Reportage. Le photographe de l’agence Rezo Jean Revillard a accompagné les malades des ondes électromagnétiques dans leurs «zones blanches», territoires sauvages de la Drôme et des Hautes-Alpes encore vierges d’antennes-relais, transformateurs ou wifi.
Le photographe genevois Jean Revillard doit, pour une fois, renoncer à l’appareillage électronique qui l’entoure habituellement lorsqu’il prend des portraits. Dans ces coins sauvages de la Drôme et des Hautes-Alpes françaises, ses sujets ne supportent pas les ondes électromagnétiques, radiofréquences ou champs électriques. Ils sont «électrosensibles», terme vague qui désigne une grande intolérance aux réseaux de téléphonie mobile, antennes-relais, wifi, transformateurs, voire aux simples installations électriques. Pour ne pas développer les pathologies liées à leur hypersensibilité, comme maux de tête, fatigues extrêmes ou réactions cutanées, ces êtres-antennes se replient dans des «zones blanches». Des forêts, vallées ou montagnes vierges de champs électromagnétiques. Des sanctuaires de moins en moins nombreux en raison de la marche triomphante des technologies modernes de la communication.
Jean Revillard s’intéresse aux natures inhabitées qui recueillent les damnés de la terre. On se souvient de sa série sur les cabanes précaires des migrants dans les bois de Calais, reportage qui lui valut un prix World Press. Ou de ses portraits de prostituées africaines qui travaillent dans la forêt crasseuse de la région turinoise. Comme si la société repoussait là, sur ces territoires hostiles, les malheureux qui ne rentrent pas dans son cadre.
En observateur
Le cas douloureux des électrosensibles est un peu différent. Ils sont organisés et tentent de se défendre plutôt que de subir. Dans les Hautes-Alpes, comme chaque été, l’association Une terre pour les électrohypersensibles organise à la fin d’août un rassemblement international dans les gorges du Riou-Froid. Zurich a ouvert, fin 2013, le premier immeuble antiallergène d’Europe, qui accueille notamment des électrosensibles. En Suisse comme ailleurs, les études scientifiques se multiplient pour en savoir davantage sur un phénomène qui manque encore de preuve expérimentale et reproductible. L’effet est là, touchant en moyenne 5% de la population. Quelle est la cause exactement? Les radiofréquences sont-elles les seules à incriminer?
Jean Revillard se garde de prendre position. Il se contente d’observer ces intolérances, et surtout souffrances, qui rendent la vie normale presque impossible. Ces femmes et ces hommes blessés, qui se replient dans des huttes transformées en cages de Faraday, calfeutrent leurs caravanes avec des revêtements protecteurs, portent des masques. Ou des fils reliés à des piquets en acier pour tenter de décharger les ondes électromagnétiques.
Un jour, dans la zone blanche en dessous de Grenoble, Jean Revillard a oublié d’éteindre son téléphone portable. La personne électrosensible qui était en sa compagnie n’a pas réagi tout de suite. Au bout d’une à deux heures toutefois, l’agitation de la malade a commencé à croître. Au point que la situation est devenue ingérable. A l’évidence, le photographe avait en face de lui un radar ultrasensible qui ne supportait pas ce qu’il captait.
Rassemblement des EHS. Gorges du Riou-Froid.
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