Trajectoire Cette femme d’une quarantaine d’années vivant à Jérusalem est une Israélienne imprégnée de religiosité et comme incapable d’envisager un quelconque partage territorial avec les Palestiniens.
«C’est la main de Dieu qui a assassiné Rabin», affirme Esther*, une femme d’une quarantaine d’années domiciliée, avec son mari, dans la vieille ville de Jérusalem. Selon elle, il l’aurait fait, en 1995, par la main d’un extrémiste juif, pour punir l’ex-premier ministre israélien, coupable d’avoir signé les Accords d’Oslo en 1993 avec Yasser Arafat. Le coma dans lequel est tombé en 2006 Ariel Sharon, autre chef de gouvernement israélien, déclaré mort en janvier dernier? Volonté divine, là aussi, le prix à payer pour la cession de la bande de Gaza aux Palestiniens. «Les Palestiniens sont les ennemis d’Israël, c’est non négociable», dit-elle, de passage à Paris, début juillet, alors que l’offensive israélienne Bordure protectrice vient de commencer.
Emblématique du sionisme religieux
Esther est au judaïsme ce que les born again américains sont au protestantisme évangélique: une âme tourmentée, qui pense avoir trouvé un sens à son existence en rencontrant Dieu, une convertie à la religion héritée de ses parents. Née dans un pays maghrébin, ayant vécu en France, peu portée sur la politique mais animée d’un fort sentiment antipalestinien et, partant, antiarabe, Esther est emblématique du sionisme religieux. Cette idéologie est apparue en Israël au lendemain de la guerre des Six Jours, qui a permis la conquête de Jérusalem-Est et du mythique mont du Temple (ou esplanade des Mosquées), ainsi que d’autres lieux saints de Cisjordanie.
Esther est imprégnée de religiosité et comme incapable d’envisager un quelconque partage territorial avec les Palestiniens. Pour elle, il n’y a pas de territoires palestiniens qui vaillent, Israël s’étend en Cisjordanie et même «en Jordanie», l’ensemble formant ce qu’on appelle le Grand Israël.
Mère d’un jeune garçon, elle a sur les Palestiniens un regard au mieux paternaliste, au pire raciste – elle tolère en revanche les Israéliens arabes, dont certains, dit-elle, sont «très fiers d’être Israéliens», mais elle n’en fréquente aucun. «Je ne vois pas comment un pouvoir palestinien pourrait assumer ses responsabilités, soutient-elle. Je sais que les Arabes sont de grands soumis. Ils ont besoin d’être sous la coupe de quelqu’un. Etre sous la coupe des Israéliens leur rend bien service, ça les cadre.» La jeune quadragénaire ne semble pas réaliser le tranchant de ses propos. Elle est dans une lutte, une lutte qui bien souvent se solde mortellement. «Ils ont tué trois Israéliens, on a tué un Palestinien», résume-t-elle froidement à propos de l’assassinat, mi-juin, de trois jeunes juifs, suivi, début juillet, du lynchage, en représailles, d’un adolescent palestinien, brûlé vif, un acte qu’elle qualifie toutefois d’«abominable».
Comment Esther, par ailleurs sympathique et ayant pour les siens tout l’amour souhaitable, en est-elle arrivée à ce point de dogmatisme et d’intolérance – des traits qu’on retrouve bien évidemment dans le camp d’en face? Plus jeune, elle doutait. Aujourd’hui, elle ne doute plus, ou beaucoup moins. «Le doute, ce n’est pas le questionnement, c’est la remise en cause, et ça, ce n’est pas bien», dit-elle. Elevée au Maghreb, scolarisée à l’école publique, elle avait, adolescente, le goût des autres. Sa vie était à l’unisson de l’antiracisme en vogue à l’époque. Ses amis étaient arabes, chrétiens et juifs. Ses premières amours ne furent pas juives, mais, notamment, arabes.
Initiation à la kabbale
Diplôme en poche, elle s’établit à Paris. En 2006, sans doute déjà des questions plein la tête, elle s’installe dans un pays du sud de l’Europe, où elle suit des cours dans une branche artistique. Elle fait à cette occasion la connaissance d’un juif. «On ressentait la même gêne face à la nudité, face aux gens qui s’embrassaient dans la rue, raconte-t-elle. Ça a créé un lien entre nous, qui s’est transformé en lien amoureux. Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu une relation avec un juif. J’avais trouvé quelque chose, il fallait que j’accroche cette chose à quelque chose d’autre.»
Le «retour» d’Esther au judaïsme, à la pratique du shabbat, à l’observance du rite casher, se fera naturellement, paisiblement, au gré d’autres rencontres, avec d’autres hommes, presque des gourous, qu’elle ne nomme cependant pas ainsi. Ils l’initient à la kabbale, «qui permet de comprendre les choses à travers la valeur numérique des mots, explique-t-elle. Par exemple, les mots «satan» et «doute» ont la même valeur numérique.» Tout aussi naturellement, elle part habiter à Jérusalem, où son être et sa religion, qui ne font plus qu’un, pourront s’épanouir. Elle s’y marie avec un juif né aux Etats-Unis, religieux également et partageant avec elle, semble-t-il, la même vision d’Israël.
* Prénom modifié