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Ashya King, quand les parents d’enfants malades défient les médecins

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Jeudi, 4 Septembre, 2014 - 05:56

Interview. Kidnappeurs ou parents martyrs? Lazare Benaroyo, responsable de l’Unité d’éthique du CHUV, décrypte l’emballement médiatique autour des King.

Arrêtés samedi en Espagne pour avoir «enlevé» leur fils de 5 ans de l’hôpital britannique où il était traité pour une grave tumeur cérébrale, les parents d’Ashya King affirment dans une vidéo qu’ils voulaient un traitement de pointe que les médecins de Southampton ont refusé. Contestant son extradition, le couple était mardi sur le point d’être libéré. Comment leurs rapports avec les médecins ont-ils pu se détériorer au point de tourner à ce bras de fer aussi dramatique que médiatique? Analyse avec Lazare Benaroyo, médecin et philosophe, responsable de l’Unité d’éthique du CHUV à Lausanne, dont le rôle est précisément d’éviter ces drames.

Que vous inspire l’affaire Ashya King, et notamment son traitement médiatique, qui pousse le public à se sentir exagérément concerné?

Il est difficile de comprendre de l’extérieur où se situe le blocage. Les parents n’ont semble-t-il obtenu de leurs médecins ni le traitement ni l’attitude qu’ils souhaitaient, et ont fui, transformant l’affaire en un bras de fer public spectaculaire: de kidnappeur d’enfant, le père est devenu le papa qui veut sauver son fils à tout prix. Lui-même a utilisé l’internet pour faire entendre sa voix. L’entrée en jeu des médias et des réseaux sociaux dans la relation entre médecins et patients est un phénomène nouveau et troublant. Quand les conflits se durcissent, il y a désormais la possibilité pour un patient de menacer de rendre l’affaire publique. Les médias deviennent une modalité d’expression de la plainte, voire un outil pour lever des fonds. Cela masque les enjeux éthiques cruciaux.

Ce père dit souhaiter un traitement qui ne lui est pas mis à disposition, et qu’il est prêt à tout pour cela. Le comprenez-vous?

C’est la question, centrale aujourd’hui, de l’information. Correcte ou pas, elle circule en surabondance et de manière incontrôlée. Or, elle n’est que rarement pertinente pour le cas particulier. C’est une bonne chose de s’informer de son côté, mais seul un rapport personnel entre un médecin et le patient peut évaluer et valider cette information. Sous prétexte qu’il s’agit d’une prise de pouvoir, l’autorité du médecin est parfois contestée. Mieux vaut demander une 2e, voire une 3e opinion avant de couper les ponts avec le monde médical.

Que se passe-t-il au CHUV si des parents ne sont pas d’accord avec le traitement prévu pour leur enfant?

L’équipe soignante explique aux parents qu’ils peuvent faire appel à notre Unité d’éthique. Nous faisons alors le point avec tous les acteurs de la situation, les médecins, les infirmières, les assistants sociaux, les juristes, un aumônier et dans un deuxième temps la famille et/ou le patient. On examine ensemble le projet de soin pour identifier le nœud du problème. Cet «espace éthique» permet de s’assurer que l’entier des voix est entendu. En cas d’échec, la famille peut interpeller le médecin cantonal puis, si nécessaire, le juge de paix pour une tentative de conciliation et éviter un dépôt de plainte. Mais, en amont déjà, tout est fait pour prévenir de telles ruptures! Le dialogue est le mot clé. Créée en 2009, notre unité est un service novateur au service de tous les services, qui a pour missions la formation continue et la coordination entre les soignants des divers services engagés dans le soin en cas de conflit, par exemple entre la médecine interne, la psychiatrie, l’oncologie, la chirurgie, les soins palliatifs, etc.

Les parents sont-ils libres d’emmener leur enfant malade ailleurs?

Ils représentent la volonté et l’autonomie de leur enfant, pour des enfants de l’âge d’Ashya. S’ils ont eux-mêmes la capacité de discernement, ils sont libres d’emmener leur enfant où ils souhaitent. Mais dès le moment où le corps médical juge qu’ils mettent la santé ou la vie de leur enfant en danger, il peut s’y opposer. C’est son devoir. Mais on entre ici dans une zone de relativité. Le périmètre d’action de la médecine est à redéfinir de cas en cas. S’il y a vraiment mise en danger de l’enfant, faire appel à la police se comprend. Mais en criminalisant les parents, on accentue la rupture de dialogue et on perd leur confiance.

Les tensions sont-elles courantes entre les parents et les médecins?

Oui, et c’est normal: on est dans des situations de détresse extrême, de vie et de mort. Les parents se sentent responsables de leurs enfants et impuissants devant leurs souffrances. Ces situations sont difficiles à gérer, tant pour les parents que pour les soignants. On cumule les facteurs de stress. On se retrouve dans un univers à la fois hypertechnique et en même temps très émotionnel. Il faut toujours savoir ce qu’on est en train de faire, et pourquoi on le fait, pour vivre la situation au mieux. Mais l’accès à ces enjeux existentiels n’est pas facile.

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