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La fraude fiscale de Dominique Giroud? «Même pas grave»

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Jeudi, 31 Juillet, 2014 - 05:56

Décodage. Le vigneron a produit des faux et soustrait au fisc plus de 8 millions de bénéfices. Sanction pénale? Un sursis et 1012 francs de frais de justice, pour bonne conduite. Son ardoise fiscale a également été réduite.

En Suisse, frauder le fisc pour des millions de francs de manière «consciente et volontaire» en falsifiant des documents et en s’abritant derrière des sociétés écrans n’est pas considéré comme un délit grave. C’est ce qui ressort de l’ordonnance pénale rendue par la justice vaudoise le 16 juillet dernier, condamnant Dominique Giroud à 180 jours-amende avec sursis et 1012 fr. 50 de frais de justice pour «usage de faux».

Ce document, dont L’Hebdo a obtenu copie, montre que le vigneron valaisan a bel et bien dissimulé 8,5 millions de francs – 8 461 947 pour être précis – sur les bénéfices de Giroud Vins SA, entre 2004 et 2009. C’est ce qu’avait révélé la RTS dans deux reportages interdits par la justice valaisanne puis finalement diffusés fin mai.

Jusqu’ici, seule la peine avec sursis avait été rendue publique le 16 juillet. Cette annonce avait soulevé plusieurs questions, notamment sur les raisons de son apparente mansuétude et sur l’ampleur du rattrapage fiscal auquel s’exposait le vigneron fraudeur. Le contenu de l’ordonnance signée par le procureur vaudois Yvan Gillard permet d’y répondre en partie. Le texte précise notamment le montant exact de la fraude commise par Dominique Giroud. Sur 8,5 millions de francs de bénéfices «soustraits à l’imposition», l’Administration fédérale des contributions (AFC) a estimé que 719 000 francs étaient dus au titre de l’impôt fédéral direct «illicitement évité».

Ce montant implique que, au total, Dominique Giroud s’expose à un rattrapage fiscal de plus de 3 millions de francs pour la fraude touchant sa société Giroud Vins SA (lire ci-contre). Ce chiffre ne comprend toutefois pas les revenus éludés par l’encaveur à titre personnel, qui se monteraient à 13 millions de francs selon la RTS.

Sur le fond, le règlement par voie d’ordonnance de cette affaire hautement médiatisée, marquée par un contexte de tensions politiques sur l’avenir du secret bancaire en Suisse (lire L’Hebdo No 27), montre surtout que la justice vaudoise et l’AFC ont préféré enfiler leurs gants de velours, retenant avant tout les éléments à décharge.

Frauder n’est pas un crime

Bien sûr, les autorités ont bien dû constater que le contribuable Giroud n’était pas un saint. «L’activité délictueuse s’est étendue sur plusieurs années, a impliqué l’usage de plusieurs titres faux et porté sur un montant substantiel, note le procureur Yvan Gillard. Il faut souligner que l’intéressé a mis sur pied toute une structure (…) qui créait une grande opacité dans la gestion des liquidités.» Le vigneron utilisait de fausses factures pour réduire les bénéfices de sa société Giroud Vins SA. Il se rendait personnellement chez UBS pour retirer les montants en espèces – par centaines de milliers de francs – avant de les déposer sur le compte d’une société offshore auprès de Credit Suisse. Pour établir ces faux documents, «Dominique Giroud a utilisé les noms d’une dizaine de producteurs, se servant à une reprise au moins du papier à en-tête remis par le fournisseur concerné». La conclusion d’Yvan Gillard: «Il ne fait aucun doute que Dominique Giroud a agi avec conscience et volonté.» Voilà pour les éléments retenus à charge.

La suite de l’argumentaire prend la forme d’un conseil gracieusement offert à tous les fraudeurs fiscaux: si par malheur vous vous faites pincer, passez vite à Canossa et tout ira bien. «Pour fixer la peine, explique le procureur vaudois dans ses considérants, on tiendra compte, à décharge, de la bonne co-opération de Dominique Giroud durant l’enquête fiscale, lequel a admis tout ce qui lui était reproché. Il a déclaré regretter ses agissements, auxquels il a mis fin spontanément en 2009. Son casier judiciaire est vierge, et il a d’ores et déjà commencé à rembourser les montants dus.»

Ce n’est pas tout. Pour justifier la faible gravité attribuée au cas, le procureur se base sur l’interprétation de l’Administration fiscale des contributions (AFC), qui a elle-même accepté de réduire l’amende de ce fraudeur décidément modèle. «Il y a lieu de préciser, indique en effet l’ordonnance, que le cas n’a pas été considéré comme grave au sens de l’article 175 de la loi sur l’impôt fédéral direct, dès lors que l’amende prononcée n’a pas dépassé le montant des impôts soustraits.»

En clair: déjà au bénéfice d’un sursis au pénal, Dominique Giroud s’en tirera sur le plan fiscal en réglant une amende d’un montant inférieur aux 719 000 francs d’impôt fédéral impayés par Giroud Vins SA. L’article de loi en question précise que, dans des affaires considérées comme de peu de gravité, la note peut être réduite à un tiers du montant impayé. A l’inverse, le montant peut être triplé.

«Ensemble de paramètres»

Si le fait de cacher des millions au fisc de manière «consciente et volontaire» par des versements en cash sur les comptes d’une société offshore n’a pas été considéré comme grave, qu’est-ce qui aurait pu l’être? Les experts en droit fiscal interrogés par L’Hebdo n’ont pas souhaité aborder la question sous cet angle. Pietro Sansonetti, expert en droit pénal fiscal au cabinet Schellenberg Wittmer, explique que cette évaluation de la gravité relève d’un «ensemble de paramètres atténuants et aggravants destiné à permettre de prononcer une pénalité financière qui ne soit pas arbitraire».

L’avocat fiscaliste Xavier Oberson, qui défend Dominique Giroud, estime quant à lui que la condamnation de son client est une première hautement symbolique. «Les dénonciations pénales en matière fiscale sont restées extrêmement rares jusqu’ici. Je pense que cette condamnation est le signe d’un changement. Elle montre que nous entrons dans un monde où les infractions fiscales intéressent de plus en plus la justice pénale. Cela explique certainement l’ampleur sans précédent qu’a prise cette affaire dans les médias.»

Pietro Sansonetti abonde dans ce sens: «Dans leur grande majorité, les cas de fraude fiscale sont traités et réglés au niveau des administrations fiscales elles-mêmes, sans qu’ils ne fassent l’objet de dénonciations à la justice pénale. Cette situation pourrait toutefois changer avec le nouveau droit pénal fiscal, actuellement en gestation. Quoi qu’il en soit, on observe d’ores et déjà depuis quelques années une sévérité accrue en matière de pénalités pour fraude fiscale.»

Les propos de ces experts suggèrent que le simple fait que l’enquête fiscale contre Dominique Giroud ait pu atteindre le stade d’une condamnation pénale serait déjà considéré comme une mesure exceptionnelle, dont la symbolique serait suffisante en soi pour souligner la gravité du cas. Ce cap franchi, ni la justice ni l’AFC n’auraient jugé nécessaire d’enfoncer le clou par une sanction pénale ou financière trop sévère.

Malgré tous les discours sur le «changement de paradigme» du secret bancaire et sur la sévérité nouvelle des autorités fiscales, c’est ainsi que se termine la plus importante affaire de fraude fiscale publiquement dénoncée en Suisse depuis des décennies. Devant un tribunal vaudois, par une sanction à la tête du fraudeur.


Au tour du fisc valaisan

L’encaveur devra régler environ 3 millions de francs d’amende et d’arriérés pour les bénéfices soustraits par Giroud Vins SA.

S’il a fraudé l’un, c’est qu’il a fraudé l’autre. En reconnaissant sa faute et en passant un accord avec la justice vaudoise et le fisc fédéral, Dominique Giroud a établi du même coup le cadre du rattrapage fiscal qui l’attend en Valais.

Si la fraude sur l’impôt fédéral direct se monte à 719 000 francs, le montant dû pour les parts cantonales et communales devrait se monter à un peu plus d’un million de francs. En tenant compte des pénalités – inférieures au montant de la fraude – et des intérêts, l’ardoise totale pour régler les bénéfices soustraits par Giroud Vins SA devrait atteindre 3 millions de francs. Ni le Département valaisan des finances ni le Service cantonal des contributions n’ont souhaité indiquer si une procédure était engagée pour les récupérer.

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Pierre-Antoine Grisoni / Strates
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