Décodage. Après son cuisant échec en 2007, la gauche repart à l’attaque et propose une nouvelle caisse publique. Exit les 61 caisses privées dans l’assurance obligatoire, vive une institution nationale chapeautant des agences cantonales! Très émotionnel, le débat de la votation du 28 septembre prend parfois des allures de guerre des chiffres. En sept questions, «L’Hebdo» tente de distinguer le vrai du faux.
La caisse publique permettra-t-elle de réduire les coûts de la santé?
Non, à 100%
Les initiants citent pourtant deux domaines d’économies possibles: 300 millions dans les frais administratifs et de publicité, et près de 2 milliards grâce à des programmes ciblés de traitements des cas lourds.
Selon l’économiste Anna Sax, auteure d’une étude pour le PS, la caisse publique permettrait de développer une médecine intégrée favorisant la prévention et un suivi plus efficace des cas lourds, ces 5% des patients qui génèrent la moitié des coûts de l’assurance de base (d’environ 13 milliards). «Ici, on pourrait économiser 10 à 20% des coûts sans perte de qualité sur les soins. L’Allemagne fait de très bonnes expériences grâce à des programmes spécifiques pour les patients souffrant de diabète ou d’insuffisance cardiaque, par exemple. Mais la Suisse est un pays en voie de développement sur ce plan», regrette-t-elle. Pourquoi? «Parce que les caisses ont peur d’attirer les mauvais risques!»
Ce chiffre d’économies potentielles reste pourtant très théorique. Sur le terrain, personne ne promet une baisse des coûts. Une autre étude mandatée par l’association santésuisse prévoit même d’importants surcoûts en cas d’adoption de l’initiative: 1,75 milliard dans la variante d’une caisse unique nationale, et même 2,3 milliards dans celle de la création de 26 caisses cantonales.
Dans cette guerre des chiffres, les deux camps sont irréconciliables. Que dit l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) à Berne? Pour la période courant de 1996 – date de l’introduction de l’assurance maladie obligatoire – à 2013, les coûts des primes et ceux des prestations ont suivi une évolution analogue, augmentant en moyenne de 4,2% par an. Les prestations sont passées de 1500 francs à 3000 francs par assuré et les primes de 1550 à 3100 francs. «C’est la seule comparaison qui fait sens», dit Helga Portmann, cheffe de la surveillance des assurances à l’OFSP. Il est donc erroné de comparer l’évolution des primes avec les coûts de la santé en prétendant que leur hausse a été plus marquée, comme l’affirment les initiants. Même s’il est vrai que certains cantons, dont Vaud et Genève, ont payé trop de primes.
Les primes vont-elles baisser?
Non, à 100%
Même les initiants ne se hasardent pas à promettre une baisse des primes. Tout simplement parce que la population vieillit et que les thérapies sont de plus en plus sophistiquées. Leur but est plutôt de freiner la hausse des primes par une optimisation des coûts. «Actuellement, les assureurs n’ont aucun intérêt à limiter l’augmentation des coûts, car ils peuvent la répercuter», relève le conseiller national socialiste Jean-François Steiert.
Pharmacien à Romont, Michel Buchmann peut en témoigner. Il est devenu un fervent partisan de la caisse publique après ce qu’il a vécu lors de la création des cercles de qualité réunissant pharmaciens et médecins. Une réunion de compétences qui permet d’améliorer la qualité des traitements sur la base d’une littérature indépendante appréciant l’efficacité des médicaments. «Nous avons fait des économies de 100 000 à 150 000 francs par médecin et par an. Malgré ce succès, les caisses se sont vite retirées du projet, car celles qui s’y sont lancées au départ se sont aperçues qu’elles investissaient pour un résultat profitant à d’autres», déplore Michel Buchmann.
Que va-t-il se passer dès lors que les primes ne baisseront pas? Comme les initiants jurent qu’ils ne toucheront pas aux franchises ni aux primes pour enfants, il faut s’attendre à ce que l’écart des primes entre la plus haute et la plus basse, qui varient de 30 à 40% dans les cantons romands, se réduise sensiblement. «Actuellement, nous, les assureurs, nous nous battons pour obtenir les primes les plus basses possible, relève Yves Seydoux, chef de la communication du Groupe Mutuel. Dans une caisse publique, avec des cantons portant une double casquette – propriétaires d’hôpitaux et chargés de fixer les primes –, on déboucherait sur des primes politiques, qui ne correspondraient pas aux coûts. Les déficits sont programmés.»
«Je voterai non à la caisse publique, mais c’est un non critique», dit pour sa part Jean-Paul Diserens, fondateur de la caisse Assura, qui n’a cessé, dès sa création en 1978, d’être accusée d’appliquer la sélection des risques. «Nous n’avons pas pratiqué la chasse aux bons risques, mais bien la chasse aux gens responsables en offrant de forts rabais en cas de franchise élevée», insiste-t-il. Pour compresser les coûts, selon Jean-Paul Diserens, il faut responsabiliser tous les acteurs de la santé, par exemple en généralisant le système du tiers garant: le patient paie d’abord ses médicaments avant de se faire rembourser. «Bien sûr qu’il faut prévoir des exceptions pour toutes les personnes économiquement faibles, admet-il. Mais c’est ce système qu’il faut généraliser, et non le contraire.»
Y a-t-il un vrai système de concurrence entre caisses maladie en Suisse?
Non, à 60%
C’est l’argument massue des opposants à l’initiative pour une caisse publique. «Il ne faut pas supprimer le régime de concurrence que se livrent les 61 caisses actuelles, offrant ainsi un vaste choix à l’assuré.»
Bien qu’opposé à la caisse unique, le publiciste et spécialiste de la santé Urs P. Gasche reconnaît qu’il n’existe pas de réelle concurrence dans la santé en Suisse. «Nous connaissons en fait un système étatique. Et la concurrence entre caisses n’obtient en tout cas pas les résultats escomptés, à savoir la meilleure qualité de prestations possible au coût le plus avantageux», note-t-il. Comment parler de concurrence lorsque les cantons établissent des listes d’hôpitaux subventionnés de la même manière, quelle que soit leur qualité? Comment se fait-il que 20% des médicaments reconnus par les caisses soient inadéquats, alors que le Conseil fédéral est seul compétent en la matière? Comment le système suisse peut-il être 25% plus cher que celui des Néerlandais?
Il vaut la peine de se pencher sur le modèle des Pays-Bas (16 millions d’habitants) qui comptent deux fois moins d’hôpitaux de soins aigus, bien qu’ils soient deux fois plus peuplés que la Suisse. Les deux pays ont un système de concurrence réglementée, mais les Pays-Bas ont plusieurs longueurs d’avance. Les cinq caisses, autorisées à faire du bénéfice, y compris dans les soins de base, y disposent d’une plus grande liberté de manœuvre. Ce sont elles qui négocient directement les prix des médicaments avec l’industrie pharmaceutique et les tarifs avec les hôpitaux, tous en mains privées. En revanche, une commission indépendante a élaboré un système de compensation des risques bien plus pointu qu’en Suisse. De plus, l’Etat a obligé les hôpitaux à une grande transparence en matière de qualité, un processus qui n’est qu’embryonnaire en Suisse.
Le mécanisme de compensation des risques permet-il de corriger le problème de la chasse aux bons risques?
Oui et non, à 50%
Pour 2015, les primes varieront une fois de plus énormément, grimpant de 1 à 15%, alors que la hausse des coûts de la santé est de 4,5%. «C’est la preuve que le système ne fonctionne pas», clament les initiants. Leurs détracteurs comptent, eux, sur l’amélioration du mécanisme de la compensation des risques pour mieux justifier le statu quo. Car tout le monde admet qu’il faut lutter contre la sélection des risques. Il existe donc un instrument de compensation, jusqu’à présent peu efficace. Concrètement, les caisses qui comptent une majorité de clients bien portants versent un montant à celles qui doivent gérer davantage de cas lourds. Les contributeurs: Assura et Groupe Mutuel notamment. Les bénéficiaires? Helsana, Visana et CSS pour les plus grands.
Le sexe et l’âge ont longtemps été les seuls critères déterminants dans le calcul. Comme le résultat était peu convaincant, le Parlement s’est résolu à affiner le mécanisme, prenant aussi en compte l’hospitalisation (dès 2012) et la facture des médicaments consommés par les assurés (dès 2015-2017) dans le calcul de compensation. Même si le chef de la Santé vaudois, Pierre-Yves Maillard, ne croit pas un instant à l’efficacité de ce mécanisme, ce n’est pas l’avis de Konstantin Beck, économiste de la santé et chef du CSS Institut consacré à ce problème. «Depuis 2009, le montant des transferts entre caisses s’est stabilisé entre 1,5 et 1,6 milliard de francs, alors qu’il n’avait cessé d’augmenter depuis les années 90. Cela signifie que la chasse aux bons risques commence à diminuer, déclare-t-il. Et le nouveau critère de la facture des médicaments consommés devrait constituer un nouveau pas important dans la bonne direction.»
La loi sur la surveillance des caisses permettra- t-elle de combler les défauts du système actuel?
Oui, à 65%
C’est l’autre réforme que nécessite le système actuel, considérée comme une forme de contre-projet à l’initiative de la gauche. Le Parlement travaille depuis des années à une révision de la loi sur la surveillance des caisses, que le Conseil national devrait en principe mettre sous toit dans la semaine précédant la votation.
«Chercher les bons risques ne doit plus être un business model», martèle Isabelle Moret, conseillère nationale (PLR/VD) qui figure parmi les grands artisans de cette réforme, que les caisses ont longtemps tenté de saborder. Celle-ci accorde plus de poids à l’Office fédéral de la santé publique dans la vérification des primes, de manière à ce qu’elles n’excèdent pas les coûts de santé d’un canton. Berne pourra ainsi obliger une caisse à baisser ses primes si ses réserves sont trop élevées. La révision limite aussi le démarchage téléphonique et exige la publication des revenus touchés par les dirigeants des caisses. «Ce sera un gros progrès, gage de bonne gouvernance et d’un gain de transparence chez les caisses», résume Isabelle Moret.
La caisse publique aura-t-elle pour conséquences des pertes d’emplois dans la branche?
Oui, à 100%
Difficile d’affirmer le contraire. Dans une étude mandatée par santésuisse, L’Institut d’économie de la santé de Winterthour chiffre les pertes à 2800 emplois (équivalents plein temps), sans compter 3000 personnes délocalisées en raison des transferts de centres de décision, «dont 400 à Lausanne et 500 en Valais», selon l’estimation d’Yves Seydoux du Groupe Mutuel. Même Anna Sax, dans son étude pour le PS, parle de 2200 collaborateurs touchés sur les 12 500 que comptent les assureurs. Pour Jacques Bourgeois, conseiller national PLR et directeur de l’USP, la caisse des paysans Agrisano, qui compte une centaine d’employés, devrait réduire ses activités des trois quarts et probablement fermer ses portes.
Ce ne serait pourtant pas la saignée. Le secteur de la santé est toujours en pleine croissance. Dans le seul canton de Vaud, il crée 500 postes par année.
Supprimera-t-elle les modèles alternatifs d’assurance, comme celui du médecin de famille?
Non, à 100%
Dans leurs journaux adressés aux assurés, les caisses font le forcing pour les convaincre de ne pas toucher au système actuel. Ainsi, le CSS Magazine affirme que «la liberté de choix des modèles alternatifs, auxquels souscrivent 53% de ses assurés, disparaîtrait». En fait, les caisses font ici un faux procès aux initiants. C’est même la première chose que ceux-ci soulignent dans la brochure de votation adressée à chaque votant. «Les primes réduites pour enfants, les primes réduites liées aux franchises et les divers modèles d’assurance continueront à exister.» «Indépendamment des résultats du vote du 28 septembre, nous allons devoir trouver des mesures pour empêcher les caisses d’utiliser à l’avenir l’argent des primes pour des campagnes mensongères», déclare Jean-François Steiert (PS/FR).