Une phrase, une seule, a sans doute fait plus de tort à la monarchie que toutes les banqueroutes qu’elle dut assumer, celle qu’aurait prononcée Marie-Antoinette: «Si le peuple n’a pas de pain, qu’il mange de la brioche.»
Désormais, une expression risque d’avoir un effet aussi ravageur, celle que, dans son livre à scandale, moralement assez dégoûtant, Valérie Trierweiler met dans la bouche de son amant, le président François Hollande: les «sans dents».
Les «sans dents», ce sont les pauvres ainsi désignés par celui qui fut le patron d’un Parti socialiste en faveur duquel, il y a encore quelques décennies, votaient les pauvres, même édentés. Car, précise son ex-compagne, «il n’aime pas les pauvres»! D’ailleurs, il méprisait sa famille parce qu’elle incarnait la France d’en bas: «Pas jojo, selon lui, ces gens-là.»
Redoutable. Bien sûr, Valérie Trierweiler, toute à sa rancœur de femme trompée et maladivement jalouse, raconte peut-être des crasses. C’est plus exact que des craques. Sauf que cette expression-là, les «sans dents», ne s’invente pas. Personne n’aurait l’idée de mettre mensongèrement dans la bouche de qui que ce soit, avec ou sans dents, ces deux mots effroyables qui sont censés désigner la bouche des pauvres. La bouche de ceux, en effet, qui ne sont pas en mesure de croquer la vie à belles dents.
On a souvent stigmatisé ceux qui avaient les «dents longues», les «dents acérées», la «dent dure». Mais a-t-on jamais parlé comme ça de ceux qui n’en ont pas, qui n’en ont plus, de dents? Qui, n’ayant déjà plus grand-chose à se mettre sous l’absence de dents, sont, en quelque sorte, désarmés jusqu’aux dents. Qui ne peuvent même plus les desserrer, ces dents-là, ces dents tombées; qui n’ont même plus le ressort, désespérés qu’ils sont par les effets de la politique de celui qui n’aime pas les pauvres, de montrer les dents à qui que ce soit, d’avoir une dent contre qui que ce soit.
Coup de massue: Hollande désespère les pauvres, affirmaient ses défenseurs, parce que ceux-ci ne comprennent pas qu’il fait tout cela pour eux, dans leur intérêt.
Mais voilà: il n’aimerait pas les pauvres.
Alors quelque chose se déchire. Se détraque. Ces deux mots – les «sans dents» –, assortis de cette phrase-là – «il n’aime pas les pauvres» –, se rend-on bien compte qu’ils vont avoir le même effet que jadis le marquage au fer rouge?
Un financier, un ex-dirigeant de la banque Rothschild, nommé ministre de l’Economie? Hier, c’était une initiative hardie et opportune dans l’état où se trouvent nos finances publiques. Aujourd’hui: normal, il n’aime pas les pauvres!
Une remise en cause du blocage des loyers? Hier preuve de bon sens. Aujourd’hui: normal, il n’aime pas les pauvres!
L’annonce d’un contrôle plus strict de la situation réelle des chômeurs: normal, il n’aime pas les pauvres! Les 40 milliards de réductions d’impôts et de charges en faveur des entreprises? Pardi, on ne soutient que ceux qu’on aime, et il n’aime pas les pauvres.
Implacable, possédée par sa rancœur, l’ex-première dame rajoute: moi, j’aimais les petits bistrots, mais lui ne fréquentait que les grands hôtels et les grands restaurants. Pour ne pas rencontrer de pauvres?
Ces deux mots coup de ton-nerre, qui en doute? Ils s’étaleront demain sur les banderoles, jailliront sur les pancartes, résonneront dans les manifs. Il y avait les «sans-papiers», les «sans domicile fixe», les «sans le sou», les «sans-grades»: il y a, désormais, les «sans dents».
Quand on les appelait les «va-nu-pieds» ou, en Argentine, les «descamisados» (les sans chemise), l’histoire retint ces expressions. Elle enregistrera celle-là.
Elle a retenu que Nicolas Sarkozy était «le président des riches», elle retiendra que son successeur «n’aimait pas les pauvres».
A lire l’ouvrage de Valérie Trierweiler, qui sera lu par la foule innombrable de ceux qui disent qu’ils ne le liront pas, on se rend compte à quel point les deux hommes, Sarkozy et Hollande, se ressemblent étrangement en réalité: l’un et l’autre, selon leurs ex, mentent comme… des arracheurs de dents.
Mais Sarkozy, au moins, ne se dit pas socialiste.
La jalousie comme une autodestruction.
François Hollande est un homme, un président, français, socialiste, de la République. Valérie Trierweiler est une femme et elle est journaliste.
Son brûlot est assassin: pour les hommes, pour le président, pour la France, pour la République, pour les socialistes, pour les femmes et pour les journalistes.