Politique. Le village où Lénine, Trotski ou le Bernois Robert Grimm réunirent des socialistes de pays ennemis pour mettre fin à la Première Guerre mondiale invite à la balade, mais ne porte aucune trace du père de la révolution russe.
Il avait froid, Vladimir Ilitch Oulianov, cette nuit de septembre 1915, dans ce dortoir improvisé au premier étage d’une maison à colombages plantée au cœur de Zimmerwald, village lové contre le doux flanc du Längenberg, qui descend gentiment vers le sud, colline par-ci, colline par-là.
Alors on a cherché, dans un home pour personnes âgées, des couvertures pour ce petit homme au front dégarni, comme pour les autres ornithologues qui participaient à un congrès international dans la commune. Oulianov, plus connu sous le nom de Lénine, était ornithologue et vous l’ignoriez? Non. L’ornithologie servit de camouflage. Une idée du militant socialiste bernois Robert Grimm, organisateur de la conférence de Zimmerwald, celle qui réunit il y a bientôt un siècle 38 membres de onze pays, issus d’une gauche opposée à la guerre qui faisait rage en Europe.
Pour approcher ce lieu mythique de la plus belle façon, prenez le tram 9 en gare de Berne puis, à Wabern, le bus postal 340. Sortez à Kühlewil, devant le home d’où venaient les couvertures qui ont réchauffé Lénine. Sur la gauche, empruntez le chemin qui monte et longe les champs de haricots et de patates puis, à droite, cap sur la petite forêt. A sa sortie, le Längenberg s’offre à vous jusqu’au lac de Thoune, comme un vaste cirque naturel dont les gradins s’appelleraient Stockhorn, Niesen et, plus loin, Eiger, Mönch ou Jungfrau. Avec dans vos oreilles le seul chant des oiseaux, descendez au centre du village. Et là, entre la maison communale et ledit Schlössli avec sa tourelle, vous voyez l’ancienne pension Beau-Séjour où se tint la conférence. Vous cherchez une plaque commémorative, la maison où aurait dormi Lénine? Peine perdue, cette dernière fut détruite. En 1971, le Grand Conseil bernois refusa de la sauver. Pas question d’honorer une conférence qui fut le berceau de la révolution bolchevique.
Ce n’est plus la guerre froide, le mur de Berlin est tombé, mais Zimmerwald ne porte toujours pas la moindre trace de Lénine. Au seul restaurant du lieu, le Löwen, la patronne est embêtée: «Pas une semaine ne passe sans que des gens de partout, Anglais, Allemands ou Russes, me demandent ce qu’ils peuvent visiter.» Et elle n’a même pas un dépliant. Dommage. D’autant plus que l’an prochain vivra le centenaire de cette conférence qui fut alors un acte de pacifisme. «Il faut entreprendre cette lutte pour la paix, pour la paix sans annexions ni indemnités de guerre», dit le manifeste signé en conclusion. Lénine ne parvint pas à y ajouter un appel aux soldats de retourner leur arme contre leurs dirigeants.
Le maire Fritz Brönnimann rassure: «On réfléchit au centenaire.» Une voix s’élève du fond du restaurant: «Il y aura une pièce de théâtre!» Marco Morelli, clown, funambule et habitant du village, nous dira tout de cette pièce née sous la plume des auteurs bernois Ariane von Graffenried et Matto Kämpf. Alle Vögel sind schon da (Tous les oiseaux sont déjà là, titre de travail), coproduite avec une troupe russe, qui sera créée à Berne le 15 octobre au Schlachthaus Theater. Et ira, au printemps prochain, à Saint-Pétersbourg. Et… Zimmerwald? «On ne m’a pas encore approché directement, dit le maire. Ici, seule l’aula de l’école s’y prêterait.» Autrement dit, la commune n’exclut pas d’emblée une représentation de la pièce inspirée par le passage de Lénine sur ses terres. Une petite révolution. CB
Lénine
Vladimir Ilitch Oulianov (1870-1924) prend le pouvoir
en Russie en octobre 1917 après avoir mené l’insurrection des bolcheviks. Et donne naissance à la Russie soviétique, qui débouche ensuite sur la création de l’URSS.
A voir
Zimmerwald
Gasthof Löwen
Cette auberge à colombage trône au milieu du village depuis trois cent cinquante ans. Sur de solides tables de bois massif, elle sert de la cuisine bourgeoise, dont une salade de museau de bœuf.
www.loewen-zimmerwald.ch, vacances jusqu’au 12 août
Zimmerwald
Ferme de la famille Streit
En face de l’église, à deux cents mètres en dessous de l’observatoire astronomique d’où la vue glisse jusqu’au lac de Thoune, cette superbe ferme en bois de 1844 offre un appartement dans le «Stöckli», la petite maison destinée traditionnellement aux grands-parents, et plusieurs chambres dans la ferme.
www.agrotourismus.ch ou 031 819 54 14, fermé lundi et mardi
Oberbütschel
Restaurant Bütschelegg
Un des plus beaux points de vue de la région sur les Alpes et les Préalpes. Bâtisse en bois posée à 1000 mètres d’altitude, immense terrasse à l’ombre des châtaigniers et des tilleuls, jeux pour enfants. Plats bourgeois ou tamouls. A 10 minutes en voiture de Zimmerwald ou 1 h 30 à pied.
www.buetschelegg.ch, ouvert tous les jours l’été
Sommaire:
Ce monde de Meret qui fascine les Bernois
Et si Lénine revenait à Zimmerwald?
Mani Matter, le penseur culte de Berne
La revanche de l’enfant maudit