Analyse. La prévision d’achat par la Suisse d’un engin militaire israélien de reconnaissance provoque une fronde à gauche. L’armée est dans ses petits souliers.
L’achat d’armement est en Suisse tout sauf une formalité. Singulièrement lorsqu’il s’agit de matériel volant. Peut-être parce que les citoyens ont l’impression que les engins militaires évoluant dans le ciel échappent davantage à leur contrôle que les équipements progressant au sol. Le rejet des Gripen en votation, le 18 mai, témoigne de cette vigilance redoublée. On pouvait toutefois penser que l’acquisition de drones, ces objets sans pilote destinés par le Département fédéral de la défense (DDPS) à des missions de reconnaissance au-dessus du territoire national, passerait le cap de l’opinion, sinon comme une lettre à la poste, du moins sans tirs de barrage. C’est raté. La raison: l’origine du produit, Israël, ajoutée au lourd bilan humain, provisoire, côté palestinien, de l’opération Bordure protectrice amorcée par Tsahal le 8 juillet dans la bande de Gaza.
L’opposition à cet achat d’environ 250 millions de francs, que les militaires ont prévu d’inscrire au programme d’armement de 2015, émane principalement et sans surprise de la gauche. Conseillère aux Etats et membre de la commission de politique de sécurité de la Chambre haute, la socialiste vaudoise Géraldine Savary donne le ton du refus: «Premièrement, le drone choisi, l’Hermes 900 HFE, de la société israélienne Elbit Systems, est surtaillé relativement aux missions non armées qu’il est censé accomplir en Suisse, fait valoir la sénatrice. Nous n’avons pas besoin de quelque chose d’aussi performant, d’autres modèles existent sur le marché. Ensuite, vu le conflit en cours à Gaza, cet achat à Israël ne nous paraît pas opportun, alors même que le drone Hermes est utilisé par Tsahal dans des opérations de bombardement.»
Les 2400 morts palestiniens, jusqu’ici, en majorité des civils, et la forte médiatisation de cette énième «guerre asymétrique» qui dure depuis bientôt deux mois, ont rendu Israël comme infréquentable aux yeux d’un certain nombre de citoyens de pays amis de cet Etat. Le DDPS, dans cette tourmente morale, en viendrait presque à s’effacer: «Notre département s’est prononcé en faveur d’un modèle de drone. La décision finale d’acheter ce type de drones revient au Parlement», explique prudemment et par écrit le service de presse de l’armée suisse, donnant l’impression de ne plus tout à fait assumer son choix. Entretenir des relations militaires avec Israël a désormais quelque chose d’inavouable. Or, la réalité – ou la rumeur – veut que celles-ci soient étroites entre officiers suisses et israéliens, bien plus importantes en tous les cas que ne le laisse penser le niveau apparemment modeste du commerce des armes entre les deux pays.
Pratique restrictive
«Les livraisons de matériels de guerre helvétiques à Israël sont soumises à une pratique restrictive depuis plusieurs années», explique par écrit le service de presse du Secrétariat à l’économie (Seco), chargé du contrôle des exportations suisses à l’étranger. «Elles ont atteint 49 644 francs en 2013 et ont été nulles en 2012, en vertu justement de cette pratique restrictive», poursuit le Seco. Ces exportations, précise-t-il, consistent surtout en des services, telles des réparations effectuées par des experts helvétiques.
Il semble plus difficile d’obtenir des informations sur le montant et la nature des importations en Suisse de matériels de guerre israéliens. Le Seco n’est pas compétent pour en donner, à la différence du DDPS, via Arma Suisse, le centre fédéral d’acquisition d’armements. Mais le service de presse de l’armée ne nous en a fourni aucune à l’heure où nous bouclons le présent numéro, mardi 26 août au soir.
Thomas Hurter (UDC/SH), le président de la Commission de politique de sécurité du Conseil national, favorable à l’achat des drones Hermes, «les meilleurs sur le marché», selon lui, écarte les objections d’ordre moral ou politique pour s’en tenir aux faits techniques. «Le PS dit que les drones actuels (ADS 95 Ranger, en service depuis 2001 dans l’armée suisse, ndlr) suffisent, mais c’est faux. Il leur faut une rampe de lancement et ils font un bruit infernal de tondeuse à gazon, alors que nous avons besoin d’engins discrets», réplique-t-il.
Le front moral opposé à Israël, qui s’élargit aux artistes – quelque 500 acteurs culturels suisses, dont Jean-Luc Godard, ont écrit mi-août au Conseil fédéral pour lui demander, notamment, de renoncer à l’acquisition des drones Hermes – est-il à même de bousculer les relations commerciales et diplomatiques entre la Suisse et Israël? Le Brésil, qui a fortement tancé l’Etat hébreu pour ses agissements dans la bande de Gaza, avait précédemment passé commande de drones israéliens Hermes pour assurer la sécurité de la Coupe du monde de football qu’il organisait.