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Le piège des hypothèques à taux plancher

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Jeudi, 7 Août, 2014 - 06:00

Eclairage. Il est de nouveau possible de s’endetter à moins de 2% pendant dix ans. Pourtant, l’obtention d’un prêt hypothécaire devient de plus en plus difficile. Et risquée.

Au téléphone, ce revendeur de prêts hypothécaires déborde d’enthousiasme: «Les taux d’intérêt sont historiquement bas!» Et, pour le démontrer, il propose aussitôt à son interlocuteur, propriétaire d’une maison en Suisse romande, les offres de deux compagnies d’assurances prêtes à reprendre un dossier à des taux d’intérêt difficiles à battre: 1,45% sur sept ans pour l’un, 1,69% sur dix ans pour l’autre. Avec, argument supplémentaire, la promesse de la prise en charge des pénalités que le client aurait à payer s’il dénonçait son contrat de prêt actuel. Pour un emprunt de 500 000 francs, cela représente des charges d’intérêt mensuelles de quelques centaines de francs par mois…

Et, même si l’offre définitive se révèle un peu moins favorable que les engagements du vendeur, les conditions de crédit restent extrêmement avantageuses. «Il est possible de souscrire à un prêt à dix ans à moins de 2% aujourd’hui», observe Roland Bron, directeur romand de VermögensZentrum, une société de conseil en gestion de fortune, à Lausanne (voir tableau). Etre propriétaire n’a donc pour ainsi dire jamais été aussi bon marché. Comment résister à de telles propositions?

Cependant, ce véritable cadeau fait aux ménages endettés survient au moment où les autorités fédérales – Départements des finances et de l’intérieur, Finma et Banque nationale – multiplient les obstacles pour l’octroi de prêts. Les candidats à la propriété immobilière doivent s’attendre à un vrai chemin de croix, d’autant que le niveau des prix extraordinairement élevé des logements fait peser un gros risque sur leurs épaules. Si la baisse, qui s’est engagée à la fin de l’an dernier dans les régions les plus chères, s’accentue, la situation pourrait vite devenir insupportable pour les ménages aux reins peu solides.

Les anciens propriétaires sont moins concernés. La plupart des nouvelles restrictions ne les concernent pas. Et leurs logements ont généralement pris de la valeur ces dernières années.
Pourquoi les taux d’intérêt baissent-ils?

Les taux d’intérêt sont au plancher de par le fait que la crise financière n’est pas terminée. Tout particulièrement en Europe où la Banque centrale européenne (BCE), inquiète d’un plongeon de la zone euro dans la déflation, continue d’arroser le système financier de liquidités créées tout exprès pour soutenir l’activité. Leur afflux a pour effet d’amener le loyer de l’argent à pratiquement zéro.

A cela s’ajoute la recherche, par de nombreux investisseurs, de placements sûrs. Ils sont inquiets des tensions entre la Russie et l’Occident sur fond de conflit en Ukraine ainsi que de l’instabilité au Moyen-Orient (Syrie, Irak, Gaza/Israël, Libye) qui pourraient mener un jour à une hausse des cours du pétrole. Des circonstances qui contribuent à déverser sur l’économie suisse des fortunes à la recherche d’abris. Les rendements des emprunts chutent. La Confédération a pu emprunter, début août, à 0,48%, deux fois moins que l’hiver dernier. Un niveau qui n’avait plus été vu depuis l’automne 2012.

Aussi les institutions financières cherchent-elles à parquer leurs liquidités ailleurs, par exemple en prêtant aux ménages qui investissent dans la pierre. Elles se livrent même à une dure concurrence. Les plus agressives sont les compagnies d’assurances, soumises à des réglementations financières moins sévères que les banques commerciales.

Dans l’ensemble, cette situation de taux de marché bas est appelée à durer. Tant que la conjoncture européenne ne décollera pas, la BCE fera tout pour maintenir les taux d’intérêt au plancher. La Banque nationale suisse (BNS) est forcée de suivre pour éviter une hausse du franc face à l’euro. Banques et assurances vont continuer de se livrer la guerre pour prêter aux individus. Mais des variations ne sont pas impossibles. Il suffit de quelques modifications de la réglementation financière ou d’un changement du sentiment des investisseurs pour que les taux d’intérêt se tendent de nouveau, influençant les taux hypothécaires. Aussi, il n’est pas dit que le plancher actuel tienne longtemps.

Est-ce le bon moment pour s’endetter?

Oui et non. C’est évidemment un moment favorable puisque les taux sont au plus bas. Attention, cependant, aux conditions. En l’occurrence, le moment est bien choisi pour conclure des contrats de prêts à taux fixe, de préférence prévus sur des durées très longues (de sept à dix ans), gage de stabilité au détriment des prêts à courte durée (moins de cinq ans). «Les conversions de contrats de prêts au Libor en contrats à durées longues s’accélèrent ces dernières semaines», note Roland Bron.

En revanche, le temps du taux Libor semble passé. Renouvelable tous les trois mois, celui-ci est extrêmement bon marché, mais il est susceptible de remonter rapidement. Et même s’il reste au plancher, la différence de taux entre un emprunt à trois mois et un prêt à dix ans est devenue très faible: moins d’un point de pourcentage. Pas sûr que cette tendance perdure.

Plus la situation financière du débiteur paraît fragile à la banque, plus drastiques sont les conditions que celle-ci est tentée d’imposer. Les jeunes ménages et les nouveaux emprunteurs, qui doivent faire leurs preuves, se voient généralement offrir des contrats moins favorables que les vieux débiteurs, surtout si leur credit history (leur historique) est sans tache. Ces éléments influent aussi sur la définition des autres conditions, à commencer par le montant de l’amortissement. Or, ce dernier va peser de plus en plus lourd sur le budget des débiteurs hypothécaires.

Les obstacles se multiplient

Renversant plus de vingt ans d’encouragement à l’accès à la propriété du logement, le Département fédéral des finances, la Banque nationale et la Finma ne cessent de multiplier les restrictions. Depuis 2012, les banques sont contraintes d’élever la couverture de leurs prêts par des fonds propres. Depuis 2013, l’emploi du 2e pilier est sévèrement limité pour la constitution des fonds propres, un tiers de l’emprunt doit être amorti dans les vingt ans et de façon linéaire, les frais d’accession à la propriété (constitutions de cédules, etc.), qui peuvent s’élever à plusieurs milliers de francs, ne peuvent plus être inclus dans un contrat de prêt. Et, dès septembre prochain, la durée du premier tiers de l’amortissement sera ramenée à quinze ans.

Ces mêmes autorités envisagent aussi d’obliger les nouveaux emprunteurs à payer chaque année au moins 5% de leur dette sous forme d’intérêt et d’amortissement. De nouvelles barrières pourraient être encore instaurées d’ici à la fin de l’année.

L’objectif de ces mesures vise à freiner la hausse des prêts hypothécaires, dont le volume a plus que doublé en dix ans pour dépasser le niveau fantastique de 660 milliards de francs (voir tableau). Un niveau qui place les Suisses parmi les ménages les plus endettés du monde avec les Néerlandais et les Danois. Aussi, la BNS voit dans cette explosion des prêts un risque pour la stabilité du système financier suisse dans son ensemble.

Cette explosion des prêts a contribué à pousser les prix du logement à la hausse, même si un ralentissement s’observe depuis 2011. Néanmoins, les prix ont encore augmenté de 2% en moyenne suisse au premier semestre de cette année, selon l’indice des bulles immobilières d’UBS.

Vice-président de la Banque nationale, Jean-Pierre Danthine a souligné, lors de la dernière conférence de presse de l’institution en juin dernier, les risques de cette évolution pour le système financier du pays: «La situation exige que les banques adoptent une politique prudente en matière d’octroi de crédits. Cela doit permettre de limiter leur potentiel de pertes futures, mais également de prévenir un accroissement des déséquilibres.»

En conséquence, les acheteurs potentiels peinent à décrocher des prêts de leurs banques qui, elles aussi, «sont devenues plus restrictives», relèvent plusieurs promoteurs. Les candidats à la propriété immobilière se faisant alors moins nombreux, les prix des logements progressent moins vite, quand ils n’ont pas commencé à baisser.

Cependant, dans les régions où les prix avaient le plus progressé, comme sur l’arc lémanique et dans la région zurichoise, le marché s’est inversé. «Les prix des logements de classe moyenne ont reculé de 5 à 10%», précise Etienne Nagy, directeur général du groupe Naef Immobilier à Genève. UBS constate que «dans la région du lac Léman et à Zurich, les prix restent sous pression».

Un jeu risqué

Les promoteurs immobiliers ne décolèrent pas de ce renversement du marché immobilier. «Le professeur Danthine a été contaminé par une bande de fonctionnaires dont la trouille est le maître mot», tonne le Vaudois Bernard Nicod. Il reconnaît certes qu’«il est très difficile d’être au bon endroit au bon moment». Mais les restrictions n’ont pas lieu d’être car «il n’y a pas eu de spéculation immobilière mais simplement des excès».

Les prix des logements haut de gamme (plus de 3 millions de francs) ont chuté de 30% dans certains cas, rappelle Etienne Nagy. Un tel plongeon peut mettre la situation d’un acquéreur récent en péril. Surtout si ce dernier a acquis son bien lorsque le marché était au plus haut, à la fin de l’an dernier. Imaginons qu’il l’ait obtenu avec un apport de fonds propres de 30% du prix d’achat (la norme en ce qui concerne ce type de bien), le reste étant de l’emprunt. La chute du prix a ramené la valeur de l’objet au niveau de la dette. La banque, inquiète pour son prêt, peut être tentée d’exiger un remboursement anticipé partiel. Cela se nomme un appel de marge.

«Jusqu’ici, nous n’en avons pas encore adressé», glisse un banquier. Les promoteurs contactés par L’Hebdo confirment. Mais cette situation pourrait rapidement changer si la baisse des prix se poursuivait, comme l’anticipe Patrick Delarive. Dans ce cas, les banques pourraient lancer des appels de marge auprès de leurs débiteurs les plus exposés.

Concrètement, cela prend la forme d’un bulletin de versement de plusieurs dizaines, voire centaines de milliers de francs, à honorer au plus vite, quelques mois, voire quelques semaines. Faute de quoi la banque peut réaliser le gage. Autrement dit: vendre la maison aux enchères et ne laisser à son client que la différence entre le prix de vente et le montant de sa dette. Si l’opération se passe mal, le client peut perdre toute sa mise de départ. Y compris la part de prévoyance professionnelle qu’il avait apportée comme fonds propres. Pire encore, il pourrait rester endetté auprès de sa banque. Cette situation pénible, de nombreux propriétaires l’ont vécue lors de la dernière crise immobilière, celle de 1991.

Un cauchemar qui ne devrait pas concerner les anciens propriétaires, à condition que la valeur de leur logement ait progressé ces dernières années. Et s’ils ont consciencieusement amorti leur dette, c’est encore mieux. Aussi, pour rester à l’abri, ils ne doivent pas céder à la tentation d’accroître leur endettement lors du renouvellement du contrat de prêt ou lorsqu’ils changent de créancier. D’autant qu’il est si facile et si séduisant de rajouter une tranche de 50 000 ou de 100 000 francs à une hypothèque pour changer de système de chauffage, installer des panneaux solaires, voire acheter une voiture neuve…

Une aubaine à accès limité

En quinze ans d’explosion immobilière, autorités et milieux professionnels ont atteint un objectif stratégique: accroître le nombre de propriétaires. Au tournant du millénaire, seulement un tiers de la population possédait son logement. Un taux qui a dépassé le seuil de 40% en 2012, selon les experts en immobilier, par défaut de statistiques à jour.

Il est néanmoins fort possible que l’on en reste là, du moins pour le moment. Les taux sont historiquement bas et ne devraient guère remonter. Mais l’arsenal de restrictions mis en place par Berne est en train de créer une césure dans le marché entre anciens propriétaires et candidats à l’acquisition d’un logement. Les premiers qui n’y sont pas soumis, et les seconds pour qui il est souvent trop tard pour franchir le pas. Cette césure se prolongera tant que les restrictions ne seront pas supprimées. Or, on n’en prend pas le chemin.

Les organismes de crédit, banques, assurances, caisses de retraite, etc., vont donc se battre sur un marché limité pour arracher des parts, à coups de pressions sur les taux d’intérêt. Ce sera sûrement tout bénéfice pour les emprunteurs existants alors que les autres ne pourront que difficilement en profiter. C’est bien connu, on ne prête qu’aux riches. Ces derniers recevront d’autres coups de téléphone enjôleurs des revendeurs de prêts hypothécaires.

yves.genier@hebdo.ch  @YvesGenier
Blog Rhonestrasse sur www.hebdo.ch


Les freins à la conclusion de nouvelles hypothèques ont été activés en dix-huit mois

Les quatre étapes de la grande restriction

Il y a moins de deux ans, obtenir un prêt était assez facile. Il fallait disposer de revenus au moins trois fois plus élevés que les charges d’intérêt et d’amortissement du prêt et apporter des fonds propres équivalant au moins à 20% de la valeur d’achat du logement convoité. Avec possibilité de les fournir via sa caisse de retraite. Destinées à empêcher une crise immobilière, ces règles se sont révélées insuffisantes face aux déséquilibres actuels. Pour encadrer la surchauffe, elles devaient être renforcées.

Les premières mesures sont prises en juin 2012 par l’Association suisse des banquiers (ASB) avec l’assentiment de la Finma. Elles limitent à 10% la part des fonds propres qui peuvent provenir des avoirs de retraite (LPP) et destinés à une nouvelle acquisition ou une augmentation de prêt. En outre, elle oblige les débiteurs à amortir le tiers de leur hypothèque en vingt ans.
En février 2013, la Finma prend une mesure technique pour renchérir le coût de l’octroi des crédits par les banques. Elle les contraint à constituer des réserves équivalant à 1% des prêts hypothécaires (pondérés du risque) qu’elles ont accordés, en plus des fonds propres qu’elles sont tenues de leur attribuer en temps normal. C’est le volant de fonds propres anticyclique.

En janvier 2014, le Conseil fédéral et la Banque nationale décident de relever d’un point de pourcentage supplémentaire ce volant de fonds propres. Désormais, les banques doivent couvrir leurs prêts hypothécaires par des réserves équivalant à 2% de ceux-ci.

Cela ne suffit toujours pas aux gardiens des marchés financiers. En juillet dernier, la Finma approuve une nouvelle autorégulation de l’ASB. La durée de l’amortissement du premier tiers de la dette est ramenée à quinze ans; le deuxième revenu d’un couple ne peut être pris en compte que si les emprunteurs sont codébiteurs solidaires; les banques doivent calculer leurs prêts sur la base de l’estimation la plus basse du logement servant de gage.

Et ce n’est pas fini: Berne prévoit d’introduire de nouvelles mesures, comme l’interdiction totale de l’emploi des avoirs de prévoyance, avant la fin de l’année, si le marché des prêts hypothécaires ne se détend pas.

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