Rencontre. Trente-huit jeunes Genevois sont partis aux Comores pour apporter de l’aide à des villageois. Lors d’une soirée ouverte à tous, ils raconteront leur expérience.
«C’était bouleversant. J’ai souvent pleuré. Je m’en souviendrai toute mon existence. Ça a changé ma vie.» Ecouter parler Merhzia (20 ans), Aline et Kastri (18 ans chacun) de leur séjour à la Grande Comore est émouvant. Les voyages forment la jeunesse, dit le proverbe. Dans leur cas, ils l’ont transformée.
Evidemment, les trois Genevois ne partaient pas au large du Mozambique, en plein océan Indien, pour aller parfaire leur bronzage. Leur but était précis et leur projet solidaire: participer à la construction d’une école et d’un centre de loisirs pour 300 enfants à Gnambeni, village situé à deux heures et demie de route de la capitale.
Vendredi 5 septembre, dès 18 h 30, une soirée spéciale sera organisée à l’école Stitelmann, à Plan-les-Ouates. Pas moins de 800 invités viendront écouter le récit de cinq des 38 jeunes filles et jeunes gens qui sont partis si loin. Un film de quarante-cinq minutes, tourné avant le départ, sur place et au retour, sera diffusé, ainsi qu’un clip d’une chanson rap composée par les jeunes, sur Happy, la désormais célèbre mélodie de Pharrell Williams. Une exposition de plus de 300 photos complétera le programme de la soirée.
Aider, mais pas n’importe comment A l’origine de ce projet, Humberto Lopes, travailleur social au Bus unité prévention parcs (BUPP) de la Fondation genevoise pour l’animation socioculturelle (FASe). Le premier voyage d’entraide qu’il a organisé avec les jeunes date de 2007. Il a eu lieu au Sénégal, à Dakar, pour construire un centre informatique. D’autres destinations ont suivi – le Cap-Vert, le Cameroun, à Douala, le Togo, à Lomé –, avec chaque fois le même but: bâtir une école. A Cotonou, au Bénin, il s’agissait de construire un orphelinat. Aujourd’hui, certains groupes continuent leur activité d’entraide.
«Pour le projet aux Comores, c’est la première fois que nous avons vécu en vase clos, dans un village, chez les habitants.» Si ces voyages ont un but éducatif pour les jeunes, notamment «une rupture avec leur environnement et une réflexion sur soi», ils doivent en premier servir à la population locale. Pour chaque projet, Humberto Lopes est en contact avec les représentants des diverses communautés qui vivent en Suisse. «Ils savent quels sont les besoins de leurs compatriotes. Ils participent d’ailleurs financièrement aux projets. Les Comoriens ont versé 30 000 francs pour la construction de l’école, dont la majeure partie a été réalisée par des ouvriers locaux. Lorsque les jeunes sont arrivés sur place, il ne restait que de menus travaux à réaliser.»
Au boulot!
De fait, les jeunes, âgés de 16 à 18 ans au début du projet, doivent travailler pour récolter l’argent nécessaire et le matériel – jouets, habits, médicaments – qu’ils apporteront sur place. Humberto Lopes raconte: «Durant les dix-huit mois qu’a duré la préparation du voyage, ils ont pris part à pas moins de 26 manifestations, servant des boissons au bar, faisant des pâtisseries, organisant des lotos. Et quand il s’agissait d’obtenir le soutien de banques privées ou d’horlogers, les jeunes venaient présenter le projet.» Budget prévu, construction de l’école comprise: 120 000 francs.
En travaillant, les participants au voyage ont gagné 26 000 francs. Ils ont également récolté 7000 francs auprès de leurs «parrains», des gens de leur entourage d’accord de les soutenir à raison de 50 francs ou plus. L’Etat de Genève et la Ville de Carouge ont également versé de l’argent.
Si, au départ, 52 jeunes se sont lancés dans le projet, seuls 38 sont partis sur place ce printemps, divisés en deux groupes qui, chacun, restait une semaine. «Nous avions des réunions une fois par mois. Ceux qui manquaient plus de trois fois étaient renvoyés.» Onex, Lancy, Bernex, Confignon et Chancy… d’habitude les jeunes de ces différents quartiers ne se mélangent pas. Kastri constate pourtant: «Sur place, on oublie les différences et les a priori tombent.»
Là-bas, la claque
Au début aussi, le jeune Albanais, élève à l’école de culture générale, avoue avoir manqué de motivation. «Les premières réunions, ça me saoulait. Mais une fois sur place j’ai regretté de ne pas m’être donné plus dans la récolte de matériel. Je me disais: «T’es un con!» Par exemple, un copain avait un ordinateur à donner, mais comme ça me cassait les pieds de le ramener de Plan-les-Ouates à Bernex, je n’ai pas été le chercher.» Merhzia, elle, s’en est beaucoup voulu d’avoir traîné les pieds. «Une fois sur place, j’aurais tellement voulu leur apporter plus. J’étais dégoûtée par mon attitude en Suisse.»
Kastri et Merhzia ne sont pas les seuls à avoir regretté de ne pas s’être donné plus de peine durant les dix-huit mois de préparation. «Un des jeunes ne voyait pas l’intérêt d’amener des «peluches pourries» aux Comores, se souvient Humberto Lopes. Il râlait lorsqu’il fallait aller les récolter. Sur place, je l’ai installé au milieu du village pour la distribution aux enfants. En quelques secondes, il a été submergé par une horde de fillettes et de garçons, très heureux de recevoir de tels cadeaux. Il a alors déploré son manque d’enthousiasme en Suisse.» Le travailleur social revient aussi sur l’étonnement «d’un jeune en rupture» qui, sur place, passait pour un demi-dieu en distribuant du matériel. «Une telle expérience change les gamins, ils voient la vie autrement.»
C’est le moins que l’on puisse dire. Merhzia, Aline et Kastri sont unanimes pour dire que, depuis leur retour, leur existence a changé. Merhzia: «Ce voyage m’a beaucoup transformée. Je ne suis plus du tout matérialiste. Avant, je faisais régulièrement du shopping: un nouveau pull par-ci, un petit sac par-là. Aujourd’hui, ça ne m’intéresse plus. Lorsque je suis rentrée, ce que j’avais vécu était si fort que j’ai arrêté de parler à mes copines. Certaines m’ont demandé: «C’était cool, ton voyage?» Elles n’ont pas saisi ce que j’avais ressenti là-bas. Alors je voyais les gens du projet, car j’avais l’impression qu’eux, ils me comprenaient. Ici, on est tellement matérialiste. Certains jeunes tirent la gueule parce qu’ils ont un iPhone 5 et pas un 5S!»
Larmes et émotions
Les trois jeunes racontent l’accueil extraordinaire reçu à l’aéroport, les centaines de personnes qui chantaient et dansaient pour eux. Kastri: «Je vais garder ce moment-là toute ma vie en tête.» Ils parlent de la découverte du village et des conditions de vie très précaires, la solidarité entre les gens pour survivre. Aline: «Ils n’ont rien mais ils donnent tout. Les choses qui n’ont pas trop de valeur pour nous, comme de vieux T-shirts ou des casquettes, en ont beaucoup pour eux.» Merhzia: «Je pense qu’ils nous ont apporté plus que nous. Notamment la notion de partage.» Kastri, lui, était si touché par leur dénuement vestimentaire qu’il a offert tout le contenu de sa valise à son «frère de là-bas». «Même mes chaussures Adidas…»
Un des moments forts a été la visite de l’ancienne école, qui était encore en fonction. Beaucoup n’ont pas pu retenir leurs larmes en voyant plus de 150 enfants de 5 à 17 ans, debout, entassés dans une seule pièce avec seulement quatre ou cinq pupitres. Les 150 autres filles et garçons vont à l’école l’après-midi. «Certains étaient même assis dans des sortes de trous qui faisaient office de fenêtres…»
Ce qu’un tel voyage leur a appris? Aline: «Ici, en Suisse, c’est trop chacun pour soi. La société occidentale est ainsi. Si les gens pouvaient s’entraider un peu plus et être moins calculateurs…» En voyant la bonne entente entre les frères et sœurs comoriens, Kastri, lui, est devenu plus gentil avec ses sœurs. «Et tous les matins, en me levant, je me dis que j’ai de la chance de vivre ici, que j’ai de la veine de pouvoir aller à l’école et de travailler le soir comme livreur. C’est ce que les jeunes des Comores m’ont affirmé. Aujourd’hui, je regrette d’avoir arrêté mon apprentissage et d’être retourné en classe. Si je l’avais commencé après le voyage, j’aurais tenu le coup…»