscale». Ou plus clairement, la grande banque est accusée d’avoir activement aidé des contribuables français à cacher leurs avoirs dans ses coffres en Suisse, à l’abri du secret bancaire.
Jusqu’alors, seules les sanctions infligées par des juges américains avaient suscité des inquiétudes. Dernière en date, l’amende de 2,5 milliards de francs prononcée début mai contre Credit Suisse avait en plus immédiatement précipité un flot de critiques à l’adresse de Brady Dougan, directeur général de la banque.
En comparaison, l’arsenal juridique des Européens a longtemps paru bien inoffensif. En France, UBS n’avait subi pour toute sanction qu’une amende de 12 millions de francs décrétée à l’été 2013 par l’Autorité de contrôle prudentiel, le gendarme financier. Credit Suisse et Julius Bär avaient obtenu en 2011 la fin des procédures en Allemagne grâce à des accords passés avec des autorités judiciaires qui prévoyaient des pénalités de 175 millions et de 65 millions de francs respectivement. Une voie qu’a pu encore suivre UBS en concluant, au 2e trimestre de cette année, un accord à l’amiable avec le parquet de Bochum, moyennant le paiement de quelque 360 millions de francs.
Le spectre du Risque systémique
Ces banques ont peut-être échappé au pire. Car rien ne démontre que les Européens accepteront encore longtemps de régler le passé à coup d’amendes relativement indolores. Pourquoi des juges frustrés par des décennies de non-coopération de la Suisse dans leurs luttes contre la fraude fiscale ne seraient-ils pas tentés de suivre l’exemple américain? Et pourquoi leurs gouvernements ne chercheraient-ils pas à regarnir leurs trésoreries vides en ponctionnant les banques helvétiques au prix fort?
L’échec de «Rubik» fin 2011 a anéanti toute chance d’accord global avec l’Union européenne ou ses Etats membres. Aujourd’hui, pratiquement chaque banque sait qu’elle peut être attaquée en justice pour avoir prêté assistance à des contribuables ayant fui le fisc de leur pays, et même pour les avoir démarchés de façon illicite. Et cela pendant longtemps. «Il est clair que ces agissements risquent de coûter très cher aux banques», observe Sergio Rossi, professeur d’économie à l’Université de Fribourg. Pas sûr qu’elles puissent toutes y résister.
Une telle accumulation de sanctions très coûteuses peut les affaiblir, voire les placer en situation d’insolvabilité. Plusieurs banques incapables de faire face simultanément à des sanctions pourraient ainsi entraîner les établissements sains dans leur chute. «Cela peut déclencher un risque systémique pour la place financière», prévient Michael Rockinger, professeur de finance à l’Université de Lausanne.
La bns minimise… mais reste aux aguets
La Banque nationale suisse (BNS) se montre consciente de ce péril. Elle écrit dans son Rapport sur la stabilité financière publié fin juillet que «des pertes peuvent aussi résulter de risques opérationnels et juridiques». Mais elle minimise aussitôt: «Il ne présente pas un danger pour la place financière», précise un porte-parole. Les fonds propres des banques lui paraissent assez élevés pour y faire face. Pour le moment.
«Envisager un risque systémique me paraît audacieux», ajoute Luc Thévenoz, directeur du Centre de droit bancaire de l’Université de Genève. Avant d’être sanctionnées, les banques doivent faire l’objet de procédures pénales. Or, celles-ci demeurent encore peu nombreuses. En outre, les amendes géantes doivent être compatibles avec les ordres juridiques de ces pays. Pas sûr que cela soit le cas partout. UBS se bat férocement en France pour y échapper.
Mais la BNS reste aux aguets. «Nous observons très attentivement les développements» des procédures judiciaires en cours, ajoute son porte-parole.
Pour éviter des dérapages, certaines voix exigent une intervention politique vigoureuse de Berne auprès des autorités des pays voisins. «Eveline Widmer-Schlumpf, cheffe du Département fédéral des finances, doit prendre des positions fortes. La Suisse doit savoir, au besoin, taper fort sur la table. Voire prendre des mesures de rétorsion pour rétablir l’équilibre», lance le professeur Michael Rockinger.
Cependant, même si Berne lance des contre-attaques ou oriente la curiosité des enquêteurs vers des excès commis par les établissements étrangers en Suisse, les banques helvétiques n’ont pas fini de payer leur sulfureux passé.