Débat.«Merci pour ce moment», le livre vengeur de l’ex-compagne de François Hollande, fait un énorme tabac. On peut être pour ou contre la manière, cet ovni d’édition est un passionnant fait social et politique.
Isabelle Falconnier et Christophe Passer
L’escadrille aux lèvres pincées du célèbre microcosme politique français s’est aussitôt mise à mitrailler à vue, surtout, évidemment, depuis la gauche. «Non, je ne lirai pas ce livre», disait l’un. «Livre de caniveau, je ne m’y abaisserai point», soulignait un autre. Le reste des remarques à l’avenant. C’est l’instant inévitable des postures médiatiques et du bal des hypocrites.
Car, bien sûr, ils le liront tous. D’abord parce que les Français, eux, se précipitent sur ce livre, Merci pour ce moment (Les Arènes, sorti par l’éditeur Laurent Beccaria, franc-tireur par exemple à l’origine de la revue XXI), signé Valérie Trierweiler, dont le premier tirage est de 200 000 exemplaires. Ils se l’arrachent. Les premiers jours de vente ont atteint des sommets que l’on n’avait plus vus depuis au moins cinq ans. Les exemplaires de Paris Match, magazine qui sortait au même moment les bonnes feuilles de l’ouvrage, se sont aussi envolés. Quant à la Suisse romande, même phénomène: librairies et kiosques à sec en quelques heures.
Course folle à la transparence
Tous le liront, ensuite, parce que c’est un livre passionnant. Il n’est pas seulement voyeur de plonger ainsi dans l’intime des jalousies et mensonges ordinaires. En couple avec Hollande depuis 2005, compagne officielle entre 2007 et janvier 2014 (date de l’affaire Gayet et de la rupture officielle), Valérie Trierweiler ajoute sa charge à une rentrée catastrophique pour le président.
Ce livre dit aussi l’époque, course folle à la transparence, goût carnassier de la mise à nu, revanche amoureuse façon buzz et réseaux, et il est emblématique de la violence des rapports conjugaux contemporains. Ce n’est pas juste la réponse d’une femme bafouée. C’est un livre social et politique, écrit comme on frappe. Pour cela, il divise et intéresse: on peut s’y plonger avec compassion ou avec dureté. C’est la double lecture que nous vous proposons.
Bien fait!«Merci pour ce moment» prouve que l’éphémère première dame, qui n’a aucune raison de se priver d’une vengeance, maîtrise superbement les codes de la com moderne.
Pour Valérie qui, prenant les armes de l’intime, parle la langue d’aujourd’hui
Isabelle Falconnier
Quand les hommes qualifient une femme de «bombe», ils se veulent positifs. Quand une femme lâche une «bombe», les mêmes soudain se bouchent le nez avec dédain. La versatilité n’est définitivement pas l’apanage du sexe faible.
Merci pour ce moment est un livre fantastique qui, de par l’importance des réactions qu’il suscite dans les cercles médiatiques, politiques et culturels, en France et dans le monde, prouve – première victoire – qu’il est bien davantage qu’un livre.
C’est une vengeance, d’abord. Qui répond à l’injonction ancestrale «œil pour œil, dent pour dent» mais en fait un plat qui se mange chaud parce que les temps changent et que Valérie, fille de son temps, animal politique, créature médiatique, le sait mieux que personne. Dans Shakespeare, dans Hugo, dans Dostoïevski, on se venge. C’est politiquement désormais incorrect mais absolument libératoire. On ne se venge pas assez, de nos jours. Pour être efficace, une vengeance doit surpasser l’affront initial. Pour surpasser l’humiliation de la répudiation par communiqué de presse à l’AFP de François Hollande, Valérie devait frapper juste, et fort. Elle frappe très juste, et très fort. Elle ne restera plus dans l’histoire comme la répudiée mais comme la rebelle, la femme en colère, la «frondeuse», comme l’avait déjà bien vu la biographie éponyme d’Alix Bouilhaguet et Christophe Jakubyszyn.
Tourmente éphémère
Frapper fort, frapper vite. Rien n’est plus versatile que l’opinion contemporaine, adepte du zapping et de la consommation Kleenex. A peine disparu du paysage présidentiel, Hollande tombera dans les oubliettes de la mémoire politique de ses concitoyens, et Valérie avec, sans plus aucune possibilité de vengeance cathartique. Elle n’a rien à craindre: la tourmente qu’elle a suscitée passera aussi vite qu’elle est arrivée fort. La courtisée, bientôt, ce sera elle.
Tourmente intime: comment peut-on rendre Valérie Trierweiler, éphémère première dame, responsable de l’écroulement du régime politique de Hollande et de la montée de Marine Le Pen plus que du réchauffement climatique? S’il suffit de ce livre d’alcôve comme la France des rois et des courtisanes en a produit par kilos, de ces livres d’histoires pour affaiblir la marche de l’Histoire, c’est que le gouvernement français et son autorité ne tiennent déjà plus qu’à un fil.
Valérie Trierweiler, en prenant les armes de l’intime, prouve qu’elle parle la langue d’aujourd’hui. A l’heure du règne du selfie, l’intime s’est érigé en langage commun et en vérité toute-puissante. Sa vérité, même partielle, même injuste, remet un peu de vérité dans un monde politique et médiatique qui, aux yeux du public, en est cruellement, spectaculairement dépourvu.
Snobisme de libraires
Loin de n’être qu’un caprice hormonal, un truc de fille qui chercherait une manière plus rentable de se venger que l’acharnement avec ciseaux sur les cravates de monsieur, quel document unique sur la nature humaine, les passions d’un couple pris dans la tourmente du pouvoir en Occident, les atermoiements du cœur quand la raison s’en mêle, les exigences d’une femme libérée confrontée au carcan désuet de l’appareil de l’Elysée. Sociologues, ethnologues, politologues d’un côté, femmes bafouées, familles recomposées, maîtresses cachées de l’autre, tous disent merci.
Quelle fatuité de la part des libraires qui boycottent sa vente sous prétexte qu’ils ne seraient pas une machine à laver le linge sale de l’ex-couple! Le témoignage, l’exemplarité est depuis la nuit des temps un genre majeur de la littérature. Les vies des saints n’avaient pas d’autre but! Qu’importe si le style de Mme Trierweiler flirte dangereusement avec l’hystérie naïve et le cliché post-ado: ce livre n’est pas écrit pour les critiques littéraires. Ses défauts de forme sont sa force: les médias qui traquent les maladresses, les incohérences, les faiblesses stylistiques sont à côté de la plaque, tout comme les libraires qui voudraient obliger leurs clients à acheter Balzac ou le dernier Emmanuel Carrère à la place.
Que Laurent Beccaria, patron des Editions des Arènes, chantre du nouveau journalisme avec la revue XXI, publie Merci pour ce moment n’est pas le signe que l’édition engagée se dévoie mais au contraire que le livre de Valérie est un livre engagé. Payer de sa personne pour témoigner d’un milieu inaccessible au commun des lecteurs, que ce soit dans les mines de diamants de Namibie ou la chambre à coucher du palais présidentiel, n’est-ce pas la plus belle définition du journalisme?
Et si un homme avait de telle manière craché ses tripes, son venin et ses larmes de crocodile, j’applaudirais l’animal politique qui aurait l’intuition que parfois il faut sortir des sphères et calculs politiques. Valérie prend François à son propre jeu, lui qui voulait être un président «normal», se rapprocher des électeurs en s’attribuant cette étiquette idiote. Las. La normalité, c’est Valérie. La normalité, c’est aimer, souffrir, pleurer, se disputer, détester les ex-femmes, se demander comment on va s’habiller pour rencontrer Obama. Valérie a été une première dame «normale». Hollande a perdu la bataille de la normalité. Valérie présidente?
Snif! Tout est de sa faute, salaud de François. Sans elle, il ne serait rien. Scoop, ces hommes sont tous les mêmes: menteurs et infidèles. Trierweiler est hystérico-puérile.
Contre Valérie qui se voit féministe mais réinvente le sexisme vioque
Christophe Passer
Après tout, l’Histoire avec un grand H raffole de cette littérature. Imaginez si la Pompadour avait laissé des détails chauds sur Louis XV. Ou un carnet secret d’Yvonne de Gaulle, nous expliquant qu’en privé, il faisait moins son général. Les historiens adoreraient et, d’ailleurs, passent souvent leur existence à fouiller ces choses: témoignages de première main, petite histoire qui éclaire la grande, l’officielle.
Plus récemment, en France, y a-t-il eu livre plus éclairant que La nuit du Fouquet’s, racontant par l’intime, menus et invités, l’incroyable soir de l’élection de Nicolas Sarkozy, l’instant où il est élu et perd sa femme?
Tradition du gossip
Vu comme ça, Merci pour ce moment, le livre de Trierweiler, participe d’une certaine tradition du gossip chic, et sa lecture est jouissive. Pas trop mal écrit, probablement assez imparable au niveau des faits et détails.
François Hollande ment, certes beaucoup et sur n’importe quoi. On pourrait presque se demander si, chez lui, ce n’est pas simplement de la déformation professionnelle. Mais pas le moindre secret d’Etat en 317 pages: brave fille, elle ne révèle rien sur Merkel ou Obama, le Mali ou Gaza, les 35 heures ou les disputes au sujet de la taxe carbone: rien à cirer de ces affaires courantes.
Elle, Valérie, fière fille de prolos d’Angers (elle s’en vante comme d’un brevet d’honnêteté), elle, l’immense, l’expérimentée, la grande «journaliste politique» (elle n’arrête pas de s’en prévaloir), se fout en fait éperdument de la politique. Tout ce qui l’intéresse, c’est éventuellement les politiciens socialistes (les seuls qu’elle croise vraiment, menteurs et/ou comploteurs), peut-être d’embêter Ségolène Royal, d’ânonner que les ministres sont nuls et amateurs, et que François, il est très cruel.
C’est ainsi que monte la nausée de ce livre. Pas du tout son côté caniveau. Encore moins l’éventuel croustillant. Un baiser à Limoges en 2005. Un vague patin mou pour les télés en 2012 à Tulle, et c’est tout. A la fin, on ne connaît même pas la position sexuelle préférée du président, c’est dire si c’est sobre.
Non, le malaise, le problème, la dégueulasserie assez plaisante à observer, ce n’est pas Hollande, c’est elle. Parce que son témoignage, «sa vérité», est basé sur deux principes bien putassiers.
Primo: elle n’est responsable de rien, jamais. Déjà, si elle se met à coucher avec Hollande, c’est bien sûr parce que Ségolène rend ça «possible à mes yeux» (page 119, il faut lire ça plusieurs fois pour s’arrêter de rire). Voyez le truc: elle n’y est pour rien, le type tombe amoureux d’elle (normal, c’est une grande journaliste politique) et elle est entraînée dans la passion. Malgré elle. Parce que l’amour. L’émotion. Comme c’est chou, cette fausse candeur sortie du misérable tas de secrets d’une fille qui a divorcé deux fois.
Deuxième principe de Merci pour ce moment: ensuite, Valérie et François, c’est juste Mère Teresa entre les pattes de Hitler, en gros. Elle est si gentille, Val, si vraie, si intelligente et si sincère, fait dans l’enfance et l’humanitaire (on s’embête sur des pages entières avec le pénible récit de ses voyages à la découverte de la misère, ou alors c’est le Noël de la crèche de l’Elysée…). Pendant ce temps, grrrr… salaud de François: il ment, il ment, il la trompe, il ment, salope de Julie Gayet qui «rôde», salauds de gardes du corps qui savaient et apportent les croissants, salauds de ministres, François qui ment et rement (bis), ne répond pas au téléphone dans la minute (il n’a que ça à faire, hé!), grrr… il dégomme les pauvres (le passage sur les «sans-dents»), méchante Ségolène, et puis regardez: avant moi, Val, François était un petit gros à la ramasse. Je l’ai amaigri et fait président. Il m’a larguée: il a repris ses kilos et replonge aussitôt dans les sondages. CQFD, pas vrai?
Tas de clichés sur les hommes
Au moins 212 fois, tout ça se termine par un «je manque d’emboutir la voiture devant moi» (quand elle découvre enfin qu’on lui ment), suivi rapidement par un «il tente de me calmer» (François veut lui arracher son téléphone, ses somnifères, etc). Elle crie. Elle le gronde. Elle l’engueule. Tout le temps. Elle craque. Elle est insupportable. Elle est hystérique et puérile un paragraphe sur deux.
Parfois, elle écrit des choses du style «les femmes me comprendront» et c’est la clé la plus écœurante de ce bouquin. Pour Valérie Trierweiler, les hommes (tous) sont cyniques, froids, infidèles, autistes, lâches et velléitaires. Les hommes (tous) sont juste ce tas de clichés au service de leur entrejambe. Et les femmes, ouf, sont des saintes nitouches naïves et amoureuses, abusées par la veulerie retorse des mecs cités plus haut. Il faut lire ce livre, les gars, en disant merci pour ce moment: il permettra à certains de reconnaître et d’éviter les Valérie qui hantent les rues, engluées dans leur permanent «revenge porn» sentimental, et qui crachent sur cent ans de juste combat pour plus d’égalité homme-femme. Parce que ce n’est pas féministe de détester à ce point les hommes à cause de François. C’est juste, comme ce livre, terriblement rance, vioque, rancunier, petit-bourgeois, bête et pour dire ça en un mot: sexiste.
Sur www.hebdo.ch
lire aussi le billet de chantal tauxe «les consoeurs journalistes ne lui disent pas merci»