Quantcast
Channel: L'Hebdo - Cadrages
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Accords bilatéraux: Blocher a tort, voici pourquoi

$
0
0
Jeudi, 14 Août, 2014 - 05:57

Enquête. Le tribun de l’UDC démolit les accords bilatéraux. Son analyse est idéologique, souvent contraire à la réalité des faits.

Les accords bilatéraux? «Leur importance est massivement surestimée», assène le stratège en chef de l’UDC, Christoph Blocher, dans la NZZ am Sonntag du 13 juillet dernier. L’accord sur la recherche? «Il ne sert à rien», tranche-t-il. Et celui qui lève les obstacles techniques au commerce? «Son abandon ne serait pas si grave, alors que le respect de l’accord sur la libre circulation des personnes, quant à lui, appauvrit la Suisse.»

Qu’en est-il exactement? Des dizaines de diplomates suisses ont-ils vraiment perdu leur temps, durant deux décennies, à tisser un réseau de quelque 120 accords avec l’UE après l’échec de l’adhésion à l’Espace économique européen (EEE) en 1992? Ou alors Christoph Blocher, aveuglé par sa légendaire europhobie, raconte-t-il un tissu d’inepties?

Alors que la Suisse officielle se tait, L’Hebdo a contacté une douzaine de connaisseurs du dossier œuvrant le plus souvent quotidiennement au front de l’économie. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils sont inquiets. «L’initiative de l’UDC sur l’immigration se traduira par une dynamique de baisse des investissements due à l’insécurité juridique qu’elle provoque», prévoit Kai Gramke, économiste et politologue à l’institut Prognos de Bâle.

Celui-ci a calculé les effets de l’initiative jusqu’à l’horizon 2035 sur la base du ralentissement des investissements constatés après le non à l’EEE en 1992. Selon lui, la croissance prévue se tassera, passant de 1,7% par an à 1,59%. Certes, le recul est de l’ordre de la décimale, mais il pourrait tout de même engendrer une perte cumulée de 300 milliards de francs sur le PIB pour les deux prochaines décennies. «En outre, le nombre d’emplois ne croîtra plus en Suisse», pronostique-t-il.

Le credo de Christoph Blocher est simple: il suffirait de remplacer l’actuelle voie bilatérale avec l’UE par un accord de libre-échange en élargissant la base de celui approuvé en 1972 par 76% de la population. L’Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN) est sur le pied de guerre et planifie une initiative populaire dans ce sens, surtout si le PDC devait confirmer ses velléités d’ancrer la voie bilatérale dans la Constitution. Son secrétaire général, Werner Gartenmann, se dit pragmatique: «Nous avons besoin d’un accès au marché européen», reconnaît-il en fixant les lignes rouges à ne pas franchir. «Mais pas question de libre circulation des personnes, de reprise automatique du droit européen et de juges étrangers», précise-t-il.

Selon Christoph Blocher, un simple accord de libre-échange suffirait. «C’est la plus stupide déclaration qu’il ait faite», a réagi le président de Swissmem, Hans Hess, dans la Schweiz am Sonntag. En fait, la Suisse retournerait à l’âge de la pierre de ses relations avec l’UE. «En revenir à l’accord de 1972 n’est pas une option. Depuis, et l’UE et le monde ont beaucoup changé, même si les Suisses ne veulent pas l’admettre», note l’ancien ambassadeur à l’OMC Luzius Wasescha. L’économie s’est globalisée, les frontières ont explosé. «La voie bilatérale va beaucoup plus loin que l’accord de 1972», relève Jan Atteslander, membre de la direction d’Economiesuisse et responsable des relations internationales. Outre la controversée libre circulation des personnes, elle englobe notamment la levée des obstacles techniques au commerce, deux accords sur les transports et la participation au plus grand programme international de recherche du monde.

Grâce au succès de la voie bilatérale, l’économie suisse est devenue l’une des plus intégrées d’Europe. Ainsi, le taux de ses exportations vers l’UE, de 58% actuellement, est plus élevé que celui de l’Allemagne. S’isoler de l’Europe, c’est mettre en danger la prospérité et finalement la souveraineté. Car seul un pays prospère peut prétendre à l’indépendance.

Libre circulation des personnes

L’accord. C’est peut-être la seule «révolution» des années 2000 en Suisse – comme le disait l’ex-conseiller fédéral Pascal Couchepin: il garantit aux résidents européens le libre accès au marché du travail helvétique, et assure bien sûr la réciprocité aux Suisses.

L’avis de Christoph Blocher*. La Suisse fait face à un afflux migratoire qu’elle ne maîtrise plus. Depuis 2007, date à laquelle a pris fin le régime transitoire de l’accord, elle affiche un solde migratoire de 60 000 personnes en moyenne, pour passer même à plus de 80 000 personnes en 2013. «La LCP a certes permis une hausse du PIB en chiffres absolus, mais pas par tête d’habitant. La productivité a baissé, ce qui place la Suisse sur le chemin de la pauvreté», n’hésite-t-il pas à affirmer.

Les faits.«La Suisse ne s’appauvrit pas, c’est le contraire qui est vrai, assure Jan Atteslander. Le PIB par tête d’habitant a augmenté de 9000 francs de 2002 à 2012. Quant aux salaires, ils ont progressé de 0,7% par an en moyenne entre 2002 et 2013, contre une moyenne de 0,2% seulement durant la décennie précédente.»

Pour sa part, l’institut Prognos s’est demandé où la Suisse en serait si elle n’avait pas conclu ces accords bilatéraux avec l’UE. Le résultat est édifiant: «Un tiers du bien-être actuel de la Suisse est dû à la dynamique engendrée par les accords bilatéraux avec l’UE. Quelque 700 000 emplois en dépendent», estime Kai Gramke, auteur de l’étude.

Obstacles techniques au commerce

L’accord. Il facilite l’importation des produits, qu’un fabricant ne doit plus homologuer qu’une fois, en Suisse ou dans l’UE.

L’avis de Christoph Blocher.«Sans cet accord, notre économie serait légèrement handicapée, mais cela ne serait pas une catastrophe.» La Suisse n’a pas attendu les accords bilatéraux pour exporter. L’UE a tout intérêt à faciliter les importations de provenance helvétique. Sa balance commerciale avec la Suisse est largement favorable, soit à raison de 75 milliards d’euros selon Eurostat**.

Les faits. La résiliation de cet accord serait clairement dommageable. Les exportateurs seraient de nouveau confrontés à une double homologation de leurs produits. D’où un surcroît de frais, estimé par l’association professionnelle Interpharma à «entre 0,5 et 1% du volume des échanges avec l’UE». Soit entre 150 et 300 millions de francs par an pour la seule industrie pharmaceutique.

L’homologation rapide du produit est essentielle dans un monde où l’industrie travaille en flux tendu. Bernard Rüeger, président du fabricant de capteurs de température Rüeger SA à Crissier (VD), le confirme. En l’absence d’accord bilatéral, la procédure se mue en parcours du combattant. «En Russie comme au Brésil, il m’a fallu de quatre à cinq ans de démarches qui ont coûté quelque 50 000 francs à chaque fois», témoigne-t-il.

Plus grave: pour contourner l’obstacle, les entreprises pourraient se mettre à délocaliser une partie de leur production.

Accès aux marchés publics

L’accord. Depuis 1996, les marchés publics entre la Suisse et l’UE étaient régis par les règles de l’OMC. L’accord bilatéral étend le champ d’application aux communes, aux entreprises publiques et privées actives dans les chemins de fer notamment.

L’avis de Christoph Blocher. L’extension de l’accord est une amélioration des règles de l’OMC, mais «son abandon n’impliquerait pas de sensibles désavantages».

Les faits. La Commission européenne estime à 2400 milliards d’euros le volume annuel des marchés publics. Un potentiel énorme pour l’industrie suisse d’exportation, spécialisée dans les biens d’équipement de haute technologie. De plus, l’OMC, une organisation bloquée dans ses négociations, n’est plus une planche de salut pour la diplomatie économique suisse.

Agriculture

L’accord. Il a permis de réaliser l’ouverture réciproque des marchés pour certains produits agricoles, comme pour le fromage dès juin 2007. Il a aussi réduit les droits de douane pour les fruits et légumes.

L’avis de Christoph Blocher. Un accord pour rien. «Son abandon n’aurait aucune conséquence notoire.»

Les faits. Après une chute considérable durant les années 90, les exportations de fromage vers l’UE ont augmenté en moyenne de 2,7% par an entre 2003 et 2013. Parmi les gagnants figure le Gruyère AOP. «L’UE est un important marché pour nous», note Philippe Bardet, directeur de son interprofession. En 2013, année record, il a représenté 63% des 12 200 tonnes exportées à l’étranger. Selon le directeur de l’Union suisse des paysans, Jacques Bourgeois, la suppression de cet accord aurait de graves conséquences. «Les exportations absorbent 20% de la production de lait. Si l’accord tombait, nous aurions un excédent de lait et son prix chuterait.»

Transports terrestres

L’accord. C’est l’accord le plus politique, arraché après des années de négociations épiques. La Suisse a admis les camions de 40 tonnes sur son territoire, tandis que l’UE a accepté l’introduction d’une redevance poids lourds (RPLP) d’au maximum 325 francs.

L’avis de Christoph Blocher. Cet accord constitue l’argument massue du stratège de l’UDC. «Il n’est pas important pour la Suisse, mais vital pour l’UE.» Sans lui, les camions européens ne pourraient pas transiter par le Gothard sur l’axe nord-sud. Mais la Suisse, elle, pourrait s’en passer: elle pourrait même enfin réaliser les objectifs de l’Initiative des Alpes!

Les faits. La menace de fermer le Gothard aux transporteurs européens est largement surestimée. Bien sûr, la Suisse pourrait augmenter la RPLP à 400 ou 500 francs et gagner quelques millions dans l’opération. Mais tomber dans cette logique de confrontation inciterait l’UE à sortir elle aussi son arme absolue et exclure la Suisse de l’accès à son marché. Il n’y aurait que des perdants dans ce bras de fer.

Transport aérien

L’accord. Cet accord – dans lequel la Suisse s’est engagée à reprendre le droit communautaire – permet à toutes les compagnies helvétiques d’accéder au marché aérien sans discrimination.

L’avis de Christoph Blocher.«Il est très peu probable que le trafic aérien s’effondrerait si cet accord devenait caduc, estime-t-il. Dans le monde entier, les compagnies qui veulent atterrir en Suisse sont très nombreuses.»

Les faits. Swiss, qui a toujours son siège à Bâle, dessert 84 destinations dans le monde, dont 60 en Europe. «Si cet accord tombait, nous risquerions de revenir aux anciennes dispositions bilatérales avec chacun des Etats de l’UE. Il serait très laborieux de devoir les réactiver», déclare son porte-parole, Mehdi Guenin.

Recherche

L’accord. Il permet aux instituts de recherche, aux universités et aux entreprises de participer pleinement aux programmes européens. Après le oui du peuple à l’initiative sur l’immigration de masse, l’UE a bloqué provisoirement la participation de la Suisse à Horizon 2020, portant sur les années 2014-2020.

L’avis de Christoph Blocher.«Les programmes européens de recherche sont relativement inefficaces, avec peu de résultats concrets à la clé.» Si la Suisse ne pouvait plus y participer, elle pourrait non seulement investir les mêmes moyens dans notre pays, mais aussi les contrôler pour s’assurer du succès de l’activité des chercheurs.

Les faits. Christoph Blocher nie les évidences avec une mauvaise foi confondante. La Suisse est l’une des grandes bénéficiaires du septième programme s’étant achevé en 2013. Elle a contribué pour 2,8% de son budget, mais a touché 4,2% des moyens à disposition. Cette participation s’est aussi traduite par 8000 emplois, le dépôt de 480 brevets et la création de 240 entreprises. Cerise sur le gâteau: l’UE a choisi le projet d’Henry Markram sur le cerveau – piloté par l’EPFL – comme l’un de ses deux navires amiraux, qu’elle cofinancera à raison d’environ 500 millions d’euros sur dix ans.
Tous les chercheurs le disent: «Etre largué d’Horizon 2020, c’est comme si le FC Bâle ne pouvait plus jouer la Champions League de football.» Privée du réseau européen, la place scientifique en sera affaiblie à terme et les meilleurs chercheurs iront travailler ailleurs s’ils sont exclus des programmes européens.

Dans son analyse, Christoph Blocher conclut que les «maigres avantages des accords bilatéraux ne compensent pas les désavantages de la libre circulation». Hors de l’UDC, aucun entrepreneur sérieux ne partage ce point de vue.

* Toujours tiré du texte publié dans la «NZZ am Sonntag» du 13 juillet 2014.
** Selon l’OFS, qui n’inclut pas le commerce de l’or dans ses chiffres, la balance commerciale favorable à l’UE se réduit à 20 milliards de francs.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Trending Articles